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En réponse à :

Embolie gazeuse

, par Michel

Bonsoir, Marie.

Je vais faire quelque chose de très mal : vous répondre.

Il faut avoir le plus grand respect pour les tutrices, les médecins, et le savoir en général.

Après, il y a la pratique. Et la pratique appelle rapidement une attitude d’ironie bienveillante.

Allez, je vous explique.

Quand on fait une injection sous-cutanée ou intramusculaire, on choisit des endroits où il n’y a pas de vaisseau. Et on vous a sans doute expliqué qu’il fallait, avant de pousser le produit qu’on veut injecter, tirer un peu sur le piston pour vérifier qu’il n’y a pas de retour sanguin. Le risque serait d’avoir affaire à une curiosité anatomique comme un vaisseau ectopique. Entre vous et moi le risque est nul ; mais nous reparlerons de cela.

Si on n’a pas eu la malchance insigne de piquer un vaisseau et qu’on n’a pas bien purgé sa seringue, on va mettre trois bulles d’air sous la peau ou dans un muscle, personne n’y verra rien, au pire il y aura un petit emphysème sous-cutané qui va se résorber tout seul.

Oui, mais dans une veine ?

Dans une veine il ne va rien se passer non plus. Bien sûr que vous allez purger votre tubulure, et chasser l’air de votre seringue. Mais si vous allez le faire ce n’est pas pour éviter les embolies pulmonaires, c’est simplement parce que vous voulez injecter autre chose que de l’air. Je défie quiconque de me citer un seul exemple d’une embolie gazeuse survenue après une injection intraveineuse. Tout simplement parce que, pour y arriver, il faudrait prendre une seringue de 20 ml, la remplir d’air et la pousser en flash. Et encore : il y a un fantasme de ces mafiosi qui exécutaient leurs victimes en leur injectant de l’air ; outre qu’il n’est pas si simple de faire une intraveineuse à quelqu’un qui se débat, on oublie que les sang veineux arrive non au cerveau mais au poumon, que l’embolie gazeuse est donc une embolie pulmonaire et que l’embolie pulmonaire tue, mais pas souvent.

Ces précautions que nous prenons ne servent à rien. Elles sont un exemple de cette pensée magique dont je parlais à http://www.michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article94.

Oh, je vous vois venir : si on n’observe pas d’embolies gazeuses après les injections, c’est justement parce que nous prenons ces précautions.

Je n’en crois pas un mot. Tout simplement parce que l’embolie gazeuse est une affection rare, et qu’on sait que pour la produire il faut tout de même pas mal de gaz. L’exemple est l’accident de plongée sous-marine.

Ça me fait penser… On raconte que dans le Pacifique sud il y a des tribus qui vénèrent le soleil. Toute leur vie est réglée par la vie du soleil. Alors quand les jours se mettent à raccourcir, les indigènes se posent une terrible question : et si le soleil venait à s’éteindre ? C’est pourquoi ils prient, chantent, font des sacrifices, pour soutenir le soleil. Et la nuit du solstice, ils la passent en jeûne, en danses, en pénitences. Et ça marche : jusqu’ici le soleil est toujours reparti.

C’est ce que nous faisons, dans beaucoup de domaines de notre métier. Nos gestes ont une fonction liturgique. Et si la voie sous-cutanée a tant de mal à s’imposer, c’est parce qu’elle n’est pas assez compliquée. D’où ces débats hallucinants sur la manière dont il faut orienter l’aiguille quand on pose une sous-cut.

J’exagère ? D’accord.

Vous savez aussi bien que moi qu’avant de piquer la peau du malade on la désinfecte à l’alcool, n’est-ce pas ?

Mais vous savez aussi bien que moi que le délai d’action de l’alcool est de deux minutes.

Et vous savez aussi bien que moi que personne n’attend deux minutes avant de piquer.

Et vous savez aussi bien que moi que personne n’a jamais eu de problème.

Conclusion : il ne sert à rien de désinfecter la peau avant une piqûre. Cela a d’ailleurs été démontré voici une trentaine d’années par une étude qui montrait que, chez le diabétique insulinotraité, il n’y avait aucune différence selon qu’il se piquait dans les règles de l’art ou qu’il se piquait à travers le jean.

Désinfecter la peau est un geste magique, c’est une liturgie. Maintenant, essayez donc de piquer un malade sans lui passer le coup d’alcool, vous m’en direz des nouvelles. Nous devons assumer notre rôle de prêtres.

Sans compter qu’il n’est pas indifférent de dire au malade : je sais que mes gestes sont superflus, mais je tiens tellement à vous que je préfère prendre ce déluge de précautions, éliminant ainsi les risques les plus minimes, voire les risques imaginaires.

Mais chut ! Si vous racontez ça à votre tutrice, vous pourrez changer de métier.

Bien à vous,

M.C.

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