Poster un message

En réponse à :

La souffrance en fin de vie

, par Michel

Bonsoir.

Votre mail dit tout, en effet. D’un côté il y a la souffrance de la famille, qu’on n’a pas le droit d’éluder, mais qu’il est souvent bien difficile de soulager. De l’autre il y a l’éthique.

Et les considérations éthiques sont ici des contraintes majeures, raison pour laquelle l’équipe à laquelle vous avez affaire n’a pas voulu faire le geste dont vous parlez. Il y a au moins deux principes incontournables.

Le premier principe est qu’en aucun cas je ne suis autorisé à donner à Pierre un traitement dont il n’a pas besoin, même si cela ferait du bien à Paul. Ce dont le malade a besoin, c’est d’être soulagé ; pour cela j’ai l’obligation d’utiliser tous les moyens dont je dispose, y compris ceux dont l’utilisation risquerait d’écourter sa vie ; mais encore faut-il que ces moyens soient nécessaires, et que j’en use avec prudence. Une fois qu’il l’est soulagé (faut-il encore qu’il le soit) je n’ai le droit de lui donner rien d’autre. Donc donner une drogue quelconque à un malade au motif que sa famille se détruit est éthiquement inacceptable.

Ce n’est pas toujours simple : je pense à un cas particulier : le malade agité en institution. Si je me résigne à lui donner un sédatif, c’est pour que l’entourage le supporte. Mais je le fais tout de même pour le bien du malade, car si l’entourage ne le supporte plus c’est le malade lui-même qui en supportera les conséquences.

Le principe, lui, reste : je vous laisse imaginer dans quel monde nous vivrions si on s’autorisait à y déroger.

Le second principe est que si d’aventure il fallait enfreindre le premier (et je ne vois pas dans quel cas, une fois que le malade est soulagé, mais passons), alors le pire serait de le faire sans en parler. Que serait un médecin qui s’arrogerait le droit d’écourter la vie d’un patient sans prendre l’avis de personne ? Comment ferait-il pour décider que c’est là ce que souhaite le malade ? Car de deux choses l’une : ou le malade a suffisamment de lucidité pour souffrir de la situation, et il a suffisamment de lucidité pour vouloir quelque chose ; ou il n’a plus assez de lucidité pour vouloir quelque chose, et alors le plus probable est que la situation ne lui importe plus : et si elle ne lui importe plus, pourquoi dire qu’il en souffre ?

Il y a donc des gens qui font malgré tout ce genre de choses. Mais je dirais d’une part qu’ils sont totalement hors du respect des principes éthiques élémentaires, et d’autre part que s’ils le font, comme vous le pensez, "dans le dos des familles", alors personne ne le sait. Ces euthanasies clandestines existent, je le sais fort bien. Mais elles sont bien moins fréquentes, et heureusement, que vous ne le pensez.

Je n’ai pas d’autre choix ; car si je veux que, le moment venu, vous me fassiez confiance pour vous-même, alors il faut que vous sachiez qu’en aucun cas je ne mettrai votre vie en danger si je peux faire autrement, et même si votre entourage me demande de le faire.

Si je me trouve un jour dans une situation où je ne peux pas soulager un malade, alors je n’hésiterai pas une seconde à abréger sa vie. Simplement cela ne m’est jamais arrivé, parce que les moyens existent et sont disponibles.

Reste la souffrance de la famille. Et cette souffrance est telle qu’il lui arrive de vouloir que les choses s’accélèrent. Ce désir est fréquent, il est normal, il faut qu’il puisse se dire. Mais en tant que tel nous ne pouvons pas y répondre. Il y a par contre d’autres choses que nous pouvons faire, même si elles sont limitées.

Mais tout repose évidemment sur ce que vous dites dans votre dernière phrase :

Cela déchire mais en même temps soulage la famille qui se dit au moins il ou elle ne souffre plus.

Je vous le redis : je ne peux envisager de faire à un malade, pour soulager sa famille, un acte qui ne lui sert à rien. Mais cela m’engage évidemment à obtenir que le malade, lui, soit totalement en paix. Et pour cela, je dois utiliser tous les moyens.

Restera un autre débat : comment établit-on que le malade est en paix ? Et il faut à chacun beaucoup de clairvoyance et de rigueur intellectuelle, dans des circonstances où tout pousse à ne pas en avoir.

J’ai conscience que tout cela ne va pas beaucoup vous aider. Mais quelque chose me dit que, même dans cette période, rien ne peut vous aider en dehors d’un langage de parfaite honnêteté. J’espère...

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.