Malice, ruse, mensonge - commentaires Malice, ruse, mensonge 2020-08-02T05:36:02Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16757 2020-08-02T05:36:02Z <p>Dit comme ça les choses me semblent plus simples : c'est en effet la mesure de tutelle qui résout ce genre de difficulté, et le juge n'est pas nécessaire. La seule anomalie, mais elle est énorme, c'est que si la mesure de tutelle donne au tuteur le droit, le devoir, de prendre des mesures concernant la santé et l'hygiène elle s'obstine à vaticiner que la personne protégée choisit son lieu de résidence, voire qu'elle peut se marier (mais, tout de même, pas voter).</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-08-01T20:23:00Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16755 2020-08-01T20:23:00Z <p>Effectivement, le droit ne parle heureusement pas de tout, et il doit absolument régler la question de toutes les contraintes. Alors, qu'il ne dise rien des choix individuels relatifs à l'hygiène et des conséquences de ces choix, sauf peut-être lorsque cela résulte indirectement d'une autre contrainte. Si le choix de la résidence est imposé par les circonstances, et qu'il est alors normal qu'un juge se prononce, alors n'est-il pas normal qu'il se prononce aussi sur le niveau de capacité de la personne contrainte sans en laisser l'initiative aux soignants ?</p> Malice, ruse, mensonge 2020-08-01T19:45:29Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16754 2020-08-01T19:45:29Z <p>Le droit ne parle pas de tout. C'est pourquoi il y a des débats éthiques (enfin, comme je vous le disais plus tôt, ce n'est pas si simple).</p> <p>Faut-il que le droit se saisisse de cette question ? Peut-être. Mais je ne crois pas, sauf à le voir réglementer des choses qui ne le regardent pas ; j'ai suffisamment dit ce qui se passe quand le droit met ses pattes sales dans les questions de fin de vie.</p> <p>Sur les admissions en maison de retraite, par contre, je suis formel : car <i>Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d'arrêter, d'enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle</i> (Code Pénal 224-1). Ce n'est donc pas trop demander à la loi que de préciser ce qu'il en est.</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-08-01T18:33:12Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16753 2020-08-01T18:33:12Z <p>Bonjour Dom,<br class="autobr" /> la question sous-jacente que j'ai à l'esprit est : peut-on qualifier d'éthique une question que le droit est susceptible de régler d'une façon éthiquement satisfaisante, ce qu'il ne ferait pas, pour une raison ou une autre. Est-ce aux soignants dé développer une réflexion éthique par défaut du droit ou de son application ?</p> Malice, ruse, mensonge 2020-08-01T13:44:49Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16752 2020-08-01T13:44:49Z <p>Non seulement il n'y aurait aucune raison de limiter les échanges à la question posée par Stéphanie, mais la question soulevée par Un Autre ne s'en éloigne nullement, elle est au contraire centrale : ce que Stéphanie cherchait, c'était une règle applicable ; or son problème est dans sa nature celui évoqué par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et u Citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. <i>Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi</i>. » ; et ici la loi ne dit rien.</p> <p>Il est donc indispensable de se demander quelles sont les conséquences de ce silence de la loi.</p> <p>Quant au bon sens ordinaire, s'il suffisait, ça se saurait ; c'est le bon sens ordinaire qui conduit les soignantes à adopter des stratégies qui heurtent Stéphanie ; et s'il en va ainsi c'est parce que le <i>common sense</i> est à géométrie au moins aussi variable que le bien ou le beau. Dans cette discussion la seule place que je reconnaisse au bon sens est de rappeler que nous parlons de choses qui sont objectivement de peu de conséquence (avec une réserve toutefois s'agissant de ce que cela peut induire dans le psychisme d'un dément), et que pour cette raison il n'y a pas lieu d'en faire une affaire. M'importe beaucoup plus le conseil que je donne à Stéphanie de ne pas perdre de vue la nécessité, éthique, elle, de discuter ces questions en équipe.</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-08-01T12:52:21Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16751 2020-08-01T12:52:21Z <p>Excusez-moi, Messieurs, mais je me demande si nous ne sommes pas en train de nous éloigner très fort du questionnement de Stéphanie. </p> <p>Son souci est d'abord et avant tout d'être "une bonne infirmière", et elle pose la question en termes d' "éthique". </p> <p>Peut-être qu'un début de réponse à ce questionnement pourrait être de rappeler que pour être un "bon professionnel" (dans n'importe quel domaine), il faut réunir quatre conditions (dont l'éthique n'est que l'une d'entre elles) :</p> <p><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> connaître et maîtriser son domaine de compétence technique ; concernant ce premier point, nous pouvons admettre que les études et l' "apprentissage" de Stéphanie l'ont normalement armée pour "savoir ce qu'elle doit faire quand, où et comment. (Mais nous ne devons pas oublier que sa "maîtrise technique" ne repose "que" sur les connaissances scientifiques officielles communément dispensées dans les écoles d'infirmières, à l'exclusion de toute contestation de la vérité académique.)</p> <p><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> respecter la loi ; les choses se compliquent, indiscutablement, quand la loi est absurde ou inapplicable (votre débat sur "le droit pour les personnes sont tutelle de choisir leur lieu de résidence". J'y ajouterais toute la législation sur "les directives anticipées"). Toutefois, dans la plupart des cas, la loi pose des interdits et des limites.</p> <p><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> se conformer aux normes "éthiques" (et non forcément "inscrites dans la loi") admises et/ou recommandées par la profession ; ici, c'est plus ambigu. Une norme "éthique" qui s'applique à telle profession ne s'applique pas à telle autre. Un "trader" ne pense pas comme un membre de L214 (pour forcer le trait), leur vision de l'éthique est forcément divergente, voire opposée, puisqu'elle se fonde sur "le plus grand bien possible pour le plus grand nombre". Chacun, bien sûr, peut être convaincu, in fine, d'œuvrer pour un optimum, qu'il soit économique ou sociétal. </p> <p><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> être capable de bon sens ordinaire, de bonne volonté, d'improvisation et d'absence de dogmatisme dans tous les cas non couverts par les trois points précédents. Je redonne ici cette citation de la règle de Saint Benoît que j'aime beaucoup (quoique je ne l'ai pas retrouvée telle quelle dans ladite Règle) : "En cas de difficulté, les moines feront ce qu'ils peuvent". Ma compréhension de cette règle apocryphe est que si les moines bénédictins ont suffisemment "intériorisé", pendant des années, tous les impératifs de comportement posés par LA Règle, ils ne seront pas pris au dépourvu dans une circonstance imprévue et sauront, quasi-instinctivement, ce qu'ils DOIVENT faire pour faire bien. Évidemment, ce n'est pas une approche très satisfaisante dans une époque qui prône à la fois "le libre-arbitre" et, à l'opposé, une "judiciarisation" systématique (y compris dans des cas manifestement outranciers). </p> <p>Mais j'aime à penser qu'elle doit pouvoir guider une jeune femme qui a envie d'être "une bonne infirmière". </p> Malice, ruse, mensonge 2020-08-01T10:33:14Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16750 2020-08-01T10:33:14Z <p>Globalement, oui : le respect de la loi est un principe qui rend non avenu le débat éthique. Resterait à débattre des éventuelles situations où le droit contreviendrait à des principes tenus pour éthiques (par exemple dans le cas du "délit de solidarité").</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-08-01T09:24:27Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16749 2020-08-01T09:24:27Z <p>D'accord. Mais ne dites-vous pas que la loi est mal écrite et mal appliquée ? Et qu'en conséquence, c'est un problème de droit qui ne se transforme en question éthique pour le soignant qu'en raison d'un défaut du droit.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-08-01T07:13:06Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16748 2020-08-01T07:13:06Z <p>Bien sûr, c'est réglé. Mais c'est réglé à la française. Article 1 : on a un droit. Article 2 : on ne l'a pas.</p> <p>Ici quelle est la question ?</p> <p>Il existe des cas où la vieille personne est expédiée par ses enfants en maison de retraite, alors que ce n'était pas sa volonté. Et je distinguerais quatre situations : <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Le sujet qui ne veut pas aller en maison de retraite alors qu'il crève les yeux qu'il ne peut pas rester chez lui. <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Le sujet qui a renoncé : « Oh, Docteur, maintenant ce sont les enfants qui décident ». <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Le sujet victime d'abus de la part d'enfants qui veulent faire main basse sur la maison ; situation rare, et bien plus nuancée qu'on ne pense, si je n'ai pas écrit là-dessus il faudra que je le fasse. <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Les situations qui se discutent.</p> <p>Il s'est trouvé de belles âmes parlementaires pour s'émouvoir des risques d'abus. D'où la formulation retenue, qui satisfait la bonne conscience, au moins autant que quand on donne la personnalité juridique à un fleuve. Alors que la question est de savoir ce qu'on fait des personnes qui ne peuvent pas effectuer ce choix. Ici il n'y a pas de place pour l'hésitation : la personne protégée choisit, et dès lors on se demande bien quelle pourrait être la difficulté. On est en pleine stupidité : si la personne protégée est en mesure de prendre une décision aussi complexe que de choisir son lieu de résidence on se demande pourquoi on la protège.</p> <p>Je supporte très mal cette hypocrisie, tout comme je ne supporte pas qu'on crée dans les maisons de retraite des unités fermées dont j'attends toujours qu'on me définisse le statut juridique. À ma connaissance il existe deux, et deux seulement, lieux de privation de liberté : les hôpitaux psychiatriques et les prisons. Dans les deux cas le contrôle du Juge est systématique ; ce n'est pas pour rien.</p> <p>Les conséquences sont multiples. Par exemple : <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Dans les faits, je n'ai jamais vu un juge statuer sur cette question. Tout simplement parce que si le texte mentionne : <i>En cas de difficulté</i>, il se garde bien de dire qui constate la difficulté. <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Le texte concerne les seules personnes sous tutelle. Or la réalité de terrain, c'est celle de ces personnes dont les fonctions supérieures ne sont pas altérées au point qu'on puisse parler de démence, mais qui sont si attachées à leur maison qu'elles s'accrochent désespérément à un projet irréaliste.<br class="autobr" /> Etc. Et comme le texte n'est d'aucun secours on est bien forcé de poursuivre le <i>business as usual</i> en s'asseyant sur la volonté de la personne et en passant de petits arrangements avec l'Établissement. Ce qui n'est pas forcément choquant : on peut dire que ces décisions sont par nature individuelles, et que la seule solution est le cas par cas, ce qui fait qu'elles échappent par nature à la loi. Mais alors il ne fallait pas écrire de loi, il ne fallait pas proclamer un droit qui se trouve inexerçable. Vous écrivez : <i>Ce qui voudrait dire qu'une personne protégée devrait réfléchir avant de créer des problèmes liés à sa résidence</i>, et c'est très révélateur, car vous pensez bien que si elle était capable de se poser ce type de question elle ne serait pas sous tutelle. Et vous vous demandez : <i>Est-ce que cela signifie qu'en cas de difficulté, le juge statue sur des questions qui dépassent le choix du lieu de résidence, mais concernent les conditions même de résidence ?</i> Le Juge a en dernier ressort un pouvoir discrétionnaire sur toutes les questions. Ce pouvoir est limité par : <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Le fait qu'il a du bon sens. <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Le fait qu'il n'a pas le temps de faire son boulot. <br /><img src='https://michel.cavey-lemoine.net/squelettes-dist/puce.gif' width="8" height="11" class="puce" alt="-" /> Le fait que ses décisions sont des jugements, donc susceptibles d'appel et de cassation.</p> <p>Tout de même, il était simple de faire plus clair. Et je le redis : quand on cisèle ce type de décision alors qu'on n'a même pas précisé le statut juridique des lieux d'enfermement, on se moque du monde.</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-07-31T14:58:49Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16747 2020-07-31T14:58:49Z <p>Je ne suis pas allé au delà de cette simple recherche. La question n'est-elle pas réglée par l'article 459-2 du code civil : "La personne protégée choisit le lieu de sa résidence. (...) En cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué statue."</p> <p>Est-ce que cela signifie qu'en cas de difficulté, le juge statue sur des questions qui dépassent le choix du lieu de résidence, mais concernent les conditions même de résidence ? Ce qui voudrait dire qu'une personne protégée devrait réfléchir avant de créer des problèmes liés à sa résidence, sous peine de voir limiter toutes ses libertés qui n'aurait peut-être pas été concernées par cet article en l'absence de difficultés strictement liées à sa résidence.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-07-30T17:20:04Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16746 2020-07-30T17:20:04Z <p><i>Mais dans l'exemple que vous donnez d'une personne qui ne veut pas se laver, la question n'est-elle pas tout simplement celle du droit de la personne à décider de se laver ou pas ? Qu'en serait-il d'un enfant ? N'est-ce pas au droit de dire si le soignant peut et quand décider pour la personne ?</i></p> <p>Bonjour, Un autre.</p> <p>C'est vrai et faux.</p> <p>C'est vrai dans l'absolu. C'est bien pour cette raison que je plaide pour que soit instituée une procédure qui permette au médecin qui veut faire entrer en maison de retraite une personne qui s'y refuse de saisir le Juge sur ce seul point. Mais vous voyez bien que la loi fait tout le contraire en disposant que même sous tutelle la personne choisit son lieu de résidence, ce qui est totalement irréaliste.</p> <p>C'est faux dans la mesure où la personne qui refuse de se laver pose d'abord un problème de soin. Redisons-le : si elle est libre de ses choix, et si notamment ses fonctions supérieures lui permettent cette liberté, alors la solution est simple : ou bien elle accepte les règles de la vie en collectivité ou bien elle quitte la collectivité. Mais en général la personne qui refuse de se laver souffre de problèmes psychiatriques ou cognitifs. La loi a fait ce qu'elle pouvait (et vous savez ce que j'en pense), en décidant que <i>lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté</i>, etc.</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-07-30T09:12:57Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16745 2020-07-30T09:12:57Z <p>Bonjour Michel, <br class="autobr" /> l'éthique fonde le droit tout en restant partiellement inaccessible : identifier les principes en jeu, identifier les principes qu'il faudrait ne pas appliquer, identifier les principes qu'il ne faudrait absolument pas écarter, tout cela selon un objectif, des valeurs ou d'autres principes plus ou moins explicités par les règles de droit.</p> <p>Mais dans l'exemple que vous donnez d'une personne qui ne veut pas se laver, la question n'est-elle pas tout simplement celle du droit de la personne à décider de se laver ou pas ? Qu'en serait-il d'un enfant ? N'est-ce pas au droit de dire si le soignant peut et quand décider pour la personne ?</p> <p>Bien à vous,</p> Malice, ruse, mensonge 2020-07-30T06:30:51Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16744 2020-07-30T06:30:51Z <p>Bonjour, Dom.</p> <p>Nous avons déjà parlé de cet exemple, et vous savez combien je partage votre point de vue. Quand on veut reconstituer autour du dément un monde qui serait « comme chez lui », on ne fait que manifester sa méconnaissance crasse de ce qu'il vit réellement, et qu'un peu d'observation permettrait pourtant de découvrir (ah, l'anosognosie…). Pire : comme vous le soulignez, on le place dans un monde qu'on pourrait à bon droit qualifier de kafkaïen, monde qui est <i>comme chez lui</i> alors que la seule chose qu'il n'a pas oubliée c'est qu'il n'est <i>pas chez lui</i>. Le monde du <a href="https://www.dailymotion.com/video/x77hsl" class="spip_out" rel='nofollow external'><i>Prisonnier</i></a>, en somme.</p> <p>Mais j'apporterais deux réserves.</p> <p>La première est, bien sûr, qu'il ne faut pas être catégorique : ma belle-mère a voulu des meubles qui lui rappellent sa maison.</p> <p>La seconde est beaucoup plus importante : ce dont je parle à propos de la variabilité du bien ne relève d'une ignorance mais d'un questionnement philosophique majeur.</p> <p>Comment fait-on pour définir le beau ? Nous savons tous que c'est un problème infernal, et que dans le musée nous n'avons pas plus de ressources que Monsieur Jourdain. Nous admirons la Joconde parce qu'il y a un surmoi culturel qui nous interdit de la trouver moche ; pour avoir lu, relu et approfondi je suis devenu (relativement) capable d'admirer le travail du peintre, de saisir son idée, de ressentir une certaine émotion devant l'œuvre. Mais je n'en voudrais pas chez moi. N'allons pas plus loin, ce n'est pas le lieu ; ne dissertons pas de la différence entre le joli et le beau. Je crois savoir que Kant sert toujours de référence dans ce domaine, mais quand il écrit : <i>le beau est ce qui plaît universellement sans concept</i>, je veux bien un exemple.</p> <p>Il en va de même pour le bien ; je crois même que cette question pourrait à elle seule résumer toute l'histoire de la philosophie. Les conceptions changent pour des raisons somme toute légitimes : par exemple pour un philosophe grec l'homme digne de ce nom garde son autonomie de décision quelles que soient les circonstances extérieures et les adversités qui l'assaillent ; pour un marxiste il y a les libertés fondamentales et les libertés formelles. Mais elles changent aussi pour des raisons beaucoup plus glauques d'opportunité, comme on le voit tous les jours.</p> <p>C'est pour moi la principale critique à adresser à l'éthique téléologique.</p> <p>Je ne méconnais pas que ma formation chrétienne me fait plus proche de l'éthique déontologique : je n'aime pas l'idée qu'on pourrait se passer de principes (ce qui ne m'empêche nullement de choisir le principe qui m'arrange, et même, en tant que de besoin, d'en inventer). Mais il demeure que je ne saisis pas comment on peut fonder une éthique sur une notion aussi mouvante que le bien.</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> Malice, ruse, mensonge 2020-07-29T22:09:00Z https://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article152#comment16743 2020-07-29T22:09:00Z <p>"Une chose est bonne si elle fait le plus de bien possible au plus de monde possible. Soit. Encore faudrait-il définir un peu plus précisément ce qu'est le bien."</p> <p>Et plus précisément encore, quel est le bien qui fait "le plus de bien possible" à la personne à qui l'on veut du bien. </p> <p>J'ai un exemple précis en tête : il s'est produit, je crois, dans les dernières décennies, une assez grande révolution dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes, lorsque l'on s'est avisé que toutes démentes qu'elles soient, elles avaient juste envie de vivre "comme avant". Il s'en est suivi un certain nombre d'initiatives visant à "humaniser", à "personnaliser" l'environnement collectif qui devient, par la force des choses, leur dernier lieu de vie. Cela va de la (forte) suggestion aux familles de "meubler" la chambre (individuelle) de leur proche avec un maximum de photos, de bibelots, de meubles, d'objets familiers ou de linge de toilette personnel, jusqu'à la création de véritables "villages factices" qui miment la vie "normale", avec "supérette", salon de coiffure vintage et wagon de train derrière les vitres duquel défilent des paysages. Il semble aujourd'hui qu'il existe un consensus sur l'excellence de cette approche. </p> <p>Pour ma part, je n'y ai jamais cru. J'ai dû "placer" ma mère en EHPAD quand il lui est devenu impossible de rester chez elle, quelle que soit l'armada d'assistance déployée pour la maintenir à domicile. Et comme d'innombrables proches dévorés par la culpabilité, j'ai dû affronter, à chaque visite, la redoutable question : "Quand est-ce que tu me ramènes chez moi ?" (avec toutes ses variantes). Comme d'innombrables proches, j'ai menti à moitié : "Pour le moment il faut d'abord que tu te retapes un peu". Autrement dit, j'ai joué la carte du "provisoire", parce que déjà aussi "loin" qu'ait été ma mère, si il y a bien une chose dont je suis sûre qu'elle était clairement et parfaitement consciente, c'est que l'EHPAD, c'était pas "son chez elle".</p> <p>J'ai donc refusé de "personnaliser" sa chambre, j'ai posé sa valise en évidence, et je l'ai pourvue d'une large quantité de serviettes de toilette d'hôtel, uniformément blanches. Fiction pour fiction (ou mensonge pour mensonge), celui-ci m'a semblé moins "malhonnête" que l'autre. </p> <p>J'ai donc, personnellement, choisi pour ma mère ce que je pensais lui être "le plus grand bien possible" - c'est-à-dire lui laisser l'espoir d'un retour en arrière. Je ne prétends certainement pas que mon choix était plus juste ou mieux avisé que celui de la science gériatrique moderne, je veux juste montrer qu'il n'existe probablement pas, dans ce domaine, de "bien absolu" qui balayerait toutes les objections et réglerait toutes les questions éthiques que l'on peut se poser lorsqu'on veut "faire au mieux". </p> <p> </p>