Cet article a été revu le 29 novembre 2014

La mémoire Un petit texte pour la formation des soignants

4 | (actualisé le ) par Michel

LA MEMOIRE

Pourquoi s’intéresser à la mémoire quand on étudie la démence ?

Il est naturellement difficile de savoir ce qui se passe dans l’esprit du dément, et de quoi est faite la perte des fonctions intellectuelles. Mais cela n’a guère d’importance : si la seule fonction altérée était la mémoire cela suffirait à expliquer l’essentiel du tableau observé.

A condition, bien sûr, d’avoir une idée exacte de ce qu’est réellement la mémoire. Dans le langage courant nous appelons « mémoire » la seule capacité à stocker et retrouver des souvenirs. Mais la mémoire est une fonction bien plus complexe, qui comprend également l’ensemble des moyens permettant de travailler sur les souvenirs (ainsi dans la mémoire d’un ordinateur il y a le contenu des fichiers, textes, images, etc... mais aussi celui des logiciels). Pour retrouver un souvenir il faut l’avoir mémorisé, mais il faut aussi savoir que le souvenir existe, savoir ce qu’est un souvenir, savoir ce qu’est le langage, savoir qu’on existe, etc. L’amnésique, le sujet qui a perdu ses souvenirs mais pas ses fonctions intellectuelles est très généralement un hystérique.

Il y a plus : la mémoire est bien plus que la simple fonction qui permet de stocker des informations. C’est aussi, et peut-être plus encore, la fonction qui permet d’oublier. Que serait notre esprit si rien jamais ne s’oubliait ? Si tout ce que nous avons vu et connu restait sans cesse devant nos yeux ? La pensée a besoin de place. La mémoire est ainsi la fonction qui permet de trier les informations, de conserver certaines présentes à l’esprit et de ranger les autres si elles ne servent pas.

PHYSIOLOGIE DE LA MÉMOIRE

Essayons de suivre le cheminement d’une information, depuis le moment où elle pénètre dans notre corps jusqu’au moment où elle devient un souvenir utilisable.

LA MÉMOIRE PRIMAIRE :

Regardons un objet ; cette image qui pénètre dans nos yeux est un signal. Mais fermons rapidement les yeux : nous constatons sans peine que durant la seconde où nous venons de fermer les yeux nous percevons encore quelque chose de l’image de cet objet. C’est que notre rétine reste encore quelque temps imprégnée du signal, par un effet de rémanence identique à celui qui permet à l’image de notre téléviseur de se former. C’est là une forme extrêmement primitive de mémoire, qui permet au système nerveux de s’activer et transmettre un influx dans la zone adéquate du cerveau, où se produira la prise de conscience transformant le signal en donnée.

Il faut bien qu’il y ait mémoire pour que le signal ne se perde pas en route. Cette mémoire est la mémoire immédiate, ou mémoire à court terme. C’est cette mémoire à court terme que nous utilisons quand nous nous répétons un numéro de téléphone de peur de l’oublier (et nous avons tendance à le répéter à haute voix, ce qui aboutit à répéter le signal ; c’est pour cette raison aussi que les comédiens apprennent leur texte à haute voix).

La capacité de cette mémoire à court terme est limitée : c’est l’empan mnésique, dont la capacité s’évalue par la répétition immédiate d’une série de chiffres ou de noms. Elle est normalement de 7 à 5.

Naturellement cette mémoire est très dépendante de l’attention et de la capacité de concentration ; le plus souvent les pannes de cette mémoire à court terme sont en réalité des pannes de la concentration. Son efficacité s’altère avec l’âge, et il est habituel de perdre 1 à 2 points d’empan. Cependant une perte excessive a valeur diagnostique : un empan mnésique à 3 mots est un signe fidèle de détérioration intellectuelle. Notons enfin que la mémoire primaire s’éduque, et qu’il est possible par l’entraînement d’améliorer sa performance (ce qui en pratique n’a pas beaucoup d’intérêt).

LA MÉMOIRE SECONDAIRE :

Que faire de cette information ?

La première situation est celle où l’information que j’ai acquise me sert immédiatement. Dans ce cas elle reste au niveau de la mémoire secondaire, qui représente la mémoire de travail ; c’est elle qui permet à la fois de retenir temporairement et de manipuler l’information. Elle est impliquée dans de nombreuses activités cognitives comme la compréhension, la lecture, le raisonnement, etc. Par exemple je ne peux pas lire si ce que j’ai lu ne me reste pas présent à l’esprit pendant un temps suffisant ; si quand j’ai fini de lire une page j’ai oublié ce qu’il y avait au début je ne peux pas arriver à comprendre ce que je lis.

Il faut savoir que la mémoire de travail est là aussi dépendante de l’attention-concentration, quoiqu’à un moindre degré que la mémoire primaire. Par contre elle ne s’altère pratiquement pas avec l’âge : toute baisse d’efficacité de la mémoire de travail signe un trouble intellectuel.

La seconde situation est celle où cette information, une fois acquise, ne me sert à rien, du moins dans l’immédiat. Il faut alors que je la mette quelque part. Il y a des raisons de penser que le cerveau humain normal ne perd jamais aucune information.

Toute la question est de savoir où je la mets, et comment je peux faire pour la retrouver. Et le cerveau résout ce problème en classant les informations, de la même manière que nous classons des papiers.

Je ne sais pas quel a été exactement mon salaire d’octobre. Mais je sais que cette information se trouve sur ma fiche de paie d’octobre ; que je l’ai mise avec mes autres fiches de paie ; que je mets mes fiches de paie dans une chemise « fiches de paie » ; que cette chemise se trouve dans un classeur « papiers professionnels » ; et que ce classeur est dans l’armoire de mon salon. Autrement dit j’ai rangé l’information en y ajoutant d’autres informations plus faciles à retenir, et c’est en refaisant à l’envers les gestes que j’ai faits pour la classer que je vais la retrouver.

Ou encore j’ai créé un système de documentation en soins palliatifs. Dans ce système, j’ai relevé pour chaque document un certain nombre de mots importants (les mots-clés), et je les ai informatisés. Si je veux des renseignements sur la morphine, je vais prendre le mot-clé « morphine » et l’ordinateur me dira que ce mot-clé renvoie au dossier « douleur », document 3, au dossier « SIDA », document 8, etc.

Le cerveau procède de la même façon. Quand j’enregistre une information, je ne le fais jamais isolément. Par exemple, mon enfant m’a téléphoné la semaine dernière, et je m’en souviens ; cela signifie que j’ai constitué dans mon cerveau un classeur « coups de téléphone du gamin », et qu’il me suffit d’ouvrir ce classeur pour y retrouver le souvenir de ses appels. Mais il y a autre chose : je sais aussi qu’il m’a appelé pendant que je faisais du petit salé, qu’il pleuvait dehors et que le matin même j’ai fait ma visite au 3e étage. Je sais aussi que la dernière fois qu’il m’a téléphoné il avait eu une bonne note ; et que j’aime bien qu’il me téléphone. En somme j’enrichis mes informations d’informations annexes qui vont me permettre également de retrouver l’information que je cherche : il y a des chances pour que je repense à ce coup de téléphone la prochaine fois que je ferai du petit salé (ou que le prochain appel me donne envie d’en faire). Littéralement, ça me fait penser à.

Cette fonction de mise en mémoire s’appelle l’encodage. Elle permet le codage et le stockage de l’information : autour de la perception se développent des activités cérébrales supérieures qui enrichissent la perception par :
- Le contexte.
- L’émotion.
- L’interprétation.

Il nous est facile de retrouver des traces mnésiques : le souvenir ne nous est jamais donné isolément.

Nous savons parfaitement aider quelqu’un à retrouver un souvenir en réactivant les encodages oubliés. C’est ce que nous faisons chaque fois que nous disons : « Souvenez-vous : c’était le jour où vous aviez acheté votre maison ». Ce que le dément perd, ce n’est pas tant le souvenir que le code qui y conduit : il a perdu le chemin de la mémoire ; ou encore il a toujours le livre, mais il ne sait plus où il l’a rangé.

Nous connaissons tous deux formes de perte de codage :

- 1 : Le bout de la langue : le nom de cet acteur, nous le connaissons parfaitement, mais il nous est momentanément indisponible. Nous cherchons à le retrouver, et une foule d’idées nous assaille, qui nous fait croire que nous allons le retrouver dans un instant, pas exemple nous sommes sûrs qu’il s’appelle Pierre ; mais plus nous cherchons moins nous trouvons ; et quand, un peu plus tard, « ça va nous revenir », nous constaterons qu’en fait il se prénomme André. Ce qui se passe là c’est que, pour des raisons que nous n’évoquerons pas ici, notre recherche est parasitée par de faux codes qui loin de nous aider nous empêchent de le retrouver.

- 2 : L’oubli bénin : cette chose que nous voulions faire et qui « nous est sortie de l’esprit » : c’est simplement une information que nous avons oublié de coder.

Le processus d’encodage est essentiel, et cette fonction s’altère avec l’âge, les codages devenant de plus en plus pauvres ; cela explique que la fréquence des pertes de codage augmente avec les années. Par exemple 100% des sujets de plus de 50 ans se plaignent d’oublier des noms propres. Mais il y a des oublis qui sont moins bénins que d’autres : si on peut oublier le nom d’un acteur, il est moins acceptable d’oublier le nom du Président de la République. D’autre part dans l’ensemble le système de classement demeure solide, et une dégradation importante est toujours pathologique.

Il est très important d’entretenir sa mémoire secondaire. Cela se fait en recherchant les occasions de la faire travailler, ce qui se fait par exemple par des activités culturelles, des jeux, des activités sociales. En cas de nécessité il est très utile de faire des exercices de codage, dont le prototype est l’exercice des cinq mots (voiture-lapin-table-oreille-acier), mais qui dans une perspective d’entraînement peuvent être enrichis à l’infini. Il est très important de méditer : méditer n’est rien d’autre que travailler à enrichir ses codages [1].

Il faut noter enfin que le dément joue beaucoup avec l’oubli bénin, et notamment avec le « bout de la langue » : quand il ne trouve pas un mot il prétend que pourtant il l’a en tête, alors qu’en fait il ne le connaît absolument plus ; mais ce qu’il sait encore c’est quel comportement va lui permettre de sauver les apparences.

LA MÉMOIRE TERTIAIRE :

C’est la mémoire à long terme, qui conditionne les possibilités de rappel, grâce probablement à un système de traces mnésiques qui vont demeurer au niveau de toutes les aires cérébrales impliquées dans le processus d’enrichissement. L’information circule dans le cerveau et laisse sur son passage des traces qui vont faciliter le processus de souvenir.

Naturellement, il ne servirait à rien de conserver des souvenirs s’il n’existait pas un moyen de les retrouver. C’est le rôle de la fonction de rappel : pour se rappeler, on part d’une information qu’on a dans l’esprit actuellement et on va de code en code jusqu’au souvenir. Ceci est démontré par la question : « Comment le savez-vous ? » : si je vous demande quel est le nom du Premier Ministre espagnol et que vous me répondez, et si je vous demande alors comment vous le savez, vous allez me décrire une série de faits qui sont en réalité les codages dont vous vous êtes servis pour indexer votre souvenir.

La fonction de rappel utilise les mêmes voies que le système secondaire ; elle permet de retrouver l’information là où elle est. L’activité de ce système est commandée par la substance réticulée, qui est responsable de l’éveil et du sommeil ; celle du système intégrateur aussi. Comme cette mémoire secondaire est la partie active du système, son fonctionnement est le nœud de l’efficacité mnésique : c’est dire l’importance de la vigilance.

En fait il y a deux fonctions : le rappel proprement dit, qui est la fonction qui permet de retrouver une information, et la reconnaissance, qui permet de constater qu’une information a déjà été enregistrée. Si on me demande quel est le chef-lieu de la Corrèze, je vais répondre en activant ma fonction de rappel ; si on me dit : « Tulle est le chef-lieu de la Corrèze », je le savais : c’est la reconnaissance. Si j’ai oublié le nom de la personne qui me fait face, c’est un trouble, bénin, de la fonction de rappel ; mais si j’ai oublié que je l’a déjà rencontrée, c’est un trouble de la fonction de reconnaissance, et qui est plus inquiétant.

Le rappel et la reconnaissance mettent en jeu la plasticité neuronale, ce qui peut modifier la trace : plus on rappelle un souvenir plus il devient facile à rappeler ; mais à chaque rappel il tend à se modifier imperceptiblement, un peu comme les légendes. Cependant il faut entretenir l’activation de la plasticité neuronale, sous peine de perdre l’accès à la trace mnésique. Ceci entraîne deux conséquences :
- Le fait de favoriser les encodages permet d’entretenir le rappel. Autrement dit si on pousse le sujet à apprendre des poésies, à faire des jeux de mémoire, bref à entraîner la mise en mémoire, on va lui permettre de récupérer ses propres souvenirs parce que la fonction de récupération des souvenirs utilise les mêmes circuits que la fonction de mise en mémoire. A l’inverse la rééducation peut se faire également en faisant travailler le patient sur des souvenirs anciens : la fonction de rappel met en jeu les mêmes circuits que ceux intéressant la mémoire de stockage. Par contre si le sujet a perdu toute capacité d’enrichissement, il est illusoire de le faire travailler sur la mémoire secondaire.
- Il est beaucoup plus facile de stimuler la mémoire quand on tient compte du codage : la diminution d’efficience de la mémoire secondaire explique qu’il est plus difficile de retrouver le souvenir : si on lui pose une question nue, (ex. : « que faisiez-vous en 1969 ?) » le sujet aura du mal à retrouver la trace mnésique correspondante ; par contre il la retrouvera si on évoque avec lui le contexte, actionnant ainsi l’ensemble du cerveau (ex. : Que faisiez-vous en 1969 ? C’était l’année où vous avez pris la retraite, et où les Américains sont allés sur la Lune. »).

La mémoire tertiaire a la réputation d’être très solide. En fait elle l’est tout de même moins qu’on ne croit, et toutes les études qu’on a pu mener dans ce domaine montrent que contrairement à l’opinion répandue le sujet âgé se souvient assez mal du passé ancien. Ce qui donne l’illusion du contraire, c’est qu’il n’y a le plus souvent personne pour le contredire, ou que les personnes qui pourraient le faire sont elles-mêmes un peu trop en difficulté avec leur propre souvenir pour s’y hasarder.

Mais là encore il faut distinguer ce qui revient à la destruction du souvenir et ce qui revient à sa perte. La destruction d’un souvenir est probablement une éventualité assez rare. Le plus fréquent est la perte du souvenir, ce qui survient lorsqu’un souvenir n’est plus relié à son système de codage habituel. C’est en somme une aggravation de l’oubli bénin ; mais dans de nombreuses circonstances on s’aperçoit que le souvenir n’a pas été détruit et qu’au prix d’un effort de recherche, voire avec l’aide d’un intervenant extérieur qui fournit de nouveaux indices, il peut être retrouvé (avec le risque toutefois de croire qu’on a retrouvé un souvenir alors qu’en fait on l’a reconstruit).

Chez le dément la perte du souvenir est massive, et il le sait. C’est la raison pour laquelle il est si soucieux de la masquer, ce qu’il tente de faire par deux procédés : d’une part il dénie son trouble et passe beaucoup de temps à dire qu’il a une excellente mémoire ; d’autre part il donne des exemples de sa mémoire, en racontant des souvenirs anciens, mais outre que ces souvenirs n’ont pas l’exactitude qu’il croit, il est facile de voir que ce sont des îlots de mémoire qui persistent intacts alors que tout le reste a disparu. En tout cas il faut garder à l’esprit que ce n’est pas la mémoire qui se perd mais le souvenir : on a souvent du mal à comprendre que le dément se montre capable de se rappeler des choses très précises du passé alors qu’il oublie presque tout. Pour peu on l’accuserait de le faire exprès. Mieux : il arrive que le dément retrouve brutalement la mémoire : c’est qu’il n’a pas détruit ses souvenirs, il a simplement perdu les codages ; si le hasard fait qu’il retrouve un codage, il va être tout à fait capable de rappeler le souvenir qui y était attaché. En somme il a perdu le catalogue de la bibliothèque, mais s’il passe devant le livre il sait parfaitement le lire [2].

LA STRUCTURE DE LA MÉMOIRE :

La mémoire est donc un système à trois niveaux, mais l’information est conduite à travers ces niveaux par plusieurs types de circuits, qui dépendent du type d’information à traiter.

La boucle articulatoire assure le traitement des informations verbales ; elle permet de se répéter mentalement l’information. Par exemple si je vous dis :

Quel important besoin
Vous a fait devancer l’aurore de si loin ?

Votre mémoire se met en marche : vous commencez par entendre en quelque sorte résonner mes paroles (mémoire primaire), puis vous vous répétez ces deux vers (boucle articulatoire). C’est cette répétition de l’information qui permet de la fixer, et de l’enrichir éventuellement par des codages.

Le registre visuospatial permet la représentation mentale des objets, ce qui aboutit au même résultat : vous mémorisez une liste d’objets en vous repassant leur image.

Le système central exécutif supervise et coordonne l’ensemble. C’est ce qui fait que lorsque je vous dis :

Maître Corbeau, sur un arbre perché
Tenait en son bec un fromage

Vous activez la boucle articulatoire en vous répétant les mots, et le registre visuo-spatial en évoquant l’image du corbeau, de l’arbre, du fromage. Mais si vous observez avec attention vous notez tout de suite que derrière ces images vous avez l’image d’autres arbres que vous connaissez, d’autres fromages, d’une forêt, de votre passé de scout, des vaches, du lait de votre enfance, etc.

Cette distinction est importante parce qu’elle permet de comprendre certaines bizarreries de la mémoire chez le dément. Par exemple le dément peut se trouver plus en difficulté pour traiter les mots que les images : sa boucle articulatoire est alors moins efficace que son registre visuo-spatial ; le fait de le savoir permet d’améliorer l’efficacité de la mémoire en jouant plutôt sur les images au lieu de le confronter trop souvent à son échec avec les mots.

Quant à la mémoire de stockage (mémoire tertiaire), elle est subdivisée en plusieurs systèmes :

La mémoire déclarative permet l’enregistrement des événements, des idées, des mots, des visages... Elle a deux subdivisions :
- La mémoire épisodique permet de situer une information dans un contexte spatio-temporel ; C’est celle que je mets en jeu quand je me rappelle ma vie.
- La mémoire sémantique est la mémoire des concepts, des idées, etc. C’est celle qui me permet de me souvenir que je suis un homme, que le vol est un délit, que Paris est la capitale de la France.

Cette mémoire est relativement solide, mais on a vu que la mémoire épisodique est souvent endommagée par le vieillissement. C’est beaucoup moins le cas de la mémoire sémantique ; notamment le langage est préservé par le vieillissement, le vocabulaire doit rester intact et même s’enrichir, tout au plus est-on gêné par l’oubli bénin, mais aussi par une plus grande difficulté à construire des phrases complexes.

On voit très vite que le dément, lui, perd sa mémoire sémantique ; une grande partie du trouble démentiel est probablement liée à la perte du langage.

La mémoire implicite recouvre un ensemble de capacités permettant au cerveau de fonctionner. Cette mémoire est largement inconsciente.
- Il y a par exemple les habiletés cognitives : ce sont tous les logiciels de notre cerveau, ce qui nous permet de savoir que 2 + 2 = 4 : certes nous avons dans notre mémoire déclarative la table d’addition des 2, mais chacun sait que nous n’avons pas besoin de nous la répéter pour trouver le résultat.
- Il y a les habiletés perceptivo-visuelles : c’est cette mémoire qui fait que lorsque nous voyons une bouteille et un tire-bouchon nous savons immédiatement dans quel sens il faut tourner le tire-bouchon.
- Il y a de même les habiletés perceptivo-verbales : C’est cette mémoire qui nous permet de signer nos chèques.
- Il y a la mémoire d’amorçage : c’est notamment celle qui nous fait embrayer quand le feu passe au vert.

Ces habiletés ne se perdent pratiquement pas ; on y fait référence quand on dit : « c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas ». Par contre elles sont altérées dans la démence ; mais là aussi les pertes sont dissociées, et il persiste souvent de larges plaques de mémoire encore intacte (notamment la mémoire d’amorçage), ce qui permet de concevoir des stratégies de compensation.

CONCLUSION

La plainte mnésique est très fréquente. Le vécu de cette plainte dépend beaucoup du contexte psycho-affectif : si la vieillesse est mal vécue, la plainte servira à exprimer le mal-être ; la plainte mnésique est un marqueur du vieillissement mal vécu.

Toute plainte mnésique doit être prise en considération : c’est une plainte, il y a donc souffrance. Certes le plus souvent la plainte est justifiée par la peur de la démence, mais il reste que le sujet perd des capacités, ce dont il est malheureux. D’autre part il faut rapporter le vécu de la plainte à la situation antérieure : le fait pour un acteur de perdre un peu de mémoire est un désastre.

Mais le point essentiel est que la mémoire est un monde infiniment plus complexe, qui se trouve impliquée dans toutes les activités cérébrales. Par exemple le fait que je sois en train de vous parler suppose que je me rappelle :
- 1. Ce que je veux vous dire.
- 2. Que je suis venu pour vous parler.
- 3. Quels mots je dois employer.
- 4. Qui vous êtes.
- 5. Qui je suis.
- 6. Que je suis quelqu’un.
- 7. Ce que c’est que parler.
- 8. Où est ma bouche, et comment elle fonctionne.

Etc. Autant dire que la perte de la mémoire entraîne un effondrement de toutes les capacités intellectuelles. La question qui demeure cependant est de savoir si l’intelligence est uniquement affaire de mémoire, ou s’il existe une fonction intellectuelle indépendante ; on peut affirmer que c’est la seconde proposition qui est la bonne, ce qui pourrait expliquer que le dément garde longtemps l’intelligence des situations, de l’affectivité, de l’humour. Reste que la perte massive de la mémoire le rend progressivement inapte à raisonner, à juger, bref à se conduire de manière autonome.

Notes

[1Même s’il reste à prouver que cette activité pourrait avoir un impact thérapeutique, par exemple en retardant l’évolution d’une maladie d’Alzheimer. Sur ce point on s’illusionne beaucoup.

[2Enfin... il finit par perdre cela aussi.