Poster un message

En réponse à :

Le sentiment de culpabilité

, par Michel

Pauvre Delphine !

J’ai beau lire et relire votre mail, je ne sais pas par quel bout le prendre. Oui, vous donnez l’impression d’un énorme gâchis, mais vous êtes vous-même dans un tel état que, peut-être, votre récit manque un peu de lucidité.

Que dois-je faire ? Vous confirmer que vous avez fait tout ce que vous pouviez, puisque cela semble évident quand on lit votre récit un tout petit peu entre les lignes ? Vous rappeler que la culpabilité est un sentiment normal dans le deuil, et qu’il faut l’accueillir avec distance ? Sans doute.

Ou alors, reprendre votre mail au fil de la plume, et essayer de faire quelques commentaires.

Ma maman était très malade. Elle avait un cancer et souffrait beaucoup.

Déjà, je suis gêné : pourquoi ses symptômes n’étaient-ils pas pris en charge ? De quel cancer s’agissait-il ? Quel que soit le diagnostic, quel que soit le pronostic, il n’y a aucune raison d’opposer la prise en charge de la maladie et celle des symptômes : il y a ce qu’on nomme soins de support qui sont en somme l’application des techniques palliatives à des malades qui ne sont pas en soins palliatifs ; et la douleur du malade qu’on espère bien guérir est à prendre en charge au même titre que celle du malade qui ne guérira pas : le traitement de la douleur est un devoir, pas un lot de consolation.

J’ai pu la garder seulement 2 semaines en HAD à la maison. 2 semaines compliquées, avec des va-et-vient incessants du personnel médical, des infirmiers, des allées et venues tous les 2/3 jours à l’hôpital pour qu’elle puisse avoir des transfusions de sang et de plaquettes.

Et c’est là sans doute qu’il aurait fallu commencer à organiser la fin de vie. Mais en avait-on les moyens, notamment en termes de soins palliatifs à domicile ? Que vous a-t-on dit à l’époque ?

Au bout de 2 semaines pourtant, elle avait repris la forme. Elle plaisantait. Elle n’avait pas repris de poids mais elle était repartie de la maison pour une transfusion en disant à mon fils qu’elle reviendrait dans 3 dodos.

C’est tout le problème de ces fins de vie où le malade semble aller mieux, puis plus mal ; en réalité les variations sont infimes et aléatoires, mais la situation est telle que tout prend des proportions immenses.

Une fois sur place, les médecins ont découvert qu’elle avait une infection de l’intestin contagieuse et qu’ils étaient obligés d’arrêter les antibiotiques durant une semaine pour pouvoir faire une biopsie et donner de nouveaux antibiotiques ciblés. (…) Elle voulait rentrer à la maison, elle se sentait certainement partir et je n’ai pas compris.

Je peux comprendre cela : ce n’est pas parce que le malade est proche de sa fin qu’il faut abandonner sans discernement les principes essentiels de la médecine. Mais ce que vous dites en somme c’est que l’équipe n’a pas su apprécier exactement ce qui était en train de se passer. Et la suite vous a donné raison ; mais vous auriez tort de croire que cette appréciation est chose facile ; ce type d’erreur est inévitable. D’ailleurs c’est toujours la même chose : quand je décide d’adopter une stratégie agressive, il arrive que j’échoue : c’est de l’acharnement thérapeutique ; mais quand je décide de ne pas intervenir, il est bien plus rare que la suite me démente : le malade meurt. De sorte que même quand on connaît la fin de l’histoire on n’est pas forcément plus avancé pour dire ce qu’il aurait fallu faire.

Mais d’autre part il faut tenir compte du fait que pour votre mère les choses étaient beaucoup plus mélangées : d’un côté elle ne voulait plus êtres hospitalisée, de l’autre elle voulait se battre. Les professionnels ne pouvaient pas ne pas tenir compte de cette ambivalence, et ne pas la prendre en charge avec un minimum d’agressivité.

Durant cette semaine là et surtout le week-end, j’en ai profité pour respirer un peu...Maman solo, j’ai pris du temps avec mon fils. J’étais si fatiguée de tout ça. Je voulais profiter de rares moments seule avec mon fils, car je savais qu’elle allait revenir à la maison et qu’après ce serait plus difficile.

Et vous avez fort bien fait. Si vous mentionnez ce point c’est parce que vous en éprouvez une culpabilité. Il ne faut pas : vous aviez le devoir de faire comme vous avez fait. Mais laissez la culpabilité agir : comme je l’ai écrit ailleurs, c’est un sentiment qui fait partie du deuil normal, et qui est là, mystérieusement, pour vous aider à le faire.

L’infirmière lui refusait l’accès à la chaise pour aller aux toilettes sous prétexte que ça pouvait aggraver son état. J’ai appelé, j’ai expliqué à l’infirmière que ma mère ne demandait qu’un peu de dignité. La pauvre, c’est tout ce qui lui restait, la dignité d’aller sur une chaise pour faire ses besoins. Comme maman me l’avait expliquée, pour tout le reste, elle n’en avait plus. La spirale des soins et l’hôpital lui avaient tout pris. Malgré mes insistances, l’infirmière a refusé et a même reproché à ma mère de se plaindre auprès de moi.

Je n’y étais pas ; mais cette scène est caractéristique. Car si une malade est dans un tel état que l’asseoir pourrait être dangereux pour elle, alors il coule de source que c’est une situation très grave pour laquelle il n’y a rien d’autre à faire que d’abandonner les soins. Sauf, donc, si on me justifie clairement cette argumentation, le désir de votre mère l’emportait sur toute autre considération.

J’étais sous le choc. Comment était-ce possible ? Elle était partie de la maison une semaine plus tôt en allant mieux...

Je commente à peine : ces situations sont tellement précaires et instables qu’il est banal de voir de telles aggravations.

On demande à me parler DANS LE COULOIR. L’équipe mobile des soins palliatifs est là. Ils demandent à ce qu’on arrête ce qu’ils disent devenir un acharnement avec cette biopsie, que sa qualité de vie future ne sera pas satisfaisante et qu’il faut arrêter. Toujours dans le couloir, le médecin et l’interne ne sont pas d’accord, ils m’expliquent que si on prend cette décision ce sera irrévocable. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Ils sont là à attendre ma décision et moi je ne suis pas prête. Comment puis-je prendre une telle décision ? (…) Je suis la personne désignée "de confiance" et là je rentre dans un épais brouillard.
Je décide qu’il faut arrêter
.

Tout cela est très dommage. Car il est bon que la famille soit consultée en cas de décision délicate, mais il n’est pas bon que la charge de la décision lui soit imposée. Et la personne de confiance n’a pas mission de décider.

Ce qui me semble se passer, c’est que l’équipe en charge de votre mère était dans une impasse, le savait, mais ne savait pas le penser. Du coup elle a appelé l’équipe mobile de soins palliatifs, et je parierais volontiers que les choses se sont passées comme souvent : l’équipe mobile a été appelée trop tard, et elle se trouve de ce fait déjà en difficulté. Qui plus est elle a donné un avis qui ne convenait pas aux médecins responsables, et c’est pourquoi on vous a demandé d’arbitrer, ce qui me gêne.

Ce que vous racontez ensuite me semble surtout marqué d’une absence de communication. Dès lors que la décision de limiter les soins a été prise il est capital que les proches soient soutenus et accompagnés ; les décisions prises ne me questionnent pas, ce sont des choses que j’aurais pu faire dans la situation que je pressens. Mais si on ne vous a rien expliqué, vous ne pouviez pas ne pas être dans une perplexité très douloureuse. Et il aurait fallu vous expliquer que le mieux que vous observiez n’était qu’un leurre, les sédatifs lui permettant d’être plus calme mais pas de récupérer, du moins pas significativement. En somme on a oublié de vous dire qu’elle était mourante.

L’équipe mobile n’est pas revenue. Elle ne le pouvait pas. Les équipes mobiles de soins palliatifs n’interviennent que si on les appelle, elles ne font pas de prise en charge directe, et il y a gros à parier que les médecins qui la soignent n’ont pas voulu la rappeler.

La suite se passe de commentaires. L’agonie, il faut l’expliquer, mais encore faut-il que les médecins connaissent cette question ; souvent ils n’ont jamais vraiment accompagné une agonie. Le râle doit être dédramatisé ; et il doit être traité ; le plus souvent c’est très simple, il suffit de tourner le malade, et de se souvenir que lui n’est pas gêné, c’est nous qui souffrons du râle.

Et les sentiments contradictoires qui vous assaillent sont normaux eux aussi, surtout compte tenu de cet accompagnement qui, à vous lire (car dans la souffrance on n’entend pas tout, on ne comprend pas tout) a été inadéquat. C’est pourquoi vous dites à la fois que vous vouliez une sédation plus profonde mais qu’elle puisse vous parler ; c’est pourquoi vous dites que vous l’auriez euthanasiée mais que vous auriez aussi voulu qu’on s’acharne.

Il faut du temps pour vous calmer. Il faut du temps pour apprivoiser la culpabilité, qui se manifeste en réalité dans tout deuil normal. Il faut du temps pour faire la part de ce qui relève de votre détresse d’avoir perdu votre mère et ce qui relève des imperfections de la prise en charge. Mais ce que je crois c’est que vous vous êtes comportée de manière droite et vaillante, et que vous pouvez, au contraire, être fière de ce que vous avez fait.

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.