Cet article a été relu le 12 septembre 2012

Les soignants et la famille Une nouvelle version du texte publié sur http://www.famidac.net/ecrire/articles.php?id_article=539

34 | (actualisé le ) par Michel

FAMILLES ET SOIGNANTS

LIEU DE VIE, LIEU DE SOINS :

La prise en charge de la personne âgée en maison de retraite est en train de changer. De plus en plus on entend les responsables d’établissement dire que leur maison doit être « un lieu de vie avant d’être un lieu de soins ». [1]

Il faut dire que la prise en charge des personnes âgées en institution était et reste encore largement organisée sur le modèle de l’hôpital. C’est ainsi que, par exemple, bien des établissements d’hébergement sont aménagés en chambres, sans la moindre possibilité de se faire un café ou de mettre deux livres sur une étagère. Et l’analogie avec l’hôpital ne se trouve pas que dans l’architecture : les relations entre le personnel et le sujet âgé en sont tout imprégnées, et s’organisent sur le modèle de la relation soignant-malade. Les établissements d’hébergement ne sont pas des lieux de vie mais des lieux de soins ; la personne âgée est ainsi quelqu’un qu’on soigne, et les décisions qu’on prend à son sujet sont des décisions techniques.

Il faudra sans doute un long travail, tant sont ancrées les habitudes, pour que tout le monde se rende compte à quel point une telle situation, qui jusqu’ici semblait évidente, ne va au contraire absolument pas de soi (tout comme, du reste, on a oublié ce que l’organisation de l’hôpital doit à son passé d’hospice, voire d’institution religieuse). Ce travail sera difficile pour les professionnels car, justement, on les a choisis parmi les soignants. Mais il ne sera pas simple non plus pour les familles, car elles sont prises dans une contradiction infernale : D’un côté elles sont de plus en plus soucieuses de faire que la maison de retraite soit un lieu de vie ; de l’autre elles sont au moins tout autant inquiètes de la santé de leur proche. Ainsi elles réclament que la maison de retraite soit à la fois un lieu de vie et un lieu de soins, sans voir que, même si (et heureusement) on peut trouver des compromis féconds, cette double demande a quelque chose de radicalement contradictoire.

Toujours est-il que pour le moment les maisons de retraite sont des lieux de soins. Et qu’en dépit des efforts qu’on voit se développer çà et là les choses vont durer, à telle enseigne que le maître-mot des organismes de tutelle est tout de même bien la « médicalisation des maisons de retraite ».

LA FAMILLE INTRUSE :

La situation la plus générale est donc celle d’une personne âgée :
- Qui se trouve dans un établissement fonctionnant sur le modèle hospitalier.
- Et dont la famille est absente, soit qu’elle ait physiquement disparu, soit qu’elle délaisse quelque peu son proche.

Dans cette conjoncture, il est habituel que le monde se divise en deux camps : celui du vieux, où il n’y a qu’une seule personne ; et celui des moins vieux, où on trouve tous ceux qui entourent le sujet. La vie même des établissements d’hébergement est basée sur un postulat : le vieillard a besoin d’être entouré de gens qui se soucient de lui, mais dont le comportement lui rappelle celui des membres de sa famille. C’est ainsi que les soignants doivent à la fois rester des professionnels, avec tout ce que cela exige de distance, et assurer un rôle de proche, d’ami, de familier. C’est à un grand écart permanent que les professionnels sont ainsi conviés, et dès lors il est étonnant qu’on s’étonne des erreurs qu’ils peuvent commettre.

Le tête-à-tête entre l’équipe soignante et le résident a quelque chose de confortable, au point qu’on pourrait sarcastiquement soutenir que pour l’équipe soignante la famille idéale est celle qu’on ne voit jamais, car elle permet tout à la fois au soignant de critiquer son absentéisme et d’en apprécier les avantages.

Mais il arrive tout de même que le sujet ait des parents ! Alors le problème devient redoutablement compliqué. Il l’est pour les soignants, on le verra, mais l’essentiel est tout de même, bien sûr qu’il l’est pour les familles, et par contrecoup pour le sujet âgé lui-même. Et à cette complexité il y a de nombreuses raisons.

L’AMBIVALENCE DE CHACUN :

La première raison doit rester en permanence à l’esprit de tous les intervenants : c’est que la situation est toujours très mélangée, et les réactions très ambiguës :
- Le plus souvent c’est la première fois que l’entourage est confronté au problème, et il en ignore tout, il ne sait pas faire le tri dans ses propres réactions, il ne sait pas les analyser.
- Les soignants ne l’y aident pas, notamment parce que le plus souvent il n’ont pas davantage d’expérience personnelle de la chose : du fait de l’évolution démographique on s’occupe de son vieux parent quand il a 85 ans et qu’on est soi-même retraité. Or les soignants sont jeunes [2].
- Mais plus encore peut-être le fait de placer un sujet âgé en maison de retraite renvoie inévitablement à la peur d’y être soi-même placé un jour, ce qui fait que personne n’a envie de s’attarder sur l’analyse de ce qui se passe.

La tentation est alors de procéder à des simplifications indues, qui sont souvent autant d’accusations.

Un exemple simple permettra de le comprendre : il est bien connu que les hôpitaux sont souvent encombrés, au moment des vacances ou des réveillons, de personnes âgées amenées sous le prétexte d’urgences imaginaires. Analysons alors ce qui se passe.

Il y a d’abord des faits.
- Le premier est qu’incontestablement il existe des enfants indignes qui se débarrassent de leur vieux pour pouvoir faire la fête.
- Le second est que réflexion faite de tels cas sont assez rares.
- Le troisième est que, ni préparées ni organisées, ces hospitalisations sont souvent très dommageables à la personne âgée.
- Le quatrième est que les soignants portent le plus souvent un jugement très négatif sur les familles qui procèdent à ces hospitalisations : le fantasme de la SPA est bien vite mobilisé.

Mais les choses sont beaucoup plus nuancées que cela.

Car on peut poser la question autrement. Il y a des enfants qui font l’effort de s’occuper, souvent très bien, de leur vieux parent. Non seulement ils méritent de se reposer, et de prendre quelques jours pour eux, mais c’est une condition absolue si l’on veut qu’ils puissent le faire durablement. Et si l’on veut que cette situation dure, il faut s’en donner les moyens. L’anomalie n’est pas que la personne âgée soit amenée à quitter temporairement son domicile, elle est que cela ne puisse être planifié convenablement. Ce qui manque c’est donc l’organisation ; les services adéquats d’aide au maintien à domicile, les haltes-garderies, les hospitalisations de répit n’ont pas été développés, il faut le faire ; il est urgent d’envisager la généralisation des hébergements temporaires, à condition que cela se fasse de manière adaptée.

Quand on arrive à négocier avec les familles l’entrée dans un programme systématique d’hébergements, la perception de la situation par l’équipe soignante change du tout au tout. Ce qui paraissait scandaleux devient presque un critère de bonne pratique, et les soignants n’en conçoivent que plus d’estime pour ces familles courageuses avec qui tant de liens se trouvent ainsi tissés.

Comment expliquer ce changement ?

Le plus troublant est que c’est le fait d’organiser qui modifie le jugement des soignants. En un sens ils ont raison, le fait de planifier les hospitalisations les rend moins préjudiciables pour la personne. Mais on sent bien qu’il s’agit d’autre chose : ce qui provoque la colère des soignants c’est le fait que l’hospitalisation leur est en quelque sorte imposée ; ce qu’ils n’aiment pas c’est qu’on leur force la main. Et cette réaction n’est pas au fond très rationnelle. C’est en réalité une réaction de souffrance, liée à la peur de se trouver débordé. Ce n’est pas la seule situation où le soignant réagit au nom de ce fantasme, et on sent bien que le fond de cette problématique est l’enjeu de pouvoir dans toute sa nudité : la famille est suspectée d’abuser du système de soins, et la question est de savoir qui va dicter sa volonté à l’autre.

L’idée qu’il faudrait veiller à éviter les abus est particulièrement pernicieuse ; car il faudrait tout de même se demander si le rôle des soignants est de porter des jugements. On n’en finirait pas d’explorer les mécanismes qui font du monde de la santé le gardien de la morale, disons tout de même que l’un de ces mécanismes est vieux comme le monde, et qu’il interroge les relations entre la maladie et le péché, le sorcier et le prêtre. Mais la difficulté réside dans le fait que les soignants, du moins en France, sont chargés d’une mission de gestion de la ressource qui les conduit à décider si tel acte, telle hospitalisation, tel hébergement, sont justifiés ou non. Et dans ce contexte, c’est un mensonge absolu que de continuer à prétendre, par exemple, que la personne âgée a le droit de choisir son établissement ; quant aux critères de décision du soignant, et contrairement à ce qu’on prétend, ils sont immédiatement moraux car si le médecin refuse tel acte ou telle prise en charge pour des raisons médicales la famille, dès lors qu’elle n’accepte pas cette décision, se trouve en délit d’abus : dans nos fantasmes platoniciens le fait de ne pas accepter une décision fondée sur la raison contrevient à la morale [3].

LE DEUIL :

La seconde raison est que le fait d’assister un parent dans son vieillissement est d’abord une affaire de deuil.

Il n’est sans doute pas utile de revenir en détail sur le mécanisme du deuil. Nous ne ferons ici que commenter quelques-unes des réactions les plus communes, en rappelant que dans cette affaire la famille a besoin de gérer son propre malaise.

Le déni :

Le déni ne pose pas réellement de problème dans la mesure où le fait même que la famille envisage l’entrée de son parent en maison de retraite suppose qu’elle a pris conscience de son état. Tout au plus pourrait-on l’envisager dans la période préparatoire où la famille se crispe sur une solution irréaliste de maintien à domicile. Ici aussi les choses sont mélangées : on en vient très vite à comprendre que si les enfants refusent l’entrée en institution c’est parce qu’il faudrait payer, ou écorner l’héritage. Il ne faut pas rêver, l’âpreté au gain est un phénomène répandu, tout comme la maltraitance financière, et il appartient aux soignants de se montrer vigilants. Mais il est probable que souvent l’argent n’est qu’un symbole. Le langage de l’argent est universel, et il sert probablement bien plus souvent qu’on ne pense à dire l’indicible. On ne doit donc pas se précipiter vers des explications simplistes et dévalorisantes pour les familles : derrière la dureté du discours sur l’argent se cache le plus souvent une autre détresse.

De toute manière cette phase de déni est très rapidement contaminée par la suivante, et il vaut mieux y entrer tout de suite.

La révolte :

La phase de révolte en effet se retrouve également, et elle est fondamentale, car elle explique l’essentiel des réactions, qui tournent autour de la culpabilité et de la colère.

La culpabilité est certainement l’élément le plus important.

Pour les enfants le fait de confier leur proche à une équipe soignante signifie qu’ils ne sont plus capables de l’assumer eux-mêmes. Il entre dans cette réaction une part de lucidité : La personne âgée est devenue dépendante, et une bonne prise en charge de la dépendance implique des soins. C’est pourquoi notre civilisation a médicalisé la vieillesse [4]. Mais d’un autre côté il est évident pour tout le monde que si elle consent cette médicalisation c’est aussi pour pouvoir s’imaginer par là qu’elle a barre sur le vieillissement ; c’est là une illusion qui permet d’évacuer à bon compte notre angoisse. La culpabilité des familles pointe cette supercherie : on ne se sentirait pas coupable d’hospitaliser un malade, au contraire ; si la famille se sent coupable c’est parce qu’elle n’est pas dupe : elle sait, quoi qu’elle en dise, et quoi que la société lui renvoie, que ce n’est pas à cause de la maladie, mais à cause de sa propre incapacité à assumer la situation, qu’elle institutionnalise son vieux parent.

Mais plus simplement la culpabilité est un élément fondamental du deuil normal ; elle est une forme de colère : la colère fait porter la faute sur les autres, la culpabilité la reporte sur soi-même. Or la colère est le début de l’acceptation : par elle on prend acte de la situation, tout en prétendant qu’elle pouvait être évitée ; et cette culpabilité plonge ses racines très loin, dans des conceptions archaïques : il est facile de repérer dans le discours à la mode toutes ces idées tendant à faire croire que toutes les maladies sont plus ou moins psychogènes, ce qui permet de dire que si on a un cancer c’est toujours la faute de quelqu’un, généralement d’un proche. Et que beaucoup d’attention et d’amour éviterait la maladie, et à défaut la guérirait. On voit bien ici qu’il s’agit de dénier le caractère inéluctable de la maladie et de la mort.

En toute hypothèse, la culpabilité se base ici sur l’idée que s’il y a des soignants c’est parce que les parents ne savent pas faire. Cette culpabilité a pour conséquence toutes les stratégies par lesquelles l’entourage va essayer, soit d’éviter la situation, soit au contraire de l’expier.

Naturellement un bon moyen de ne pas éprouver trop de culpabilité est de la convertir en colère, en la retournant contre l’équipe soignante. La vie quotidienne de chacun est riche de ces colères injustes qu’on prend contre l’autre alors qu’on s’en veut à soi-même, phénomène que les psychanalystes nomment déplacement, et dont la Pomponnette reste l’indépassable modèle. On ne s’avancerait pas trop en disant que la colère n’est ainsi rien d’autre qu’une manière d’éluder sa propre culpabilité.

L’un des modes les plus régulièrement observés de cette colère est le « phénomène de la belle-sœur de Mulhouse ». La belle-sœur de Mulhouse est ce membre de la famille, souvent éloigné, qui ne s’est pas manifesté durant toute la maladie et qui apparaît à trois jours du décès en clamant qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait et qu’il va prendre les choses en mains. Souvent on voit ainsi se décider des hospitalisations ou des examens intempestifs, ce qui nuit au malade et détruit tout le travail de l’équipe. Mais de manière beaucoup plus banale, on retrouve là toutes ces familles revendicatives qui surgissent un après-midi pour se plaindre que le lit n’a pas été fait ou que les ongles n’ont pas été coupés.

Il est très important de comprendre ce qui se passe alors.

Car la réaction des soignants face à ce genre d’agression ne peut être que défensive : d’une manière générale les soignants sont consciencieux, et cette remise en cause de leur dévouement est forcément très mal vécue. La manière la plus simple de se défendre est alors de pester contre ces familles tyranniques qui se croient tout permis au motif qu’elles paient. Ici aussi il ne faut pas être dupe : de tels abus de la part des familles existent indiscutablement, il y a des gens odieux, et on est même souvent agacé de constater que ceux qui revendiquent le plus sont régulièrement ceux dont le parent est pris en charge par l’aide sociale. Dans le même esprit la belle sœur de Mulhouse est volontiers une harpie qui se manifeste au moment de l’héritage. Mais tout cela ne doit pas faire oublier que la réaction de colère est aussi, et sans doute presque toujours, une réaction de deuil. Ce qui se lit dans ces comportements, c’est d’abord l’angoisse et la culpabilité.

La seule véritable manière de gérer ce type de conflit est de laisser la famille parler et de lui permettre d’arriver à la prise de conscience de sa propre souffrance. C’est difficile parce que c’est là une grande source de souffrance pour l’équipe, d’autant que la tendance revendicatrice actuelle fait toujours redouter une contre-publicité ou une procédure judiciaire. Le mécanisme de cette colère doit toujours être gardé à l’esprit : il s’agit d’un procédé de défense contre l’idée que l’incapacité du parent (c’est-à-dire l’incapacité tout court, et par conséquent la mienne aussi) était dans l’ordre des choses, mais aussi d’atténuation du sentiment de culpabilité. Il faut donc rappeler ici que la colère est un mécanisme normal, qu’on doit laisser se dérouler ; toutefois il ne faut pas accepter que cette colère dépasse les bornes imposées par le respect dû aux soignants ; il ne faut sans doute pas non plus accepter que les familles donnent des ordres aux soignants.

Bien souvent la colère est tournée contre le sujet âgé lui-même. Ceci prend de multiples formes, mais deux sont fréquentes : la colère irrationnelle par laquelle on reproche plus ou moins au parent d’avoir abdiqué son image de chef de la maison ; mais plus encore la colère défensive par laquelle on le suspecte de se faire plus dépendant qu’il n’est (et Dieu sait que les soignants y sont souvent pris eux-mêmes).

Le marchandage :

Le marchandage existe, naturellement, dans le processus d’accompagnement du sujet âgé par sa famille, où il fournit de nombreuses occasions de conflit avec l’équipe soignante : on voit souvent de ces familles qui veulent à toute force nourrir leur proche, ou qui demandent des explications à n’en plus finir, ou qui tentent d’imposer tel examen, tel traitement. Cette situation est très pénible pour les soignants. D’abord parce que la colère n’est jamais très loin : demander un nouvel examen, c’est suspecter le soignant de ne pas l’avoir envisagé ; mais aussi parce que la souffrance du parent est un peu trop visible : c’est une demande d’aide et le soignant, déjà pris par le temps, ne peut l’éluder qu’en se montrant dur ; enfin, comme tous les gens qui souffrent, le parent est le plus souvent maladroit, et c’est toujours quand le soignant est occupé à autre chose qu’il vient poser sa demande. En somme tout se passe, entre le soignant et le parent, comme dans ces couples où la routine a fait trop de dégâts.

Pourtant ce qui est à l’œuvre ici c’est tout simplement le besoin de se rendre utile, d’être encore efficace auprès de son parent. Le problème est que rien dans les établissements n’est organisé en vue de cette participation, qu’il n’y a dans les équipes aucune culture qui la prépare, et que les familles sont alors considérées comme des gêneuses. Il s’ensuit que la communication est nécessairement faussée, et que les mal-entendus, les froissements de susceptibilité, les conflits se multiplient.

L’utilité du deuil :

Bref, le principal problème posé aux familles est celui du deuil. Car l’enjeu de cette période de la vie n’est rien d’autre que celui de la séparation, c’est un temps qu’il faut mettre à profit pour la préparer. Mais le deuil est complexe, et impose au minimum un triple travail :
- Deuil de la personne en bonne santé : le parent qui gît dans son lit ne sera plus jamais celui avec qui on allait faire de la montagne.
- Deuil des projets communs : ce voyage qu’on voulait faire, cette voiture qu’on se proposait d’acheter, tout cela ne se fera pas.
- Mais aussi apprentissage d’une nouvelle vie : il faut découvrir ce qu’est la vie avec le parent institutionnalisé. En somme être en maison de retraite c’est commencer une nouvelle vie, avec une nouvelle personnalité, une nouvelle problématique, de nouvelles exigences relationnelles.

L’autre particularité de la situation est que la famille est amenée à entrer en deuil alors même que le patient est encore vivant. C’est là un autre point de ressemblance avec le dément. Au fond, dans ces matières, le deuil est toujours anticipé. On peut même se demander si l’accompagnement de fin de vie a une autre finalité que d’anticiper le deuil.

Cette anticipation a souvent des effets bénéfiques : c’est en somme une répétition. Les enfants sont coutumiers de ce genre de situation : jouer au docteur c’est exorciser l’angoisse de la vraie consultation. Anticiper les situations permet de s’y préparer, et de se trouver beaucoup moins démuni quand la réalité arrive. Mais pour que ce mécanisme soit bénéfique il faut que la famille ne soit pas trop délabrée, qu’elle n’ait pas trop de tensions, d’incompréhensions, de difficultés. Sinon il peut s’inverser et voir ses effets devenir délétères. Chacun sait que si l’anticipation permet de réduire l’angoisse, elle peut aussi parfois au contraire l’augmenter : le trac n’a pas d’autre origine. Et la famille peut alors se trouver sidérée, hors d’état d’assumer la situation.

LES AUTRES MODES DE RÉACTION :

Les membres de la famille sont saisis par des sentiments multiples et contradictoires. On ne peut pas comprendre ces sentiments si on ne garde pas en tête qu’ils sont marqués par l’ambivalence. Le proche vit tout et son contraire, et cette désorganisation psychique le fait souffrir : au sens propre il ne sait plus où il en est.

L’entourage du patient réagit à la situation, et sa réaction obéit, on l’a vu, à des règles similaires à celles du malade : le mécanisme de Kübler-Ross est mis en marche à l’occasion de n’importe quelle perte, et on va retrouver déni, colère, marchandage, tristesse, acceptation. Tout le problème est qu’à ce mécanisme vont s’entremêler des réactions plus spécifiques.

Le soulagement :

Il y a d’abord le soulagement : les parents ont, souvent avec beaucoup de courage, supporté une situation, soutenu leur proche, ils ont vu les choses s’aggraver, ils ont craint de s’effondrer, de ne plus pouvoir faire face, et voici qu’on leur propose de l’aide. Ou encore voici que les hasards d’une hospitalisation les soulagent temporairement du poids qu’ils portaient. Ce qui se produit alors est facile à comprendre. D’abord l’aide proposée est acceptée, bien évidemment. Ensuite l’entrée en institution signifie un lâcher-prise : il s’agit d’accepter de se dire une bonne fois que c’est fini, que l’objectif n’est plus de chercher une normalité. L’espoir encore entretenu d’une amélioration ou d’un stabilisation de moins en moins certaine se maintenait au prix d’une angoisse écrasante ; le voici remplacé par la détresse de ce qui est un deuil, mais par certains côtés cette détresse est moins pénible : au moins les choses sont claires. Mais surtout les aidants prennent brutalement conscience, maintenant qu’il a quitté leurs épaules, du poids qu’ils portaient. Tous les randonneurs savent combien il est difficile de reprendre la marche une fois qu’on s’est arrêté.

C’est ce qui explique l’enchaînement des événements qui se produit systématiquement quand nous recevons un dément en hébergement temporaire.

Dans un premier temps la famille nous l’adresse avec un brin de suspicion, se demandant si nous allons savoir nous en occuper convenablement ; cela s’appelle culpabilité, révolte, anxiété. L’agressivité des familles, tout comme celle des sujets âgés eux-mêmes, est souvent la dernière possibilité qui leur reste de garder un soupçon de contrôle de la situation.

Dans un second temps, elle s’étonne et s’inquiète de voir que son parent se dégrade intellectuellement. En fait cette dégradation n’existe pas : ce qui se passe c’est que le malade, n’ayant plus besoin de sauver les apparences, se montre tel qu’il est. Mais d’autre part la famille, devenue extérieure à la situation, prend brutalement conscience de ce qu’elle est ; enfin cette inquiétude est évidemment une manière de se rassurer : on a confié le malade à l’hôpital, mais on voit bien que les soignants ne s’en sortent pas mieux.

Dans un troisième temps la famille refuse de reprendre son parent : le sac a été posé.

L’espoir :

Mais il faut reparler aussi du déni : contradictoirement à ce qui précède, l’entrée dans un processus de soins est porteuse d’espoir. Il y a d’abord l’espoir réaliste que ce qui doit être fait le sera, et que le parent sera soutenu. Mais il y a aussi beaucoup d’illusion : on n’imagine pas, souvent, combien les familles ont du mal à accepter le fait que leur parent est malgré tout à la fin de sa vie. Il y a de multiples causes à cette difficulté. En premier lieu sans doute le fait que la vieillesse est devenue un long temps de stabilité, voire de bonne santé, et que lorsqu’elle décline c’est toujours un peu brutalement ; l’espoir d’une amélioration est donc somme toute légitime ! Ce qui ne l’est pas c’est la difficulté à admettre que cet espoir ne va pas se réaliser. Mais en second lieu la difficulté est sans doute entretenue par le fait que, comme on le disait en commençant, les établissements d’hébergement ressemblent de plus en plus à des établissements de soins, que les intervenants sont des soignants, bref que l’image donnée est celle d’un hôpital, ce qui crée l’illusion d’un lieu où on guérit.

Le souci :

Le moyen essentiel par lequel la famille essaie de s’adapter à la situation est le souci. L’inquiétude est un moyen irremplaçable de rester acteur de la situation.

Un exemple frappant est fourni par les inquiétudes de l’entourage à propos de l’alimentation. C’est un point qui cristallise l’angoisse et engendre conflits et revendications. Il est assez facile de comprendre pourquoi. Dans le monde hospitalier la famille est dépossédée de tout : ce sont les soignants qui décident, qui soignent, qui gèrent, qui font ; et eux-mêmes n’ont pas les données nécessaires pour comprendre les soins. Mais il y a un certain nombre de domaines dans lesquels l’inégalité entre soignants et familles se trouve un peu abolie : c’est le cas de la propreté, du chauffage de la chambre, et de l’appétit. « Il ne mange pas » est un diagnostic qui peut être porté par la famille ; même c’est une activité où elle peut s’investir, et souvent avec une plus grande efficacité que les soignants. Dans cette rivalité se joue le déni (si je peux le faire manger, c’est qu’il n’est pas si malade que ça) ; la colère (moi qui ne suis pas du métier je fais mieux qu’eux) ; le marchandage (s’il mange il s’en sortira) ; la culpabilité (je l’ai abandonné, qu’au moins je le fasse manger) ; la renarcissisation (je ne suis pas bon à rien dans cette situation) ; et naturellement toutes les attitudes régressives qui tournent autour de l’alimentation des bébés et de la relation mère-enfant.

Cette concurrence entre les parents et les intervenants, est parfois particulièrement vive, et il faut avant tout pour le soignant en prendre conscience et s’en méfier. Et cette méfiance doit aller très loin. Analysons par exemple cette remarque des proches du résident : « il ne mange pas », ou plutôt : « il ne mange rien ».

Il arrive que les soignants partagent ce point de vue ; alors cela les amène à entrer tout de suite dans les discussions sur le pronostic ou l’alimentation artificielle. Mais très souvent la réaction des soignants est : « il ne mange pas si mal que ça ». Car la première digue qu’il faut édifier face à cette intrusion de la famille dans leur tête-à-tête avec le résident est le déni de sa parole. On reconnaît là sans peine un des mécanismes élémentaires de tout conflit débutant [5].

Mais parce que, comme je l’ai indiqué plus haut, ils sont sommés d’être à la fois des professionnels et des substituts de parents, les soignants doivent réagir sur un double registre : ils doivent d’abord dénier la parole de la famille, et la dénier en soi : car elle ne peut tolérer que la famille ait vu quelque chose qui lui aurait à elle échappé ; ce déni est radical, la famille n’a pas d’espace, elle n’existe pas ; en second lieu ils doivent dénier, non cette parole mais sa validité (ce qui représente une concession, car une parole fausse est une parole) ; c’est pourquoi ils ont mis en place une feuille de surveillance alimentaire et la brandissent à titre de preuve irréfutable : la supériorité des soignants est scientifique, et on passe ainsi du premier degré du conflit (il ne se passe rien) au second (tu n’es pas capable de comprendre ce qui se passe). Le combat est donc entre le sentiment, irrationnel, des familles et la conviction, chiffrée, des soignants, entre la pensée magique des familles et la pensée scientifique des soignants. Il faudrait là aussi analyser pourquoi dans ces conditions les données de la surveillance alimentaire sont le plus souvent bien trop grossières pour avoir la moindre valeur scientifique, et pourquoi les feuilles sont remplies en fonction du sentiment du soignant, et non de ce qu’il a réellement observé. Ici on peut noter quelques aspects pittoresques : par exemple on verra vite qu’un malade dont on dit : « Il ne mange absolument rien » mange plutôt mieux qu’un malade dont on dit : « Il ne mange presque rien » [6] ; d’une manière générale les soignants réintroduisent dans ce qui devrait être une simple mesure scientifique une dimension d’affectivité qui y aurait pourtant bien peu à faire, comme si l’appréciation portée sur la quantité de nourriture avait une portée morale, et comme s’il fallait faire preuve d’indulgence [7]. Toujours est-il que la référence à l’objectivité est fausse ; au contraire, on constate le plus souvent que dans cette occurrence les familles voient régulièrement plus juste que les soignants.

Il faut bien comprendre que dans cette affaire les comportements des uns et des autres sont normaux. La famille trouve toujours qu’on n’en fait pas assez, c’est la moindre des choses. Elle veut prendre les choses en main, c’est logique. Les intervenants, eux, vivent très mal le fait de se sentir contestés, ou dépossédés d’une partie de leur mission, c’est inévitable. Il existe nécessairement une jalousie dans les deux sens, une rivalité, et des réactions d’agressivité qui servent aux uns et aux autres à évacuer la tension de l’instant. Si les intervenants veulent aider la famille ils doivent impérativement admettre que, comme le dit si magnifiquement Marguerite Mérette [8] , ils devront baisser leur bouclier parce que la famille ne baissera pas le sien en premier. Et il leur restera à tenir compte de trois points :
- Ils auront besoin de parler entre eux de cette rivalité.
- Ils devront accepter que la famille puisse, même injustement, exprimer ce qu’elle ressent, ils devront même l’encourager.
- Ils devront cependant prendre garde à la sécurité de tous, et imposer un minimum de respect.

L’impatience :

Parmi les réactions habituelles, banales, normales, il y a l’impatience. Cette impatience se manifeste presque toujours lors des évolutions un peu lentes : la famille se prend alors à trouver le temps long, et commence à poser des questions.

Au minimum elle pose la question des échéances : « Docteur, vous lui donnez encore combien ? ». Cette question en apparence naturelle est profondément ambiguë : elle part certainement d’un légitime désir de prévoir ce qui va se passer, et de savoir quand tombera le couperet de la séparation ; mais on sent aussi rôder l’ombre de l’agacement devant une situation pénible qui s’éternise. Elle est fréquemment répétée à l’extrême fin de vie, et ce d’une manière souvent plus nette : la famille est épuisée, et elle demande ouvertement « si cela va durer encore longtemps ». Elle a en fait un triple sens :
- 1.En premier lieu il y a le sens évident : on demande si on peut compter profiter encore longtemps de la présence de l’être aimé.
- 2.Mais il y a un autre sens, diamétralement opposé : il s’agit de savoir si la corvée va encore être longue. On imagine sans peine la culpabilité engendrée par la découverte d’un tel sentiment.
- 3.Enfin, celui qui me demande si cela va durer encore longtemps demande du même coup au médecin s’il encore un pouvoir sur la situation. Qui prédit la mort la maîtrise quelque peu.

Il faut absolument écouter cette demande et répondre sur plusieurs points :
- On doit répéter qu’il ne s’agit pas de savoir combien de temps il reste mais de savoir ce qu’on va faire du temps qui reste.
- On doit sentir que derrière cette question c’est celle de l’euthanasie qui est posée.
- On doit compatir : cette question signe l’épuisement de la famille, et il faut au moins l’écouter et tâcher de la soulager.
- On doit déculpabiliser : la famille se rend souvent compte de ce que sa question a de monstrueux, et que pour peu on en voudrait au malade de se cramponner à la vie. Il faut rassurer et dire, ce qu’au reste chacun peut observer, qu’elle est présente à l’esprit de tous, et qu’il est normal d’éprouver un tel sentiment.
- On doit se préparer : pour des raisons assez mystérieuses, le décès survient très rapidement après que la question a été posée ; il se pourrait que cette question ne soit que la manière dont l’entourage exprime son angoisse devant la mort qu’elle pressent sans le savoir.

AIDER LA FAMILLE :

Mais alors, que vit la famille ? Que signifie pour elle l’expérience qu’elle vit à cette occasion ? Question importante si l’on songe que les répercussions se feront aussi sur le long terme, et que les effets de cette crise se font sentir non seulement sur le psychisme mais aussi sur la santé. Et pour les soignants, que signifie le fait de prendre en compte non seulement les besoins et la souffrance du malade mais aussi ceux de la famille ?

La famille est évincée de la relation de soin ; il faut lui rendre sa place. Et le travail est difficile : en rédigeant, voici à peine quelques années, la première version de ce texte, j’écrivais ici : « La famille est un accompagnant au moins aussi important que les soignants. » Il n’est plus question à présent d’écrire cela : la situation de la famille n’a rien de comparable à celle du soignant. Toute la difficulté est dans le double rôle que chacun doit assumer : on demande au soignant d’être à la fois un professionnel et un parent, et de la même façon les problèmes sont tels que la famille doit à la fois manier l’amour filial et la technique de soins. C’est le rôle du soignant qui se fendille, car contrairement à ce qu’on pouvait imaginer soigner n’est pas qu’une activité professionnelle.

Comment voudrait-on dès lors que les proches se comportent d’une manière adaptée devant leur parent en butte à ses pertes ? Si l’on peut demander à des intervenants formés d’appliquer la stratégie adéquate à propos du deuil, il est beaucoup plus aléatoire de l’attendre de la famille :
- D’abord parce qu’elle a son propre deuil à assumer.
- Ensuite parce qu’elle se trouve confrontée à la perspective des difficultés matérielles et sociales engendrées par la faillite de son parent.
- Mais surtout parce qu’elle n’a pas les moyens de prendre la distance nécessaire vis-à-vis de la situation : notamment elle s’épuise à suivre son patient, et elle souffre de ses incessants revirements. Elle a besoin de choses claires, et le mécanisme de Kübler-Ross, dont le point fondamental est que le malade gère sa vie comme il l’entend, ne peut que la dérouter. Elle serait bien plus apaisée si, précisément, on pouvait lui confirmer qu’il y a une évolution à favoriser, et un chemin à parcourir. Au lieu de quoi il lui faudrait se tenir dans l’absolue neutralité, ce qui est pour elle une tâche quasi impossible.

Bref les soignants ont une tâche difficile à assumer : il s’agit en effet de permettre à la famille de se montrer efficace, ce qui suppose qu’elle soit guidée, rassurée, informée et encouragée à participer au projet de soins. D’une part elle a besoin d’une prise en charge spécifique et d’autre part elle possède sur la situation un savoir que l’équipe n’a pas. Il importe donc de lui faire toute sa place, ce qui implique qu’elle ait la liberté de se comporter d’une manière qui déroute les soignants.

La seule solution est de garder à l’esprit que le soignant est un étranger. Ce qui est en train de se passer, c’est qu’une famille vit une situation. Le soignant est donc à l’écoute de ce qui se passe entre le sujet et son entourage, et il doit prendre en compte les besoins du vieillard mais aussi ceux de l’entourage et plus encore ceux de l’unité fonctionnelle formée par le sujet et sa famille. Il interviendra donc non pas en fonction de l’idée qu’il se fait de la situation, mais en fonction stricte de ce qui apparaîtra nécessaire.

C’est ainsi qu’il doit par exemple favoriser l’expression des sentiments des uns et des autres. Mais il doit simplement rendre possible. Par exemple la question se pose souvent de savoir s’il faut que les enfants rendent visite au mourant (ou plus encore visitent la dépouille). On sait que pour l’enfant le deuil est plus facile s’il a pu voir le corps, et qu’on doit donc encourager la famille à abandonner ses réticences. Mais il ne faut pas méconnaître que la famille a une culture ; s’il lui est culturellement impossible d’envisager que les enfants voient le corps, il ne faut pas insister : le trouble engendré dans l’esprit des adultes se répercutera sur les enfants, avec le risque que le remède soit pire que le mal.

De même la famille s’épuise souvent dans des tâches dérisoires, et on est tenté alors de lui faire prendre conscience de l’inutilité de ses efforts. Cela peut être fait ; mais il faut se méfier : la fatigue n’est pas le pire des maux, et il se peut que cette famille supporte encore plus mal le drame de n’avoir rien à faire : il faut laisser sa place au marchandage, et la vieille dame qui tient à porter à son mari le bouillon de légumes a peut-être besoin de retrouver ces gestes maternels. Inversement on a souvent tendance à vouloir faire participer la famille aux soins. Ce peut être une bonne chose mais on trouvera des familles qui ne peuvent s’y résoudre. En d’autres termes, l’ennemi, c’est la logique.

La relation entre l’intervenant et la famille doit rester en toutes circonstances dans un jeu qu’il est bon d’expliciter devant elle. Car tout événement est toujours à la fois exceptionnel et commun : une feuille d’arbre tombe comme n’importe quelle feuille d’arbre ; et pourtant c’est bien cette feuille-là qui tombe. De même la famille possède sur la situation un savoir qui lui est propre : elle accompagne son parent, et cette expérience n’appartient qu’à elle nous n’y avons aucun accès, et même il est fréquent que le soignant n’ait jamais lui-même accompagné un être proche. Seule donc la famille connaît ce que la situation a de spécifique. Mais d’un autre côté le soignant possède un savoir que la famille n’a pas : c’est que son métier lui a fait voir tant de familles qui accompagnaient leur proche qu’il est capable de dire ce que l’événement a, précisément, de banal. La relation avec la famille est réussie quand on parvient à mettre en commun ces deux parties, étrangères l’une à l’autre, mais également indispensables, de la vérité.

Cela dit l’essentiel reste sans doute à faire, et même à concevoir : car dans les institutions bien peu est en place pour faciliter l’insertion des familles. Il n’y a guère de lieux, guère de structures, guère d’actions et, plus grave, les soignants n’ont aucune culture de cette relation. Il y a pourtant des moyens.

L’un d’entre eux serait le Conseil de la Vie Sociale tel qu’il est rendu obligatoire par les textes. On peut présumer qu’une gestion à la fois prudente, rigoureuse et malgré tout audacieuse de cette instance, en lui confiant notamment de réels pouvoirs, permettrait d’impliquer certaines familles, et qu’en se découvrant actrices de la situation elles puissent mieux gérer leur deuil.

L’entrée de tout résident devrait faire l’objet d’une enquête approfondie auprès des familles, sous forme d’un long entretien où seraient recueillies les informations biographiques essentielles, les goûts et les souhaits de la famille et de la personne âgée (tels du moins que la famille les perçoit, et donc sous bénéfice d’inventaire) ; on pourrait alors rédiger une sorte de contrat de prise en charge, réglant ou améliorant du même coup le problème de la liberté du résident (on sait combien il est difficile, ou plutôt radicalement impossible, de concilier la nécessaire stimulation du résident et le respect de ses droits fondamentaux).

La participation des familles à la prise en soin peut être organisée, au moins dans certains cas, et à condition de la valoriser ; notamment si elle est encouragée ce n’est pas pour pallier le manque de personnel mais parce qu’il s’agit d’un temps relationnel fort.

Enfin l’équipe soignante doit modifier sa perception de la situation, et comprendre que la famille est un acteur essentiel du soin, sans qui rien de bon ne peut se faire.

Notes

[1Il serait intéressant de rechercher l’origine de ce mouvement ; il est vraisemblable que la réforme de la tarification y a sa part, non seulement parce qu’elle modifie le nombre et la qualité des interlocuteurs, mais aussi parce qu’elle suppose l’utilisation du référentiel ANGÉLIQUE.

[2Et on méconnaît tragiquement à quel point leur paradigme personnel est la relation mère-enfant.

[3Et ce n’est pas le fait que dans cette affaire la raison soit bien plus souvent alléguée que réellement présente, ni celui que la morale ait bien peu à voir là-dedans, qui change le fond de la question.

[4Reste à se demander si tout le soin relève du médical

[5Le déni se retrouve ainsi au début du deuil et au début du conflit ; il faudrait tirer les conséquences de cette similitude.

[6Mais chacun sait que trois fois rien est beaucoup mieux que rien.

[7On retrouve là cette dimension morale du soin ; mais au fait, quand je dis : « il ne mange pas si mal », qu’est-ce que le mal vient faire là-dedans ?

[8Redisons-le une fois pour toutes : il n’est guère utile de vouloir étudier cette question sans avoir lu d’abord son livre « Pour la liberté d’être ». Pardonnez-moi, Marguerite : mon développement ici sera très court ; mais c’est parce que je renvoie le lecteur à votre propre travail