Bonjour, Dom.
Je ne sais pas très bien quoi vous répondre, sinon que globalement je fais la même analyse que vous, même si j’en nuancerais les raisons.
Ce qui est largement établi, c’est que l’ostéoporose est un facteur essentiel de fracture, non seulement du col du fémur mais plus encore peut-être de tassements vertébraux. Ces accidents surviennent volontiers en l’absence de tout traumatisme (on a évalué à 20% le nombre de fractures spontanées du col du fémur : ce sont des gens qui, au lieu de se fracturer parce qu’ils sont tombés, tombent parce qu’ils se sont fracturés, je ne suis pas près d’oublier ce vieux monsieur qui a fait ça sous mes yeux). Il est établi également que les traitements proposés (notamment les bisphosphonates du type Fosamax) ont une action sur la fabrication du tissu osseux. Enfin il est établi que c’est au stade d’ostéopénie qu’il faut agir si on veut espérer une quelconque efficacité.
Là où les choses se gâtent c’est quand on veut, précisément, agir. Mon vieux fond de scepticisme me pousse à douter qu’il soit possible de refabriquer de l’os quand on est octo- voire nonagénaire. Ou du moins d’en refabriquer de manière significative. Et je doute d’autant plus que ce n’est pas en refabriquant (ce qui ne serait déjà pas si mal) 3% d’os que je vais éviter 3% des fractures.
Après il y a des études qui disent que les personnes traitées font moins de fractures que celles qui ne le sont pas. Et si les os ne sont pas solides il paraît que ces études, elles, le sont. Je ne suis pas un grand spécialiste des études cliniques, et je ne me prononcerai pas. Tout ce que je dirai c’est que, la lecture de ce site vous l’a sans doute laissé entrevoir, c’est quand tout le monde est d’accord sur une question qu’elle commence à m’intéresser.
Je ne puis donc que vous donner mon opinion, sans aucune idée de ce qu’elle vaut, et le faire par petites touches.
La carence en vitamine D est très fréquente chez le sujet âgé. Il est sans doute adéquat de la compenser. Ma préférence irait à ces ampoules qu’on prend tous les deux ou trois mois et qui coûtent trois fois rien. À condition qu’on ait prouvé la carence. Et sans certitude quant à l’efficacité en termes de prévention des fractures.
Je n’ai pas le souvenir d’avoir pris l’initiative de donner du calcium à quelqu’un. Je ne l’aurais envisagé que devant un patient qui n’aurait mangé aucun produit laitier. La raison en est, mais je veux bien être contredit, que si un patient qui absorbe 50 % de la ration conseillée de calcium double (disons) son risque fracturaire, cela n’implique pas que celui qui absorbe 200% divise ce risque par deux. Or le comprimé de calcium est avant tout un merveilleux anorexigène, et ça, ça me dérange.
Je n’ai pas davantage le souvenir d’avoir prescrit un bisphosphonate. Mais je veux bien qu’on me le reproche.
J’aurais tendance à penser que le problème change d’aspect, disons vers 75 ans. Une personne de 60 ans qui présente une ostéopénie (à supposer, ce qui me semble toujours en débat, que l’ostéodensitométrie soit un examen fiable : si l’Assurance-maladie ne la rembourse pas, c’est bien à cause de ce doute) a certainement des questions à se poser, car son espérance de vie est suffisamment longue, et encore plus son espérance de vie avec une activité physique à risque de chute accidentelle. Mais vers 75-80 ans il me semble que la messe est dite, et qu’il n’y a probablement plus grand-chose à espérer des traitements. J’attire seulement votre attention sur le fait que les études disponibles sont moins pessimistes. Et que les choses évoluent : j’ai longtemps dit que le diabète du sujet âgé devait être traité de manière plus laxiste après 80 ans, parce qu’à cet âge on n’a plus le temps de faire des complications ; c’est de moins en moins vrai.
De toute manière la prévention des fractures repose tout de même avant tout sur la prévention des chutes, et c’est affaire d’activité physique. Il n’y a pas de sens à prescrire des médicaments anti-ostéoporose à quelqu’un qui ne bouge pas ; et l’activité physique est incomparablement plus efficace que n’importe quelle drogue pour fabriquer de l’os.
Chez la femme cette prévention repose aussi sur le traitement hormonal de la ménopause. Je n’ai pas compris le cirque qu’on a fait voici quelques années autour de ce traitement, du moins tel qu’on le pratique en France avec des hormones bien précises dans des conditions bien précises. Notamment l’absence de risque d’augmentation des cancers du sein a été démontrée (je n’ai jamais entendu dire qu’on retirait systématiquement les ovaires à toutes les femmes qui avaient un cancer du sein), en même temps qu’on démontrait la diminution d’autres cancers, notamment ovaire et côlon ; et je passe sur tous les autres bienfaits. Le dénigrement du traitement hormonal de la ménopause frôle le scandale de santé publique.
Après, il y a les labos. Je vous trouve à leur égard pleine d’une mansuétude inattendue, mais après tout il faut bien qu’ils vivent. Le schéma commercial est identique à celui qui régit la prise en charge du cholestérol chez le coronarien (on a réussi le tour de force d’inculquer aux cardiologues qu’ils doivent traiter le cholestérol du coronarien même quand il est normal). Et cela avec la quasi complicité de l’Assurance-maladie, qui rembourse tout ça à guichets ouverts. Mais que voulez-vous, il y a des études qui montrent que…
N’empêche, je parle de complicité, d’imprévoyance, voire d’irresponsabilité. Avez-vous remarqué ce qui se passe avec les médicaments déremboursés ? On a mis en vente libre pour traiter la fièvre une quantité impressionnante d’anti-inflammatoires, associé ou non au paracétamol. Comme c’est en vente libre, la marge des labos y est fabuleuse. Le hic c’est qu’il n’y a aucune raison médicale pour traiter la fièvre avec un anti-inflammatoire ; et que ces molécules ont une fâcheuse tendance à faire des trous dans l’estomac des gens. Pas grave : on a pris soin de mettre aussi en vente libre les anti-acides de la classe inhibiteurs de la pompe à protons. Quand on s’avisera de faire les comptes on tombera des nues devant le nombre d’hémorragies digestives par ulcère méconnu, spécialement chez le sujet âgé. Mais en attendant les labos s’engraissent et la Sécu ne paie pas. La vie est belle.
Enfin, le coût. En principe on a compté, et (mais à supposer que les études soient fiables) le coût du traitement généralisé est compensé par le coût des fractures évitées. Je veux bien le croire, je vous redis que ma position relève plus du mauvais esprit que d’une position scientifique solide. N’empêche que cette question se pose, et qu’elle se pose comme vous la posez. Il faut dépenser pour les vieux, mais l’argent qu’on met dans les vieux n’est pas mis dans les jeunes. C’est pourquoi vous avez raison d’être vigilante : un vieux bien soigné, cela ne coûte presque rien ; par contre, un vieux mal soigné…
Bien à vous,
M.C.