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En réponse à :

La souffrance en fin de vie

, par Michel

Bonsoir.

Vous répondre demande beaucoup de prudence : nous allons parler d’une situation que je n’ai pas connue.

Ce dont vous témoignez c’est d’un écart entre la théorie et la pratique.

Alors revenons sur la théorie.

Je persiste à dire qu’il est désormais possible de supprimer toute souffrance, quelle qu’elle soit. La raison de ce discours présomptueux est simple : les moyens qui sont disponibles en soins palliatifs sont les mêmes que ceux qui sont utilisés en anesthésie. Nous tomberons aisément d’accord sur ce point : l’anesthésiste a toujours un moyen de mettre son patient dans le confort pour l’intervention, n’est-ce pas ?

Je persiste à dire que nous savons évaluer le niveau de conscience de nos malades, et que notre évaluation de leur souffrance est correcte ; et je le dis pour les mêmes raisons : les méthodes d’évaluation sont celles qui ont cours en anesthésie ; et vous n’aurez pas de mal à m’accorder que l’anesthésiste sait faire cela.

Alors pourquoi avez-vous vécu ce que vous avez vécu ?

D’abord, je ne sais pas ce que vous avez vécu : alliez-vous souvent dans ce service ? Avez-vous rencontré l’équipe soignante ? Que vous a-t-elle dit exactement ? De quoi le malade se plaignait-il ? Toutes ces questions sont importantes, et les erreurs sont vite faites.

Je vais d’abord supposer qu’il n’y a pas maldonne : s’agissait-il réellement d’une unité de soins palliatifs ? Il y a des dénominations ambiguës. D’autre part, en soins palliatifs comme ailleurs il y a de mauvais médecins et de mauvaises unités.

En second lieu, l’évaluation de la souffrance n’est pas chose facile. Comme je vous l’ai dit, cela demande une longue habitude, et il peut se produire deux choses :
• La première est que les professionnels, tout professionnels qu’ils sont, peuvent méconnaître une souffrance, soit parce qu’ils manquent de vigilance (on n’est pas parfaits) soit qu’ils se trompent dans l’interprétation des signes qu’ils observent.
• La seconde est que les proches, parce qu’ils sont les proches et que l’émotion de la situation les envahit, se trompent également, et voient des manifestations de souffrance là où il n’y en a pas (c’est une banalité à la toute fin, où le malade est de toute manière dans le coma, ce qui fait qu’il ne vit rien de la scène, parfois spectaculaire ; et je vous le répète : les techniques que nous utilisons pour évaluer la profondeur d’un coma sont celles qui guident l’anesthésiste dans l’exercice de son art ; ces techniques sont remarquablement fiables).
Bref, il se peut que le patient dont vous me parlez ait effectivement souffert ; il se peut aussi que les choses aient été plus douces qu’il ne vous a semblé. Croyez-moi, c’est très fréquent. En particulier il faut une grande rigueur méthodologique pour évaluer une douleur, et l’erreur la plus répandue en soins palliatifs est de voir de la douleur là où il n’y en a pas : le malade a de multiples raisons de se plaindre et de gémir, et toutes ces plaintes ne relèvent pas de la morphine : à voir de la douleur partout le risque est grand de se tromper de symptôme, et de laisser le malade souffrir en traitant une douleur qui n’existe pas, ou qui du moins n’est pas la cause de la plainte.

Mais surtout, je vous ai dit que l’anesthésiste a réponse à toute souffrance. Et je le maintiens. Mais il y a un prix à payer, bien sûr : c’est la sédation. Le malade peut toujours être soulagé, mais cela peut n’être obtenu qu’à condition de l’endormir.

Je crois qu’il ne faut pas hésiter à endormir le malade quand on ne peut pas le soulager autrement. Mais cela dépend bien sûr du contrat qu’on a passé avec lui. Il y a de nombreux malades qui veulent par-dessus tout conserver leur lucidité, et qui ne veulent pas qu’on les endorme. Dans ces conditions il peut se faire qu’on ne trouve pas d’équilibre thérapeutique. Ce n’est pas une limite des soins palliatifs, c’est une décision à respecter.

Ce que je peux dire c’est que dans ma pratique je n’ai jamais rencontré de situation impossible. Les difficultés sont autres : quand franchir le pas de la sédation ? Comment interpréter ce que nous voyons ? Comment ne pas tomber dans l’erreur du tout-morphine pour calmer une plainte qui nous parle d’autre chose ? Et j’ai le souvenir de patients pour qui je ne sais toujours pas si j’ai eu raison.

Ce que je sais en revanche, c’est que si le confort de votre ami n’avait été qu’une question de morphine, on aurait pu l’augmenter largement, sans même que cela le mette en danger. Mais s’agissait-il de cela ? Je n’ai pas de moyen de le savoir.

Bien à vous,

M.C.

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