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En réponse à :

La souffrance en fin de vie

, par Michel

Bonjour, Catherine.

J’aurais honte, je crois, d’essayer seulement de trouver des paroles qui adoucissent votre douleur. Rien ne le peut, et le deuil d’un enfant est probablement, comme vous l’écrivez, le pire qui soit.

Autant me taire, donc. Toutefois je me sens poussé à vous répondre, sans savoir à quoi cela va bien pouvoir servir. Je vais donc vous parler de ce que je crois. En le faisant je ne vais pas perdre de vue que je fais partie de ces privilégiés qui auront traversé la vie sans être affrontés à un seul malheur digne de ce nom, de sorte qu’il m’est sans doute un peu facile d’adopter telle ou telle position. Je n’oublie pas que je n’ai aucune idée de ce que je dirai quand mon tour viendra, et que, même, je vis avec le sentiment diffus, absurde et tenace que l’ardoise qui alors me sera présentée pourrait bien être à proportion de la chance que jusqu’ici j’ai eue.

Un point d’abord, auquel je tiens : je ne fais pas mystère de mon attachement au catholicisme romain, mais j’affirme que rien dans ce que j’écris n’est lié à cette croyance qui est mienne. Par exemple je n’ai que faire du respect de la vie. Pas en tout cas au sens que beaucoup de chrétiens donnent à ce terme. Disons que je reprends à mon compte la vieille et schématique distinction entre sacré et profane : le profane est ce qui est à ma libre disposition, le sacré est ce dont je ne peux faire ce que je veux (on s’aperçoit bien vite que ce n’est pas si simple, et que le domaine du profane n’est pas forcément aussi étendu qu’on le pense ; ainsi par exemple le foie gras est profane, mais si je considère la misère du monde j’en viens à me dire que je ne suis pas libre de le gaspiller n’importe comment ; ou encore, même si c’est dans un registre différent, la sexualité est à ma libre disposition, mais dans la mesure où elle implique un autre je ne peux en faire ce que je veux). Ainsi la vie est sacrée, non point parce que je n’ai pas le droit d’y toucher, mais parce que je ne peux y toucher qu’en responsabilité ; le Coran trouve les termes exacts quand il dit : Ne tuez qu’en toute justice la vie qu’Allah a faite sacrée. (VI, 151). C’est pourquoi mon hostilité à l’euthanasie ne repose en rien sur un quelconque respect de la vie : j’ai dit que je pratiquerais sans hésiter toutes les euthanasies qui m’apparaîtraient nécessaires, mais que je n’ai jamais rencontré de situation de ce genre (et j’ai ajouté que je ne raisonnerais certainement pas de la même manière dans un pays où je ne disposerais pas des moyens de calmer la souffrance) : l’euthanasie n’est pas un concept moderne, c’est un concept ringard.

Mais vous, vous parlez d’autre chose. Vous écrivez : Il n’y a donc rien de "divin" et nous devons décider seul par avance de quand et comment sera techniquement notre fin de vie. En d’autres termes :
- Dieu n’existe pas.
- La liberté de se suicider est la seule option digne de l’humain.
- C’est parce que Dieu n’existe pas que la liberté de se suicider est envisageable.

Voyons ces trois affirmations.

1°) : Dieu n’existe pas. Ce n’est pas ici le lieu d’en discuter ; mais je relève que parmi les raisons qui vous font arriver à cette affirmation il y a la tragédie que vous avez vécue et vivez encore. Comment ne pas vous comprendre ? Comment vous cacher que je ne sais pas vous répondre ? Tout ce que je peux commenter, c’est que nous ne savons penser Dieu que comme Tout-Puissant, ce qui nous conduit à le remettre en cause quand à l’évidence il laisse se produire la souffrance humaine sans qu’on aperçoive la moindre justification ; ce qui conduit à considérer que Dieu est avant tout un être sadique qui se complaît à voir ses créatures torturées. Je sais quelles arguties ont été développées autour du refrain : le mal est la condition même de la liberté humaine, j’en connais les démonstrations par cœur, et pourtant je ne leur accorde aucun crédit : Dieu dans sa toute-puissance n’avait qu’à changer les conditions du problème. Ajoutons que rien dans la Bible ne permet la moindre avancée sur ce point : dans le livre de Job, qui est censé nous éclairer sur l’origine du mal, les réponses de Dieu sont les plus piteuses qu’on puisse imaginer. Non : la seule position que je puisse concevoir est celle d’un Dieu qui, contrairement à nos espérances, se montre singulièrement impuissant. Autant dire que, rejoignant en cela la leçon de Job, je ne sais pas.

2°) : La liberté de se suicider est la seule option digne de l’humain. Mais… je vous suis largement sur ce point. Je veux dire que la liberté de se suicider est pour moi une liberté, et qu’elle est absolue (d’ailleurs on se demande comment on ferait pour s’y opposer). J’ai une objection, mais elle m’est personnelle : quand on dit que ma vie m’appartient, on ne dit pas une évidence. L’homme est un animal social, et il ne va pas de soi qu’il n’ait aucun compte à rendre de ce qu’il fait de sa vie : je suis fils de mes parents, père de mes enfants, cela me donne des droits et des devoirs ; mes parents sont morts, le livre est fermé en ce qui les concerne ; mais mes enfants sont vivants. Et il y a tout le réseau de relations et d’interdépendances dont je fais partie, bref ce n’est pas si simple, même si cela ne suffit pas à récuser ce qui serait un « droit au suicide ». Ce n’est donc pas cette possibilité que je récuse. Par contre j’ai la conviction que la société commettrait une faute majeure en s’en mêlant. Il y a pour cela une foule d’arguments, je ne vais pas les énumérer. Le plus simple d’entre eux est celui-ci : une loi a nécessairement des avantages et des inconvénients ; il y a des gens qu’elle sert et d’autres qu’elle dessert, il y a des situations où elle crée de la justice et d’autres où elle crée de l’injustice ; du coup une bonne loi est une loi qui a bien plus d’avantages que d’inconvénients, qui crée bien plus de justice que d’injustice. Ce n’est pas le cas, on le démontre très facilement, des propositions de loi portées chaque année par les partisans de la mort pour tous.

3°) : C’est parce que Dieu n’existe pas que la liberté de se suicider est envisageable. Là, précisément, je ne crois pas. Je crois au contraire que les deux questions sont indépendantes, à telle enseigne que moi qui crois à l’existence de Dieu je ne récuse pas la possibilité du suicide. Si je pensais autrement, alors je n’aurais d’autre recours que dans un dolorisme qui m’horripile, et où les souffrances de la vie doivent être converties en offrande faite au Dieu des masochistes. Très peu pour moi. Je ne sais pas si j’aurai à souffrir, je ne sais pas si j’aurai le courage de supporter ces souffrances pour rester avec les miens, je ne sais pas davantage si je choisirai de faire de certaines souffrances une occasion de progression spirituelle (cela peut se produire), mais je n’ai nullement l’intention de croire que la patience dans les épreuves peut devenir un sacrifice agréable à Dieu.

Voilà. Je suis parfaitement conscient de n’avoir rien écrit ici qui change quoi que ce soit à ce que vous vivez. Et je sais bien que mon verbiage ne me sert qu’à oublier combien je suis démuni. Peut-être était-ce un moyen de rester près de vous.

Bien à vous,

M.C.

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