Que faire quand on est inquiet ? Une petite fiche technique à destination des équipes soignantes

22 | (actualisé le ) par Michel

Il arrive assez souvent qu’un sujet âgé en hôpital ou en institution se mette à ne pas aller bien.

L’observation courante montre que les professionnels ont tendance à sous-estimer l’importance des informations qu’on leur donne, et que cette sous-estimation suit la voie hiérarchique : quand l’aide-soignante s’inquiète elle en parle à l’infirmière dont la réaction est fréquemment de considérer que l’aide-soignante s’inquiète pour rien ; et quand l’infirmière alerte le médecin, celui-ci a une forte tendance à penser qu’elle s’affole. Peu importe ici les raisons de cette sous-estimation [1] ; le résultat est que l’alerte est souvent prise en compte avec retard.

Or s’il est une donnée capitale, c’est que la prise en soins de la personne âgée ne souffre aucun retard : de nombreuses situations sont aisément réversibles si on les prend comme des urgences, et aboutissent à des catastrophes si on ne le fait pas. Retenons deux principes de base des soins gériatriques :
- La personne âgée a besoin qu’on se batte pour elle comme on le ferait pour une personne jeune ; la seule différence est qu’on se bat moins longtemps.
- Chez une personne âgée (comme chez l’enfant après tout) il n’y a pas d’autre solution que de considérer toutes les situations comme des urgences. Neuf fois sur dix c’est faux ; mais on se bat pour la dixième.

Dans certaines circonstances il existe des symptômes particuliers qui orientent tout de suite le raisonnement. Ou qui devraient l’orienter : un grand piège est que chez le sujet âgé les symptômes sont souvent discrets, ou peu évocateurs ; d’où l’erreur fréquemment commise de se rassurer à bon compte, alors qu’il n’y a aucun rapport entre l’intensité des symptômes et la gravité de la situation.

Mais il y a un grand nombre de cas où le soignant qui s’inquiète ne sait pas dire exactement ce qui l’inquiète. Compte tenu de ce que nous venons d’écrire, la seule manière de procéder en sécurité est d’ajouter un troisième principe :
- C’est le soignant qui s’inquiète qui a raison, et ce jusqu’à preuve du contraire.

Mais naturellement il est très fréquent que, quand l’alerte est donnée, il n’y ait pas de médecin sur place. Que doit faire alors l’infirmière ?

LA PROCEDURE D’INQUIETUDE

Une proposition est de standardiser la réaction des équipes en mettant en place, sous forme d’une fiche réflexe, une procédure à appliquer systématiquement dès qu’une alerte est donnée dans l’équipe, et ce quelle que soit la raison de cette alerte.

l °) : TÉLÉPHONER AU MÉDECIN.

Il ne peut être question de se contenter de demi-mesures, car de deux choses l’une : ou on s’inquiète pour rien, et la procédure sera simplement mise en place pour rien, ou on s’inquiète pour quelque chose et c’est une urgence.

L’exemple de réaction absurde est l’utilisation de l’oxygène. La scène se passe au matin, à l’arrivée du médecin ; on lu rapporte qu’un malade s’est mis à respirer mal, l’équipe de nuit a mis de l’oxygène, et les choses sont rentrées dans l’ordre.

Certes l’équipe a bien fait de mettre de l’oxygène.

Mais de deux choses l’une : ou elle s’est trompée, et elle a simplement mis de l’oxygène pour rien ; ou elle ne s’est pas trompée et alors ce malade était en grand danger. Et en se contentant à administrer de l’oxygène, on a perdu de précieuses heures, car quel était le danger ?
- Une embolie pulmonaire ?
- Un infarctus ?
- Une pneumopathie ?
- Une défaillance cardiaque ?

Si le malade respire mal, il faut que l’équipe de nuit mette de l’oxygène ; mais il est absurde de mettre de l’oxygène au malade si dans la minute qui suit on ne réveille pas le médecin.

De la même manière, si l’équipe s’inquiète la première chose à faire est d’alerter le médecin. Naturellement cela suppose un monde idéal où le médecin tient compte de l’alerte. Mais à la limite l’équipe aura au moins déchargé sa responsabilité.

2°) : RECHERCHER UNE DOULEUR.

Cet item se passe de commentaire : un malade qui s’agite, qui ne mange pas, qui se replie sur lui-même, surtout s’il est dément, est toujours suspect d’avoir mal. On sait combien cette recherche peut être difficile ; mais précisément on aura gagné un temps précieux en appliquant une des échelles disponibles, que ce soit le Doloplus ou l’ECPA, pour pouvoir
donner quelques indications au médecin.

3°) : PRENDRE LA TEMPÉRATURE.

Ici également il y a peu à dire, et en général les équipes y pensent. Rappelons que la prise de température rectale est devenue interdite.

4°) ; PRENDRE LA TA ET LE POULS.

Si la tension est souvent prise, le pouls est plus souvent oublié. Or cela permet de repérer trois situations au moins :
- Les accélérations, qui orientent notamment vers une douleur, une embolie pulmonaire, une décompensation cardiaque...
- Les ralentissements, qui peuvent orienter vers un trouble du rythme menaçant.
- Plus difficilement les passage en arythmie, qui sont souvent inconfortables pour le patient.

S’agissant de la tension, il faut se souvenir que ce n’est pas l’hypertension qui pose problème. Quand la tension monte elle ne donne pas de symptômes, à moins de dépasser 200 mmHg (et encore) ; par contre l’élévation tensionnelle est souvent le reflet d’autre chose, par exemple d’une douleur. [2]. Non : ce que l’on cherche, c’est surtout l’hypotension artérielle, qu’elle soit liée à une déshydratation ou à un problème cardiologique.

5°) : FAIRE UNE GLYCÉMIE CAPILLAIRE.

On doit se souvenir ici que ce ne sont pas les élévations de la glycémie que l’on recherche : elles se produisent dans un contexte totalement différent, et il est absurde d’attribuer des symptômes à une glycémie qui reste au-dessous de 4 g. Tout comme pour la prise de tension, ce qu’on cherche c’est l’hypoglycémie, qui est fréquente et peut laisser de lourdes séquelles. Et si on trouve une hypoglycémie il faut la traiter tout de suite. A la limite on pourrait dire que si dans le service il n’y a pas de matériel pour faire cette glycémie, l’équipe devrait donner systématiquement du sucre :
- Si le malade est en hyperglycémie, on l’aggravera, mais pas beaucoup.
- Si la glycémie est normale, le geste sera sans importance.
- Si le malade est en hypoglycémie on l’aura sauvé.

6°) : PRATIQUER UNE BANDELETTE URINAIRE.

Car l’infection urinaire est un grand pourvoyeur de troubles en tous genres, et la seule manière de la détecter est de la rechercher systématiquement. Donnons une règle : les flacons de bandelettes urinaires contiennent 100 bandelettes et se périment en trois à quatre semaines. Cela correspond à la consommation mensuelle d’un service de gériatrie normal.

Ajoutons que la bandelette va donner un autre élément trop souvent négligé : la densité urinaire, indispensable pour évaluer une déshydratation.

7°) : ENREGISTRER UN ECG.

Il ne faut pas compter sur la clinique pour diagnostiquer un infarctus chez le sujet âgé : la douleur manque souvent, et il faut se contenter de vomissements, d’agitation, de prostration... Il est donc indispensable de mettre le tracé à la disposition du médecin. On gagnera ainsi un temps précieux.

8°) : SE RENSEIGNER SUR LA QUALITÉ DE L’APPÉTIT (si doute peser ).

La question de savoir pourquoi le malade ne mange pas est un autre problème, qui est étudié dans d’autres pages de ce site, et on ne va pas traiter cela en urgence. Reste que l’anorexie est un élément de surveillance fondamental, trop souvent négligé lui aussi.

9°) : VÉRIFIER LA DATE DES DERNIÈRES SELLES.

Car le fécalome est source d’une foule de symptômes, et que la surveillance des selles est la seule manière de le dépister. Rappelons qu’il faut se méfier des fécalomes constitués à bas bruit chez des patients qui continuent à avoir des petites selles, d’ailleurs souvent liquides. Rappelons la règle : tout sujet âgé qui a une diarrhée est constipé jusqu’à preuve du contraire.

10°) : RECHERCHER UN GLOBE VESICAL.

La rétention d’urine elle aussi se manifeste souvent par des symptômes qui n’ont rien à voir avec la sphère urinaire, qu’il s’agisse d’agitation, de vomissements (rappelons cette autre règle : chez le sujet âgé, tout symptôme digestif impose de rechercher une pathologie urinaire. Or non seulement le diagnostic de rétention d’urine est particulièrement difficile, mais encore tout professionnel normalement constitué oublie d’y penser au moins deux ou trois fois par an.

Tous ces éléments sont indispensables, et on peut prévoir que de toute manière le médecin les demandera quand il arrivera. Non seulement on gagne ainsi un temps précieux mais encore on lui donne un moyen de ne pas oublier certains aspects du problème.

Il reste ensuite à :

11°) : OBTENIR UNE RÉPONSE DU MÉDECIN.

12°) : REDISCUTER AVEC LE SOIGNANT QUI A DONNE L’ALERTE.

13°) : TRANSMETTRE SUR LE DOSSIER DE SOINS

Ceci ne résout nullement le problème, qui reste sous la responsabilité du médecin. Mais on ne préservera les chances des sujets âgés que si toute alerte est prise au sérieux. Et ce sans se décourager : car dans l’immense majorité des cas il s’agit d’une fausse alerte. Redisons-le : on fait tout cela parce que, parfois, le malade est en train de jouer sa vie...

Notes

[1On aurait de fortes chances de tomber juste si on se disait qu’elle est due en partie au désir du professionnel de montrer qu’il sait mieux que l’autre, et en partie à une réaction contre sa propre inquiétude plus ou moins inconsciente.

[2Rappelons que le sujet âgé est très sensible aux à-coups tensionnels, et qu’il faut éviter de faire baisser une tension trop brutalement, surtout en cas d’accident vasculaire cérébral.