Le sondage urinaire en fin de vie Avec quelques réflexions sur les tuyaux en fin de vie.

91 | par Michel

LA SONDE URINAIRE EN FIN DE VIE : INDICATIONS, NON-INDICATIONS, QUESTIONS

POURQUOI POSER DES TUYAUX EN FIN DE VIE ?

Disons-le tout de suite : il ne faut pas en faire de cette question une affaire de principe. Il fut une époque où on rechignait en soins palliatifs à poser la moindre perfusion : la règle était que le malade devait mourir avec zéro tuyau [1]. Cette conception était passablement dogmatique, et il est heureux qu’on en soit revenu.

Le problème des tuyaux en fin de vie se pose de la manière suivante :
Une perfusion, une sonde, un masque, sont des sources d’inconfort.
- Le fait pour le malade de se trouver branché à un flacon, une poche, un générateur, entrave sa liberté de mouvement.
- Ce même fait lui met en scène sa dépendance.
- Il renvoie à l’entourage une image très impressionnante.
- La sonde urinaire, de surcroît concrétise encore plus douloureusement son inaptitude à une vie sexuelle.

Ces arguments contre les tuyaux sont très forts. Mais il y a des arguments pour :
- Le tuyau a beau être une source d’inconfort, il est des situations où c’est une source de confort.
- Le tuyau peut être indispensable pour des raisons d’efficacité.

Mais au fait, pourquoi cette question ? Le malade n’est-il pas de toute manière très affaibli, grabataire, de sorte que la question de son autonomie n’est que de pure forme ?

Certes, on rencontre des situations de ce type. Mais c’est une lourde erreur que de les banaliser : même en extrême fin de vie le but de la prise en soins est le maintien de l’autonomie (aussi longtemps du moins que le malade le désire), et en soins palliatifs la fatigue du malade est une préoccupation constante, qu’on ne songe pas à prendre comme une fatalité, et contre laquelle on lutte par tous les moyens : en soins palliatifs on sait lutter contre la dénutrition, on sait maintenir la rééducation, on sait utiliser les stimulants, et surtout on sait éviter les surdosages en sédatifs de tous ordres.

Mais revenons à la sonde urinaire : en bref il faut retenir comme règle de bon sens qu’en fin de vie on a le droit de mettre tous les tuyaux qu’on veut à la double condition de savoir pourquoi on le met et de savoir reconsidérer systématiquement l’indication [2].

TROIS INDICATIONS DE LA SONDE URINAIRE

LA MESURE DE LA DIURÈSE :

Elle est classique en anesthésie, en réanimation, en cardiologie, en néphrologie. Naturellement elle a beaucoup moins d’intérêt en fin de vie, où le volume urinaire est rarement une préoccupation. Notons tout de même que « rarement » ne signifie pas « toujours » : par exemple quand un malade atteint d’un cancer en fin de vie fait une défaillance cardiaque, il y a des situations où on peut légitimement décider qu’on va essayer de la traiter ; l’idée d’une sonde urinaire pour guider le traitement peut alors être tout à fait pertinente.

LA RÉTENTION D’URINE :

C’est un accident aigu qui survient lorsque, pour une raison ou pour une autre, la vessie ne peut plus se vider. Mais à partir de quel volume peut-on parler de globe ? Disons pour donner un ordre d’idées qu’une vessie normale contient sans difficulté majeure 500 ml.

Les principales causes des rétentions d’urine sont :

- L’hypertrophie de la prostate : tout de même, le malade en fin de vie est fréquemment un sujet âgé.
- L’infection urinaire, si fréquente chez le sujet affaibli, , en déficit immunitaire, grabataire, qui ne boit plus assez.
- Les troubles neurologiques : paraplégie d’une métastase vertébrale, mais aussi le diabète…
- Le fécalome, notamment causé par les morphiniques.
- Tous les médicaments qui ont un effet direct sur la vessie (morphine, scopolamine, neuroleptiques…).

L’indication du sondage en urgence est absolue :

- Car la rétention d’urine est cause d’un inconfort majeur (douleur, agitation, vomissements).
- Car la rétention d’urine entraîne des risques : rupture de la vessie (exceptionnelle mais gravissime) ; claquage de la vessie (la paroi vésicale est composée de fibres musculaires qui vont se distendre comme un e chambre à air peut faire hernie) ; insuffisance rénale fonctionnelle (par blocage des voies urinaires).
Beaucoup de ces causes sont réversibles : le sondage est souvent nécessaire, il est toujours provisoire.

Le diagnostic des rétentions d’urine est difficile :

- L’essentiel est la douleur, l’agitation ; mais la morphine, qui cause beaucoup de rétentions d’urine, atténue, précisément, la douleur.
- Souvent on peut palper le globe, juste au dessus du pubis ; mais l’examen physique est très trompeur.
En fait il n’y a que deux solutions :
- La plus classique est le sondage exploratoire.
- Une autre, plus moderne est l’échographie au lit du malade, avec un appareil spécifique nommé bladderscan, mais qui a un coût [3].

On passe donc facilement à côté des rétentions d’urine ; c’est pourquoi il est indispensable que toute l’équipe y pense.

Mais il y a des questions :

Faut-il laisser la sonde ? Combien de temps ? Car plus longtemps on laisse la sonde et plus on risque de ne pas pouvoir l’enlever.

On pourrait presque dire que si la rétention d’urine a été vue tôt il est légitime de ne pas laisser la sonde plus de 24-48 h, le temps de faire le point de situation, d’évacuer un fécalome, de traiter une infection, d’éliminer le médicament responsable. Si par contre les choses ont traîné, ou si le volume évacué est très important, alors on peut suspecter une vessie claquée, et il faut lui laisser la possibilité de se réparer, ce qui prend habituellement trois à quatre semaines.

Faut-il faire des sondages répétés ou mettre une sonde à demeure ? Cela se discute en fonction des situations, mais cela se discute. En particulier, si le patient peut décider, c’est lui qui décide [4].

L’INCONTINENCE URINAIRE :

Elle est également très fréquente.

Les principales causes des incontinences urinaires sont :

- La grabatisation.
- L’infection urinaire.
- Le fécalome.
- Les médicaments [5].
- La démence.
- Les troubles neurologiques.
- La rétention d’urine.
Beaucoup de ces causes sont réversibles

L’incontinence urinaire n’oblige jamais à poser une sonde. Il faut donc peser le pour et le contre.

La sonde urinaire est-elle confortable ?

Cette question mériterait d’être étudiée. On a déjà parlé de la dépendance qu’elle entraîne nécessairement. Il faut y ajouter l’inconfort de la pose [6], les inconforts de tous ordres liés aux infections urinaires sur sonde [7], sans parler de cette remarque de simple bon sens : les malades qui s’agitent et réagissent à tout ce qui les gêne ne manquent pas une occasion de s’arracher leur sonde : la sonde urinaire est gênante [8].

On envisage de poser des sondes à demeure dans plusieurs types de situations :

- Au grabataire : parce que le bassin est inconfortable, parce qu’un lit mouillé est inconfortable. Mais la sonde est-elle confortable ? Et que fait-on des autres solutions ? Il y a le pénilex, l’augmentation de la fréquence des changes… [9]
- Au malade chez qui les mobilisations sont douloureuses : ici l’indication est plus convaincante, surtout si on n’a pas oublié de proposer un pénilex. Encore faut-il avoir fait le tour de la question : il est des malades perclus de métastases osseuses, et qui ont mal dès qu’on les touche. Il en est beaucoup plus que la mobilisation tout simplement dérange, ou qui ont peur [10], de sorte que beaucoup dépend de la manière dont on s’y prend. Ici le rôle notamment du kinésithérapeute est essentiel.
- Au malade porteur d’une escarre sacrée, au motif que la macération entrave la cicatrisation ; mais actuellement presque tous les spécialistes de l’escarre s’accordent à rejeter cette indication : d’abord parce que cela ne vaudrait que pour les escarres qu’on espère cicatriser ; ensuite parce que la sonde s’infecte, ce qui aggrave l’état nutritionnel ; enfin parce que le danger des urines est bien faible devant celui des selles ; d’ailleurs les études ont montré que la sonde urinaire n’a pas d’intérêt dans cette indication : il suffit d’augmenter la fréquence des changes.
- Au malade porteur de lésions cutanées, sous le prétexte que la macération peut les entretenir ; mais ici aussi l’augmentation de la fréquence des changes suffit évidemment à résoudre le problème.

CONFORTABLE OU INCONFORTABLE ?

C’est la question essentielle. [11]

- La pose de sonde est un acte inconfortable.
- Mais une fois posée, est-ce un inconfort ?
- Il y a tout de même des malades qui cherchent à se l’arracher.
- Et les autres ? Sont-ils confortables ou résignés ?

La seule solution est donc de demander au malade ce qu’il en pense. On aimerait être sûr que c’est toujours fait.

Notes

[1Il reste à écrire l’histoire d’une esthétique en soins palliatifs.

[2Pour la pratique gériatrique, on ajoutera : à la condition aussi de savoir comment on fera pour l’enlever ; globalement, un tuyau qu’on ne sait pas enlever est un tuyau qu’on n’aurait pas dû mettre.

[3Reste à savoir si on peut réellement s’en passer : c’est le prix de la sécurité, c’est aussi celui du confort, car le sondage n’est pas un acte anodin.

[4On connaît la problématique des autosondages chez le paraplégique.

[5On voit que de nombreuses causes sont communes aux rétentions et aux incontinences.

[6Pour des raisons anatomiques la pose est encore plus pénible chez l’homme.

[7On sait qu’elles sont pratiquement systématiques.

[8Moyennant quoi on n’a pas tout dit quand on a dit cela :
- D’un côté lorsqu’on interroge les malades, ils se plaignent assez peu d’inconfort lié à la sonde urinaire.
- De l’autre il est toujours surprenant de constater que quand le malade tire sur sa sonde gastrique l’équipe est unanime à dire que c’est parce qu’elle le gêne ; par contre s’il tire sur sa sonde urinaire la même équipe déclare que c’est parce qu’il s’agite. Il faudrait aussi écrire sur la symbolique des sondes.

[9On sait que les nouveaux changes arrivés sur le marché ont des capacités d’absorption beaucoup plus importantes. Encore faut-il que les établissements les achètent. On sait aussi que, même hélas en soins palliatifs, la sonde urinaire est volontiers un élément de confort pour les soignants.

[10Beaucoup de soignants, lorsqu’un malade se plaint lors d’une mobilisation, traduisent immédiatement cette plainte en termes de douleur ; cette erreur est très grave, et pour deux raisons au moins :
- La douleur est loin d’être la seule source de souffrance. A voir de la douleur là où il n’y en a pas, à traduire toute plainte en termes de douleur, on court tout simplement le risque de ne pas soulager le malade.
- Une fois qu’on a décidé qu’il s’agissait de douleur, on va naturellement donner de la morphine, dont l’effet sédatif supprimera la plainte du malade en lui ôtant les moyens de se plaindre. C’est ainsi qu’on aggrave indûment sa fatigue ; on a certes un malade beaucoup plus présentable, mais on s’est aussi dangereusement approché d’une variante de l’euthanasie.

[11Mais ce n’est pas la seule : même en fin de vie il faut aussi, répétons-le, considérer les dangers.