Cet article a été relu le 16 avril 2012

La Validation Inédit

43 | (actualisé le ) par Michel

POURQUOI PARLER DE LA VALIDATION ?

Le terme de Validation est à la mode, et les soignants qui ont des déments en charge ont bien peu de chance d’échapper à cette notion. Il importe donc de savoir de quoi il s’agit.

Mais la première chose à faire est de se méfier : quand on étudie la psychologie américaine on est frappé de la fréquence à laquelle on tombe sur la même histoire : une méthode à la fois simple et profonde qui révolutionne la prise en charge des malades. Quand on regarde d’un peu plus près on s’aperçoit que toutes ces méthodes ont toujours quelques points communs :
- Elles prétendent fournir une explication de toute une partie de la psychologie voire de toute l’aventure humaine.
- En fait elles sont bâties sur des théories à la solidité douteuse et qui relèvent davantage de la croyance, et se réduisent le plus souvent à une accumulation d’évidences.
- Elles ont été crées par des individus seuls, qui en général n’ont pas suivi des études classiques.
- Elles s’approprient le plus souvent des pans entiers de travaux déjà connus.
- Elles demandent tout de même une formation, généralement coûteuse.
- Elles ne survivent guère à leur inventeur [1].
C’est le schéma qu’on retrouve notamment à la base de la bio-énergie, du cri primal, et sans doute bientôt de l’haptonomie (mais beaucoup moins la sophrologie, par exemple) : c’est un comportement qui a plus à voir avec celui des sectes qu’avec la recherche scientifique. Les travaux de Naomi Feil sont de cette sorte. Mais malgré toutes les critiques qu’on peut faire, il reste que les évidences dont elle parle sont bonnes à se répéter, et que celui qui se contente de faire ce qu’elle propose accomplit déjà des progrès importants.

Naomi Feil n’est pas une soignante mais une travailleuse sociale américaine ; elle dit avoir mis au point des techniques simples pour communiquer avec les malades atteints de démence ; en fait on constate assez rapidement que ce sont des techniques qui n’ont rien de spécifique, et qui peuvent être utilisées d’une manière ou d’une autre pour n’importe quelle communication avec n’importe qui. L’intérêt de ces techniques est de pouvoir être utilisées par tous. Les intervenants aussi bien que les membres de la famille peuvent les mettre en pratique sans qu’il leur en coûte plus de quelques minutes par jour.

L’IDÉE GÉNÉRALE DE LA VAILDATION :

L’idée qui sous-tend cette approche est assez simple : il s’agit d’essayer de prendre le dément en somme là où il est. Le plus souvent les intervenants conçoivent leur rôle sur le mode de la rééducation, en cherchant à faire retrouver au dément un comportement normal, ou de la préservation, en essayant de freiner le processus démentiel. Ce travail est important, et il doit être fait. Mais on voit tout de suite l’énorme inconvénient de cette approche : elle revient à dire au dément : « Redeviens ce que tu étais, tu n’es plus toi-même » ; et en disant cela on laisse de côté le fait que le dément est d’abord quelqu’un, qu’il est vivant, qu’il s’exprime, et que ce qu’il dit a une valeur.

Le dément sait parfaitement qu’il est en train de perdre la tête [2]. Toute sa hantise est là : peut-il encore s’exprimer, se faire comprendre ? Ce qu’il dit a-t-il encore un sens ? Chaque fois qu’on essaie de corriger ce qu’il dit on l’enfonce dans son désarroi. Le propos de la validation est donc d’accepter la manière dont le dément s’exprime, en disant que ce qu’il dit a un sens, une importance.

Pour cela il faut rejoindre le dément sur son terrain. Le dément est dans son monde, il a du mal à comprendre ce qui l’entoure, cela lui fait peur, et c’est la raison principale pour laquelle il se replie. L’erreur commise par les soignants est souvent de vouloir ramener le dément à la réalité, ce qui est très angoissant pour lui. On est plus efficace, plus aidant, en décidant de le rejoindre là où il se trouve, en lui disant qu’il a bien raison d’être comme il est, en reconnaissant que ce qu’il dit a un sens au lieu de lui renvoyer perpétuellement qu’on ne le comprend pas, bref en validant son comportement et son propos au lieu d’essayer de le corriger.

Mais le projet de prendre le dément là où il est suppose qu’on prenne deux précautions essentielles.

La première est de rester parfaitement sincère : prendre le dément là où il est ne veut pas dire qu’on rentre dans son jeu. Si le dément délire on n’a pas le droit de délirer avec lui : valider c’est reconnaître au malade le droit de penser ce qu’il pense ; ce n’est en aucun cas faire mine de penser la même chose. Nous en verrons des exemples chemin faisant.

La seconde précaution à respecter pour prendre le malade là où il est est évidemment de s’en donner les moyens, ce qui suppose qu’on comprenne, précisément, où il en est.

LES THÉORIES DE LA RÉGRESSION :

La notion de régression est une notion capitale en psychanalyse.

La psychanalyse :

Lorsque je me trouve devant un problème, je dispose de deux stratégies. La première est de résoudre le problème en inventant une solution ; cela s’appelle l’imagination, c’est la stratégie la plus efficace, c’est aussi la plus coûteuse ; en psychanalyse cela s’appelle sublimation. La seconde est de chercher dans le passé si je n’ai pas déjà été confronté à une situation semblable ; j’essaie alors des solutions comme le serrurier essaie des clés : lorsque je perds mes clés j’appelle un serrurier ; ce serrurier vient avec un lot de clés et cherche à ouvrir la porte en essayant diverses clés ; c’est moins efficace car les situations ne sont jamais totalement identiques, mais c’est moins coûteux ; cela s’appelle l’expérience ; en psychanalyse on appelle cela régression : car la solution que je vais appliquer est une solution que j’ai trouvée dans un passé parfois fort ancien.

L’inconvénient de la régression est double : d’une part, comme on l’a dit, la solution que je trouve alors n’est pas parfaitement adaptée au problème qui m’est posé ; d’autre part lorsque j’applique une solution issue du passé j’ai tendance à adopter aussi l’état d’esprit qui était le mien à cette époque-là. C’est ainsi qu’on peut comprendre, par exemple, une partie du comportement de l’alcoolique : il se trouve incapable d’affronter les problèmes de la vie, et il régresse jusqu’à ce qu’il trouve une solution. Et la solution qu’il trouve est de se comporter comme lorsqu’il était bébé, et qu’il suffisait d’un biberon pour apaiser son angoisse. Le problème est qu’il adopte alors un comportement de bébé dans tous les domaines de sa vie, même dans ceux qui ne sont pas directement liés à la boisson.

Il va de soi que le dément est particulièrement exposé au risque de régression, puisque le problème qui lui est posé du fait de son effondrement intellectuel ne possède aucune solution. Il ne peut donc espérer en inventer une, et ce d’autant moins que pour inventer une solution il faudrait précisément qu’il ait un cerveau en bon état.

Il existe un certain nombre de théories qui prétendent expliquer l’état d’esprit du dément. Toutes sont basées sur l’idée que le dément, en somme, retombe en enfance, et que cette retombée a des chances de se produire comme une régression, comme si le dément parcourait à l’envers le chemin de la vie ; à tout le moins cela demande preuve (revenir en arrière n’est pas le contraire de marcher en avant : c’est parcourir à l’envers un chemin qu’on a déjà parcouru une fois) mais peu importe.

Le plongeon rétrograde :

Une théorie solide est celle du plongeon rétrograde, de Daniel Taillefer, psychologue canadien, et qui s’appuie sur les travaux de Reisberg. Ce dernier a essayé de classer la détérioration intellectuelle en 7 stades selon la gravité de la perte.

L’échelle de Reisberg s’établit comme suit :

- Stade 1 : Aucune détérioration.
- Stade 2 : Manque du mot léger : plainte subjective concernant des troubles de mémoire.
- Stade 3 : Déficits de fonctionnement au travail, notamment début de la désorientation.
- Stade 4 : Assistance requise aux tâches complexes.
- Stade 5 : Assistance requise dans certaines décisions de la vie quotidienne.
- Stade 6 : Malade assisté en permanence.
- Stade 7 : Stade terminal.

On voit tout de suite que ces stades sont tout de même très approximatifs. D’abord ils ne sont pas très bien adaptés à la réalité :
- Rien ne prouve que le sujet de stade 2 est sur le chemin de la démence.
- Le trouble du langage est loin de toujours précéder la désorientation ou la perte des habiletés.
- Le manque de mot et le trouble de la mémoire ne peuvent pas être reliés si facilement : l’un n’est pas la cause de l’autre.
D’autre part dans la pratique ils ne sont pas si utiles que cela ; mais enfin ils permettent d’y voir un peu plus clair, et de se parler commodément entre soignants.

Daniel Taillefer explique que chez le sujet atteint de démence de type Alzheimer le cerveau parcourt à l’envers le chemin de sa vie dans une sorte de régression au sens psychanalytique du terme. Les stades de Reisberg seraient grossièrement corrélés aux périodes de l’existence qui sont ainsi revécues dans le souvenir.

La correspondance des âges et de la mémoire s’établirait ainsi :

- Stades 1 et 2 : Pas de régression.
- Stade 3 : 66 ans et plus.
- Stade 4 : 56 à 65 ans.
- Stade 5 : 48 à 55 ans.
- Stade 6 : 18 à 45 ans.
- Stade 7 : 0 à 15 ans.

Donc un malade en stade 5, qui sait encore accomplir certaines tâches élémentaires de la vie quotidienne mais pas toutes pourra évoquer facilement ses souvenirs de la quarantaine, et on le stimulera davantage en lui parlant de cette périodes ; sur le plan du comportement il aura tendance à se conduire de la même manière qu’à cette époque-là. C’est du moins ce que prévoit la théorie.

Que peut-on en pratique tirer de cette approche ? Probablement une chose très simple : la détérioration intellectuelle s’accompagne d’une régression. Il est fécond pour le soignant de repérer cette régression, et par des moyens très simples de tenir compte, pour entrer en communication, du stade où il se trouve. Si on sait que le dément se trouve dans l’univers de son adolescence, cela permet de s’orienter : on peut choisir de s’installer avec lui dans cette couche de souvenirs, et les évoquer systématiquement avec lui ; on peut au contraire essayer de l’en sortir pour parler d’autre chose : les deux méthodes sont également bonnes, mais il faut simplement savoir que les résultats ne sont pas les mêmes. On peut aussi comprendre que les souvenirs qu’il évoque entraînent des émotions et des comportements qui sont liés à cette époque ; on pourrait même utiliser cette notion en adaptant son propre comportement : si le patient se conduit comme un enfant face à sa mère le soignant peut jouer à être une mère aimante, autoritaire... Cela est simplement interdit car il s’agit alors de ce que les psychanalystes appellent utilisation du transfert et cela demande une formation très poussée.

La théorie d’Erikson :

Naomi Feil fonde toute son approche sur la théorie d’Erik Erikson qui traite des stades de développement de la vie et des tâches qui doivent être accomplies à chacun de ces stades. Cette théorie veut qu’il y ait six périodes de la vie, et qu’à chacune ce ces périodes corresponde une tâche à accomplir. Naturellement l’épanouissement de la personne à un stade donné dépend beaucoup de la manière dont elle a réussi les tâches qu’elle devait accomplir aux stades précédents, et Erikson en tire des conclusions qui font que sa méthode se rapproche beaucoup de la psychanalyse, dont elle est d’ailleurs largement inspirée.

Donc il y a six périodes de la vie, et comme chez Taillefer le dément a tendance à régresser, parcourant là aussi ces six périodes dans une sorte de plongeon rétrograde. La répartition d’Erikson se fait comme suit :

- 1. Prime enfance :

  • Le sujet doit apprendre à faire confiance quand il y a frustration.
  • S’il échoue le sentiment est la défiance : je ne suis pas aimé.

- 2. Enfance : le sujet doit apprendre à se contrôler, à suivre des règles.

  • S’il réussit le sentiment est la joie d’y parvenir.
  • S’il échoue le sentiment est la honte, la culpabilité, le reproche : Je souille tout.

- 3. Adolescence : le sujet doit construire sa personnalité.

  • S’il réussit il trouve sa propre identité ; il se détache des parents.
  • S’il échoue le sentiment est l’insécurité ; délégation de rôle : je ne suis quelqu’un que si je suis aimé.

- 4. Âge adulte : le sujet doit établir une relation d’intimité avec un autre être humain.

  • Partage des premiers sentiments, sujet responsable de ses émotions, de ses erreurs et de ses succès.
  • S’il échoue le sentiment est l’isolement, dépendance.

- 5. Maturité : le sujet doit produire de nouvelles activités quand les anciennes sont dépassées ; se tourner vers quelque chose de nouveau.

  • S’il échoue le sentiment est la stagnation. Fixation sur des rôles dépassés.

- 6. Vieillesse : le sujet doit Boucler sa vie. Trouver la force intérieure, l’intégrité. Mélanger le passé au présent, se donner de nouveaux buts.

  • S’il échoue le sentiment est le désespoir : « Je ferais mieux d’être mort ».

L’idée de Naomi Feil est qu’en analysant le comportement du dément on peut arriver à comprendre quel est le type de problème qu’il cherche à résoudre, et par là à comprendre à quel niveau de régression il est arrivé.

Par exemple cette vieille dame accumule des objets, au besoin les vole et les entasse dans sa chambre. Elle donne l’impression qu’elle le fait pour se prouver qu’elle est quelqu’un. L’idée est que quand elle était une petite fille elle n’a jamais appris à faire confiance. Il est probable qu’on retrouvera facilement chez elle des souvenirs, des comportements, des attitudes qui datent de cette époque-là, et il faudra tenir compte de cette donnée pour améliorer la communication. Ailleurs c’est un vieux malade qui s’attachant aux pas d’un intervenant ou d’un membre de sa famille ; on pense qu’il cherche l’approbation de cet intervenant qui représente pour lui l’autorité parentale : on dirait un adolescent qui n’a jamais pu se détacher de ses parents.

On voit très vite les trois grandes critiques qu’on peut faire à la théorie de Naomi Feil :
- 1. Ce qu’elle énonce n’est rien d’autre que la théorie de la régression qui est à la base de la psychanalyse (on peut dire la même chose de la théorie du plongeon rétrograde).
- 2. Elle a raison d’insister sur la nécessité d’analyser le comportement du malade. Mais il n’est pas difficile de voir que cette analyse est très imprécise, et que les interprétations données par les soignants seront toujours risquées et toujours discutables.
- 3. Elle en vient très vite à dire qu’il est possible d’aider la personne démente à résoudre les problèmes qu’elle n’a pas su régler jusque là. On l’espère, mais sans trop y croire : c’est une autre constante de ces théories américaines que de prétendre réussir des miracles.

Bref, l’idée intéressante est que si nous parvenons à repérer à quel niveau le malade se situe nous allons pouvoir mieux le comprendre, et par là établir une relation plus apaisante pour lui. Nous allons donc procéder en deux temps :
- Dans un premier temps nous allons écouter le patient et essayer de comprendre de quels souvenirs il nous parle.
- Dans un second temps nous allons essayer de comprendre quel est son comportement, et en quoi il rappelle une période de sa vie.
Ensuite nous utiliserons les résultats de cette enquête pour essayer de trouver le comportement qui permettra à la personne de se sentir comprise et appréciée pour ce qu’elle est.

En somme pour trouver la clé qui permet de calmer la personne, il suffit de l’écouter vraiment, d’entendre ce qui cherche à se dire à travers son comportement, même quand il est « dérangeant ». Le projet de Naomi Feil est de suivre pas à pas, à travers des contacts quotidiens avec les personnes souffrant de démence, le fil conducteur des ressentis dans le labyrinthe des émotions. Dans la validation, ce qu’on valide c’est le comportement du malade : on ne cherche plus à le rectifier, on le reconnaît comme un comportement légitime et qui dit quelque chose.

LES OUTILS DE VALIDATION :

Naomi Feil décrit quatorze outils de validation. Ces outils ne sont pas tous originaux, on le soulignera à l’occasion ; d’autres sont carrément douteux... En fait ce sont le plus souvent des banalités ; redisons que ces banalités sont bonnes à entendre.

Disons tout d’abord que le soignant intervient dans deux contextes :
- Lors de relations spontanées en cours de journée.
- Lors d’interventions programmées.
Le soignant doit d’abord maîtriser l’intervention programmée, celle qu’il a prévue et pour laquelle il a le temps. Quand il sera bien habitué à ce type d’intervention il aura acquis la fluidité et l’aisance nécessaires pour améliorer ses relations spontanées.

Les techniques de Naomi Feil sont présentées ici dans un ordre logique, et ont été débarrassées de ce qu’elles contiennent de trop discutable. Cette présentation n’est donc pas... validée : on ne présente là qu’une opinion.

Se concentrer :

Il ne s’agit absolument pas d’une technique de communication mais d’un préalable.

Il est très important de se concentrer avant d’entrer dans une relation qui risque d’être difficile ou éprouvante. C’est le cas en accompagnement, quand on entre dans la chambre du mourant : on fera du mauvais travail si on ne prend pas le temps de se débarrasser de ses propres problèmes.

Il existe de multiples techniques de concentration, toutes plus ou moins inspirées du yoga. Il ne faut pas les valoriser outre mesure, ce n’est pas de la magie. Voici les recommandations de Naomi Feil pour l’utilisation de cette technique :
- Regarder fixement un point situé environ 5 cm en dessous de sa propre taille.
- Inspirer profondément par le nez et emplir d’air ses poumons. Expirer par la bouche.
- Supprimer toute réflexion intérieure, pour consacrer toute son attention à sa seule respiration.
- Par huit fois, répéter lentement cette procédure.
Ceci permet de se mettre vraiment à l’écoute de l’autre, en expulsant tous les sentiments de peine, de colère et de frustration, afin de les mettre au placard pour un moment. La validation devrait toujours commencer par cette technique.

Capter le regard du patient :

Le dément reste très longtemps, sans doute jusqu’au bout, sensible aux éléments de la communication non-verbale. Parmi ceux-ci le regard est important.

Quand on entre en communication il faut éviter tout ce qui ressemble à un rapport de force. Or en matière de comportement animal le signe de la domination est la place des yeux : si mon interlocuteur est placé de telle sorte que je le regarde de haut en bas, je le domine, et il se trouve en position d’infériorité.

Naturellement cette règle n’est pas absolue, et ne fait que nuancer le rapport de force : l’enseignant est debout devant des élèves assis, de sorte qu’il les regarde de haut en bas. Par contre le patron qui reçoit un employé est assis, et l’employé est debout, de sorte que le patron le regarde de bas en haut ; pourtant le rapport de force est en faveur du patron, parce qu’être assis est un privilège. Dans les deux cas, donc la position renforce l’autorité de celui qui la possède.

Il s’ensuit que la seule manière d’éviter l’aggravation du rapport de force est d’être situé à la même hauteur que celui à qui on s’adresse. Cela signifie par exemple qu’il n’est pas sain de converser avec le dément en se mettant assis sur le bord du lit : il faut faire l’effort de se baisser jusqu’à ce qu’on ait les yeux exactement à sa hauteur.

On sait que les regards sont capables d’exprimer un très grand nombre de sentiments. On sait moins comment c’est possible : le regard lui-même n’est le fait que de l’œil, et l’œil ne se modifie que très peu : seul le diamètre de la pupille peut changer, et cela dépend surtout de la luminosité... C’est donc l’œil qui porte le message et non le regard : autrement dit ce sont les paupières et les mouvements des globes.

Le regard est un enjeu fondamental de la communication avec le dément, car c’est l’instrument qui permet de fixer son attention. C’est par le regard qu’il conserve la notion d’une présence humaine près de lui : la parole est faite de mots qu’il ne comprend plus très bien, ou plus du tout ; le toucher est trop peu spécifique.

Il faut donc capter l’attention du dément en se plaçant face à lui, et en le regardant dans les yeux ; à condition bien sûr de veiller à ce que le regard ne soit en aucune façon agressant ou angoissant. Il est plus difficile de maintenir ce regard tout au long de l’entretien, il faut pourtant s’y exercer.

On ne doit pas craindre de pratiquer l’échange des regards : avec le dément non communiquant on peut essayer d’exprimer des émotions par le seul regard, et d’interpréter les émotions qu’on reçoit en retour. On aura souvent la bonne surprise de constater que les yeux parviennent ainsi à se parler. Naturellement de telles expériences ont quelque chose de douteux : en communication non-verbale rien n’est plus facile que de prendre ses désirs pour des réalités. Mais on peut au moins présumer que même si on se trompe quelque peu en interprétant les réactions du dément ce dernier aura tiré quelque avantage du fait qu’on lui aura consacré ce temps. Penser autrement reviendrait à dénier au fond toute valeur à notre action envers le dément.

Parler d’une voix claire, basse et affectueuse :

Dans une conversation, il y a les mots qui sont prononcés, avec leur signification, ce qui forme le contenu du message. Mais il y a aussi, nous le savons bien, la manière dont les mots sont prononcés : le travail sur l’intonation est la base du métier d’acteur. Allons plus loin : la tonalité de mon message contient des informations, et ces informations sont souvent au moins aussi importantes que le contenu objectif des mots : on a tort d’opposer comme on le fait le fond et la forme : ces deux notions sont totalement interdépendantes.

Cela est d’autant plus vrai chez le dément :
- Il est en difficulté pour comprendre le fond du message, car il ne connaît plus le sens des mots.
- Comme il ne comprend plus le sens des mots, il est encore plus sensible à leur environnement affectif.
- Il est en souffrance, et de ce fait hypersensible à tout ce qui constitue l’ambiance affective de la relation.

Il importe donc d’adopter un ton de voix rassurant ; cela suppose de parler lentement, doucement, sans élever la voix. Il faut s’y exercer. Il faut savoir, avant d’entamer la conversation, prendre le temps de se recentrer sur soi-même et de se préparer.

Mais cette règle est rapidement limitée :
1. Les modalités concrètes du travail ne laissent pas toujours le temps de se mettre en condition.
2. Le dément est souvent sourd, ce qui impose de lui parler fort.
3. Ce qu’on veut dire au malade n’est pas forcément compatible avec une douceur du ton. Certes on peut toujours s’efforcer de rester calme, mais il ne faut pas qu’il y ait une trop grande contradiction entre ce qu’on veut dire et la manière dont on va le dire, faute de quoi le dément va s’y perdre : il y a en somme des manières angoissantes d’éliminer l’angoisse.
4. Mais d’un autre côté parler de manière douce et chaleureuse ne veut pas dire adopter un ton lénifiant ou infantilisant. Le ton juste serait plus près de celui du psychiatre que de celui de la nourrice.
5. Il n’est pas si simple de trouver le ton juste : le pire serait d’adopter un ton si neutre qu’il n’exprimerait aucun sentiment, ce qui serait particulièrement angoissant. Il faut donc prendre garde à ne pas éliminer du ton de la voix toute trace de sentiment : il s’agit d’avoir un ton bienveillant, non un ton neutre ou indifférent.

Notons d’autre part que le fait d’adopter un ton de voix rassurant va organiser la régression dans deux directions :
- Le patient va entendre un soignant qui lui parle comme aurait fait sa mère. Cela ne manquera pas de déclencher chez lui des attitudes semblables à celle qu’il aurait eue avec sa propre mère, et de le renvoyer dans le monde de son enfance, avec les souvenirs de son enfance.
- Le soignant qui adopte un ton de voix maternel va se retrouver dans la position qu’il adopterait vis-à-vis de son enfant, ce qui n’est pas sans danger (accessoirement il pourra également retrouver des comportements qui témoignent de ce qu’il a vécu avec sa propre mère...).

Identifier et utiliser le sens préféré :

Il s’agit de ce qu’on appelle les canaux de communication. Si on veut vraiment parler la langue d’une autre personne et entrer dans son monde afin de gagner sa confiance, la meilleure façon de faire est d’apprendre à percevoir le monde comme elle le perçoit. Pour ce faire, il faut se mettre à l’écoute et observer attentivement. Les paroles et les actions finiront par dévoiler lequel de ses cinq sens (la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher) la personne utilise le plus dans ses expériences de la vie au quotidien.

Le langage témoigne facilement du canal de communication préféré de la personne. Il suffit de faire attention aux mots qu’elle utilise : ils traduisent sa manière de percevoir le monde.

L’expérience la plus simple est de faire raconter une scène donnée, par exemple un mariage. On verra vite que les divers participants sont capables de raconter correctement le même mariage mais que chacun insistera d’abord sur des points particuliers :

- La robe de la mariée : Vision
- Le repas : Goût
- L’orchestre : Audition
- Le parfum des tilleuls : Odorat
- Le velours des sièges : Toucher

Mais les choses vont beaucoup plus loin, et sont beaucoup plus subtiles, car la question des canaux de communication imprègne et structure tout le langage. Par exemple pour dire son aversion pour quelqu’un, on peut employer des canaux différents :

- Je ne m’entends pas avec lui : Audition
- Je ne peux pas le voir : Vision
- Je ne peux pas le sentir : Odorat
- Il me hérisse ; Toucher
- Il me dégoûte : Goût

Une fois le sens privilégié connu, l’intervenant qui se sert de la Validation se servira des mots clés qui correspondent à ce sens en s’adressant à la personne atteinte. Pour une personne qui utilise plus la vue pour comprendre son environnement, on pourra dire : « J’ai bien vu ça, moi aussi » ; pour une autre qui utilise plutôt l’ouïe, on dira : « Je vous entends clairement » ; et pour une personne dont le sens du toucher est prédominant : « C’est doux, n’est-ce pas ? » et ainsi de suite.

Toucher :

Cette technique s’applique bien avec les personnes qui éprouvent de la difficulté à voir et à entendre, dont la perception du temps est affectée, et qui sont incapables de reconnaître les gens, peu importe qu’ils soient des proches ou des étrangers. Le contact tactile devient donc un mode important par lequel on peut communiquer son affection ou du respect à ces personnes, ce qui a souvent comme résultat de créer des liens serrés entre ces personnes et les intervenants utilisant cette approche.

Lorsque la personne est encore plus refermée sur elle-même et qu’elle ne semble plus se préoccuper de ce qui l’entoure, le toucher permet d’entrer dans son monde ; ainsi des souvenirs agréables de la tendre enfance sont ravivés à travers le toucher.

Tout en respectant l’intimité de la personne, on peut, par exemple, faire des mouvements circulaires du bout des doigts sur le haut de la joue ou derrière la tête. Ou alors, en se servant des deux mains, une sur chaque côté du visage, on peut toucher le lobe de l’oreille avec l’auriculaire, et descendre ensuite le revers des mains le long de la mâchoire jusqu’au menton pour ensuite descendre le long du cou. On peut également masser les épaules, le haut du dos, ou toucher le bas du mollet avec le bout des doigts.

Il est cependant important de toujours approcher la personne de face car on peut la surprendre en arrivant de côté ou par en arrière. Il est tout aussi important de respecter l’état d’esprit de la personne en l’approchant, et d’être sensible à tout signe de résistance car ce ne sont pas toutes les personnes qui aiment être touchées.

Le choix des mots pour créer la confiance :

Il faut comprendre ce qui va mettre le dément en difficulté. En gros il lui est assez facile de parler de ce qu’il voit, nettement moins de ce qu’il pense ; il sait décrire, mais pas analyser. Il faut donc utiliser des mots simples, qui n’ouvrent pas la porte à des émotions trop difficiles à affronter. Par exemple les questions Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? sont assez facilement traitées par le malade, alors que la question Pourquoi ? la met tout de suite en difficulté : le malade se sent acculé au pied du mur lorsqu’on lui demande pourquoi il a fait ce qu’il a fait, ou pourquoi un événement est arrivé. On lui demande alors de motiver ses gestes ou ses paroles, c’est-à-dire de réfléchir sur lui-même, ce qui lui est très difficile ; et s’il le fait il risque de se retrouver sur le chemin de sentiments souvent porteurs d’une grande charge émotive, ce qui va lui faire peur.

Naomi Feil donne l’exemple suivant : une dame de 80 ans prétend que quelqu’un lui dérobe ses bijoux. Plutôt que de discuter avec elle, sa fille concentre la discussion sur des faits précis. « Qui accuses-tu de te dérober tes bijoux, Maman ? », demande-t-elle. La mère est intéressée par la question et lui répond : « C’est la femme de ménage. » « Que dis-tu donc qu’elle t’a volé ? » demande la fille, en continuant à focaliser sur des faits. « La dernière chose qu’elle m’a volée, ce sont mes boucles d’oreilles noires celles que Papa m’a données. » « Ce sont tes préférées », répond la fille. « Papa te donnait toujours de jolies choses. Il savait bien ce qui t’allait le mieux. Quand te les avait-il données ? » « Juste après notre mariage, pendant notre lune de miel », répond la mère.

Ici on commence à voir ce qu’est le mécanisme de validation : l’intervenante n’a pas cherché à détromper la malade, elle n’a pas cherché à la rassurer ; rassurer la patiente revenait à lui dire qu’elle avait tort ; or ce qui importe le plus au dément c’est d’avoir raison. Pour y parvenir l’intervenante a accepté de ne pas se demander si la colère de sa mère était justifiée : elle lui a simplement reconnu le droit d’être en colère. Et dès qu’elle a vu sa colère validée, la mère n’en a plus eu besoin, elle a pu cesser d’accuser la femme de ménage et il est devenu facile de la faire dériver jusqu’au point où elle pouvait se mettre à évoquer le souvenir de son mari.

Reformuler :

La personne atteinte se sent comprise si ses mots sont repris par quelqu’un d’autre. Cela la rassure. On peut dire la phrase en utilisant les mêmes mots-clés et en répétant l’essentiel. Imiter le ton de la voix et le débit est aussi un excellent moyen de montrer à la personne atteinte qu’on la comprend et qu’on est sensible à sa réalité.

La reformulation est une méthode à part entière, et une séance y sera probablement consacrée.

Naomi Feil donne l’exemple d’un vieil homme « qui accuse son garagiste de lui abîmer sa voiture ». Cette accusation est totalement fausse, et le garagiste devrait se défendre. Mais ce dernier se rend compte que quelque chose ne va pas : en fait il a l’intuition que le vieil homme s’identifie sa voiture ; Ainsi, lorsqu’il dit au garagiste qu’il ne comprend pas pourquoi sa voiture a besoin de réparations : « elle allait pourtant bien la semaine dernière... », il est en réalité en train de lui dire sa frustration face au fait qu’il ne se sent pas aussi bien qu’avant. Sa voiture sert de prétexte à masquer ces pertes qui l’affectent profondément. Au fond de lui, le vieil homme sait que sa vue baisse et qu’il perd peu à peu son sens de l’orientation. Il se sent usé, tout comme la boîte de vitesses de sa voiture. Le garagiste sent ce que le vieil homme lui dit vraiment et du coup il n’argumente pas. Il va utiliser une autre technique qui est celle de la reformulation : il va simplement répéter les mots du vieil homme, ce qui lui montre qu’il l’a entendu, qu’il l’a compris, que ses mots peuvent être dits par d’autres ; et cela va encourager le vieil homme à aller plus loin, jusqu’à dire le fond de sa pensée : ce que le malade dit a un sens, cela peut être échangé.
- Vous m’avez abîmé ma voiture.
- Vous pensez que je vous ai abîmé votre voiture ? (reformulation écho)
- Bien sûr ! la semaine dernière elle marchait encore très bien !
- J’ai l’impression que vous êtes très troublé par cela (reformulation du non-verbal).
- Oui, ce n’est pas normal, ce n’est pas parce qu’elle est vieille qu’elle doit tomber en panne.
- Ce n’est pas une explication... (reformulation ouverture).
- Non, bien sûr ! Tenez : moi j’ai quatre-vingts ans, eh bien je suis en pleine forme.
- Vous vous sentez très bien.
- Remarquez, on ne sait jamais...
Etc...

Utiliser la polarisation :

Cette technique consiste à laisser la personne atteinte exprimer sa frustration sur un objet ou une situation alors que nous savons que ce n’est pas la cause du problème.

Par exemple, lorsque la dame se plaint des plats servis à table, on lui demande : « Vous trouvez que c’est le plus mauvais jambon que vous ayez jamais mangé, n’est-ce pas ? » Nous savons bien qu’au fond, elle en a contre ses dents qui ne lui permettent plus de mastiquer comme avant. Mais en la laissant s’exprimer et s’emporter contre la nourriture, son anxiété a diminué et elle en a ressenti un certain soulagement. Il faut bien comprendre pourquoi cette technique est efficace. Et il y a trois grands mécanismes :
1. D’abord il y a le mécanisme général de la validation : on a reconnu à la dame le droit d’être en colère, et c’est ce qui importait. C’est la condition pour qu’elle puisse éventuellement dériver vers la vraie cause (comme dans l’exemple du bijou volé).
2. Ensuite il y a la validation du subterfuge : la grand-mère a sans doute besoin de se dire qu’elle est encore capable de sauver les apparences et de duper son monde.
3. Enfin il y a le mécanisme de toute colère : la colère est une émotion, qui demande à être déversée. Une fois cela accompli, la patiente se détend. Évidemment il est plus facile de tolérer une injustice contre un jambon que contre un soignant, mais c’est une autre question.

Imaginer le contraire et faire se souvenir :

Parfois, il faut essayer d’imaginer le contraire de la situation « vécue » par la personne, ce qui lui permet de retrouver une solution (faire se souvenir) qu’elle a autrefois utilisée pour régler la situation. Ces techniques peuvent redonner confiance en elle-même à la personne atteinte et en celui ou celle qui l’accompagne.

Par exemple, une malade dit : « Un homme vient dans ma chambre la nuit. » Utiliser la technique du « contraire » c’est essayer de l’amener à se rappeler les occasions où l’homme n’est pas venu. « Le voyez-vous toutes les nuits ? » La dame, surprise, constate que l’autre soir, quand nous sommes venu la visiter et qu’elle a veillé tard, il n’était pas là. Pourtant, dès qu’elle a été seule il était revenu. « Alors c’est seulement quand vous êtes seule que vous le voyez ? Si nous étions avec vous tout le temps, cela ne vous importunerait plus ? » La dame acquiesce et raconte qu’elle n’a jamais été seule de sa vie et combien elle s’est sentie abandonnée à la mort de son mari, qui avait toujours été à ses côtés.

Doucement, on demande à la dame ce qu’elle a fait à ce moment-là pour se sentir moins seule (faire se souvenir). Elle répond qu’elle passait ses nuits entières à regarder les vieilles photos de son mari en écoutant la musique qu’il aimait.

On voit facilement comment cette technique fonctionne : le fait d’imaginer le contraire permet à la personne âgée de prendre de la distance vis-à-vis de la situation angoissante. En évoquant une situation où l’homme n’est pas là on permet à la dame de constater qu’il n’est pas toujours là et que donc il n’envahit pas tout l’espace : il y a de la place pour penser à autre chose.

La technique du souvenir est beaucoup plus banale ; encore faut-il bien comprendre ce qu’on fait quand on l’utilise. Au moment du grand âge, « il n’est plus possible d’apprendre des façons nouvelles de se débrouiller ». L’avenir, mais aussi le présent sont des mondes angoissants. Par contre parler du passé est un excellent moyen d’instaurer un climat de confiance. Cela aide également à s’adapter à une situation de crise, à un stress ou à une vive émotion. Cela n’est pas simple : il n’est pas si facile de parler du passé à quelqu’un à qui la mémoire commence à faire défaut. Mais enfin dans la mesure où le patient se souvient, et surtout dans la mesure où on ne le confronte pas à ses échecs, on peut arriver à le sécuriser.

Naturellement ces deux techniques sont employées l’une à la suite de l’autre.

Utiliser l’ambiguïté :

Lorsque la personne atteinte utilise des mots incompréhensibles, l’intervenant qui connaît la Validation peut prendre part à la conversation sans la contredire. Ainsi, l’intervenant se sert du mot inconnu, mais en le remplaçant par « il », « elle », « on » ou par « c’était ».

Par exemple, à une personne qui se plaint en disant : « Ces catawalks me font mal ! », l’intervenant peut répondre : « Où vous font-ils mal ? », le pronom « ils » remplaçant le mot inconnu « catawalks ». À une autre personne qui dit : « J’ai chufté avec les mounnets », on pourra répondre : « Et c’était agréable ? Que vous a-t-on dit ? » Les mots « ils », « elles », « on », « c’était » etc. sont utilisés pour remplacer les mots inconnus du dictionnaire.

De cette façon, la communication est maintenue et la personne atteinte se sent comprise. Elle a l’impression d’être une interlocutrice valable dans la discussion. Mais cette technique n’est utilisable qu’à condition de l’avoir bien comprise : il ne s’agit en aucun cas de se moquer de la personne. Il s’agit au contraire d’une écoute particulièrement subtile : essayer de comprendre de quoi on nous parle alors que les mots sont perdus ; essayer plus encore de sentir quelles sont les émotions de l’autre alors même que nous ne savons pas ce qui l’émeut. Il s’agit en somme du véritable accompagnement : accompagner l’autre c’est accepter d’aller avec lui alors qu’on ne sait pas où il va.

Observer, puis copier les mouvements et les émotions de l’intéressé :

Naomi Feil appelle cela la « technique du miroir ». Cette technique permet à l’intervenant d’entrer dans le monde émotionnel de la personne. Elle sert à tisser un lien de confiance avec une personne atteinte qui ne s’exprime plus verbalement, afin d’éviter qu’elle se replie totalement sur elle-même. Pour ce faire, l’intervenant observe soigneusement l’attitude, les yeux, les expressions du visage, la lèvre inférieure, l’allure générale, les mouvements répétitifs, etc. de la personne atteinte. L’intervenant cherche ensuite à accorder son attitude, ses gestes et sa respiration à ceux de la personne à valider. La technique du « Miroir » effectuée avec empathie devient un outil précieux pour créer ce climat de confiance indispensable au mieux-être de la personne atteinte.

Voici le témoignage que livre Naomi Feil sur l’utilisation de cette technique : « Mildred Hopkins, ancienne secrétaire d’avocat, ne s’est jamais mariée. Elle a travaillé pour le même cabinet pendant 45 ans. Aujourd’hui, à 86 ans, [...], elle a besoin néanmoins de rester active. Le travail a toujours été son unique source de dignité. Se voyant en esprit devant sa machine à écrire Underwood, elle retrouve les gestes du passé et remue rapidement les doigts pour achever de taper ce que son patron lui a dicté, avant qu’il ne se rende au tribunal. L’intervenante qui utilise la Validation imite les mouvements de doigts de Mildred. Cette dernière voit les doigts de son imitatrice reproduire le rythme des siens. Elle lève les yeux. Leurs regards se croisent. Elles tapent ensemble. Avec admiration, l’intervenante sourit à Mildred : « Combien de mots-minute pouvez-vous taper ? », lui demande-t-elle. « 92 ! » répond Mildred avec fierté. C’est le premier mot qu’elle prononçait depuis son entrée à la maison de santé, 6 mois plus tôt ».

En copiant ses mouvements, l’intervenante qui s’est servi de la Validation a créé une complicité avec elle. Rassurée sur le plan relationnel, Mildred commença à s’extérioriser. Son élocution revint peu à peu et elle sembla retrouver de l’intérêt pour ce qui se passait autour d’elle.

Associer le comportement avec les besoins insatisfaits (ou les besoins exprimés) :

Il s’agit ici de reconnaître que le comportement de la personne atteinte exprime, d’une façon ou d’une autre, l’un des trois besoins fondamentaux de l’être humain : être aimé, être utile et le besoin d’exprimer les fortes émotions.

Tout le problème est donc de savoir quels sont les besoins exprimés par tel ou tel comportement ; on peut y parvenir en observant le malade, et là encore en écoutant le sentiment qui s’exprime pendant le comportement. Considérons par exemple un patient qui passe ses journées à frotter les meubles a une raison de le faire. Le soignant peut réagir de trois manières :
- 1. Il peut essayer d’empêcher le malade de frotter au motif que c’est sale.
- 2. Il peut laisser le malade à son comportement sans chercher à l’interpréter.
- 3. Il peut enfin essayer de percevoir l’émotion ou le besoin associé au comportement.
Dans ces dernier cas, s’il parvient à comprendre ce qui se passe, il va pouvoir aider le patient en lui parlant de ce qui se passe.

Utiliser la musique :

La musique fait appel aux émotions. Et les émotions sont ancrées bien loin dans la mémoire affective de la personne. Ce qui fait que souvent, les gens qui ne parlent plus sont quand même capables de chanter une chanson de leur enfance. Après avoir entendu puis chanté une mélodie familière, des personnes atteintes qui ne parlaient plus du tout sont parfois capables de dire quelques mots ; en toute hypothèse elles sont le plus souvent très attirées par la musique, le rythme, et cela les calme le plus souvent très bien.

EN GUISE DE CONCLUSION :

Il est facile de voir que la Validation n’est pas une méthode, mais une succession de techniques, certaines évidentes d’autres moins, certaines originales d’autres moins, et que tout cela ne va pas très loin. Mais il reste une idée fondamentale, qui doit être connue et mise en pratique : il importe de reconnaître au dément le droit à la parole, et surtout le droit à sa parole. Ce qu’il nous dit n’est pas conforme aux règles habituelles de la logique et de la communication ; cela ne signifie en rien qu’il n’a pas quelque chose à nous dire. Lorsqu’un patient est empêché de parler, par une aphasie ou une trachéotomie, nous savons dire que notre devoir est d’essayer par-dessus tout de le comprendre : ce n’est pas parce qu’il n’a plus accès au langage qu’il n’a rien à dire. De la même manière le dément n’a plus accès à la parole ; pour autant ce serait une erreur que de croire qu’il ne pense pas.

La mission du soignant est alors de comprendre le dément autant qu’il est possible ; pour cela la première chose à faire est de lui faire confiance : il faut avoir confiance dans son aptitude à penser, à communiquer, même si c’est un peu difficile.

L’objectif de la Validation n’est rien d’autre.

Notes

[1Sur ce sujet on lira avec profit R. Gentis : Leçons du corps, Flammarion éd.

[2La notion d’anosognosie du dément repose largement sur un contresens, sans doute issu lui-même du DSM IV : le plus souvent le dément nie être malade ; et le DSM IV refuse de se demander pourquoi il le nie, il se contente d’en prendre acte, au motif notamment que rien ne permet de faire la différence entre celui qui nie parce qu’il ne veut pas admettre et celui qui nie parce qu’il ne sait pas ; on peut comprendre cela, mais c’est tout de même un peu dommage...