Poster un message

En réponse à :

la sédation

, par Michel

Bonjour, Eli.

Répondre à votre message n’est pas une entreprise aisée. Je crois qu’il me faut garder en tête que vous posez trois problèmes :
- Il y a d’abord ce qui s’est passé.
- Il y a ce que vous éprouvez en ce moment.
- Il y a ce qui s’est passé avec l’équipe.

Je vais essayer de répondre aux trois. Je vous supplie de garder en tête que je n’ai pas assisté à cette évolution, ce qui rend cette entreprise très imprudente.

Il y a ce qui s’est passé. Et la réponse est : rien. Ce que vous décrivez est caractéristique de ce type de cancer, dont le pronostic est très mauvais et qui aboutissent très souvent à un effondrement brutal. J’ajouterais simplement que quand il se produit cet effondrement est plutôt accueilli avec un certain soulagement, car nous parlons là de cancers difficiles, souvent capables de provoquer notamment des douleurs très sévères et très complexes à traiter.

Donc votre mère est entrée en soins palliatifs trois semaines avant son décès, ce qui est une durée habituelle dans cette situation. On ne peut pas savoir quelle est la nature exacte du problème qui a immédiatement provoqué sa mort, mais l’honnêteté intellectuelle imposerait bien plutôt de dire qu’on ne le sait pratiquement jamais :
- On ne le sait pas parce qu’à la toute fin il y a mieux à faire que poser des diagnostics précis sur une situation qui de toute manière aboutira au décès.
- On ne le sait pas parce que si vous demandez de quoi on meurt quand on meurt d’un cancer, on sera bien en peine de vous fournir une réponse claire.
- On ne le sait pas parce que cette question est par nature sans réponse : c’est une question dont la réponse ouvre toujours sur une autre question, et ceci à l’infini. Un peu comme les enfants qui demandent pourquoi il y a telle chose, puis pourquoi il y a la réponse, etc. J’ai dit ailleurs que ce questionnement est sans fin parce qu’il est de nature métaphysique et que le jeu infini des questions aboutit nécessairement à la question de Leibnitz : pourquoi y a-t-il le monde, quand il pourrait tout aussi bien ne rien y avoir du tout ?

L’évolution s’est faite, comme c’est fréquent, vers une perte de connaissance avec encombrement bronchique ; cette durée de moins de quarante-huit heures pour l’épisode terminal permet de supposer qu’elle était tout simplement entrée en agonie. Bref, dans votre récit rien ne me surprend.

Il y a ce que vous éprouvez et ce qui s’est passé avec l’équipe. Et là c’est beaucoup plus délicat.

Dans cette étude je partirai du principe que vous avez eu affaire à une vraie équipe de soins palliatifs. Je vous dis cela parce qu’il ne manque pas de services plus ou moins compétents qui s’affichent « unité de soins palliatifs » alors qu’ils n’en ont pas les moyens. Je partirai de cet autre principe que c’était une équipe compétente ; je veux dire que toute discipline a son lot d’incapables ; je garde pour moi le fait que je continue à ne pas partager certaines manières de faire qui sont d’usage courant en soins palliatifs, et que sans être démesurément scrogneugneu je me demande si le mouvement des soins palliatifs a su conserver ses exigences originelles.

Je viens de perdre ma maman

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que c’est la clé, bien sûr : vous êtes en deuil, et la première question que vous devez vous poser est de savoir ce qui, dans vos sentiments, revient au deuil, mécanisme psychologique qui a sa dynamique et ses particularités, voyez http://www.michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article21

Elle était en soin palliatif depuis 3 semaines,

Et il est dans la nature du deuil de brouiller la réceptivité de la victime : durant ces trois semaines vous avez vu les professionnels, vous avez discuté avec eux, ils vous ont dit des choses. Si cela n’a pas été fait il y a de quoi se questionner sur le projet du service. Mais votre souffrance était là ; il se peut que rien ne vous ait été dit, mais bien plus fréquemment il se produit que les choses vous ont été dites, que vous les avez oubliées, ou que vous ne les avez pas entendues.

je n’ai rien compris ça été très vite.

Absolument pas. Quand elle est entrée en soins palliatifs il était très clair qu’on entrait en phase terminale. Comme d’habitude dans ce type de situation elle faisait encore illusion ; mais il n’était pas réaliste d’oublier que la mort était là. Heureusement, cette illusion a duré, et l’effondrement final a été rapide. Que se serait-il passé, quelle supplice n’aurez-vous pas vécu, si vous aviez dû assiste à ces lentes dégradations qu’on observe trop souvent, et qui n’en finissent pas ?

elle est entrée dans un semi coma 1 jours avant, le samedi, elle réagissait encore contrairement au dimanche matin, elle avait des râles

Répétons-le : il s’agissait d’une agonie (je vous redis que je n’y étais pas).

et a été intubée plusieurs fois pour enlever les sécrétions.

Pour de multiples raisons je n’aime pas beaucoup ces aspirations ; mais comme toujours en médecine il est des cas où les choses sont nécessaires.

le dimanche après-midi le médecin m’annonce qu’elle avait encore des réactions mais qui n’étaient pas visibles pour moi, le médecin me dit également que ses reins fonctionnent ainsi que son cerveau et pas d’eau dans les poumons,

Je n’ai pas assisté à cette conversation. Mais j’ai d’autres souvenirs de conversations analogues. Et je soulignerais les points suivants :
- Il se peut, ne l’oublions jamais, que ce médecin n’ait pas fait son travail correctement.
- Mais il est venu un dimanche après-midi (ce n’est pas tout à fait rien), et il est venu vous parler. Si j’avais fait une telle chose cela aurait été pour vous expliquer que nous étions en agonie et que la fin était imminente, sans que je puisse préciser davantage ; je vous aurais donc conseillé de rester dans la mesure du possible. Pour cela je vous aurais dit moi aussi que, même dans le coma, un sujet peut rester sensible à son environnement (en tout cas c’est la seule hypothèse qu’il soit utile de faire, car si on en fait une autre alors on se demande pourquoi il faudrait que vous restiez près de quelqu’un qui n’a plus aucune sensation de votre présence) ; j’aurais ajouté que ce coma n’était d’ailleurs pas très profond, car s’il l’avait été je n’aurais pas eu besoin de rajouter une sédation. Je vous aurais dit moi aussi que les reins n’étaient pas le problème, je vous aurais répété que le cerveau était encore en état de percevoir, et j’aurais précisé que les bruits du râle agonique ne signifient pas qu’il y a de l’eau de dans les poumons, et donc que votre mère n’était pas en train de s’étouffer.

Voilà ce que j’aurais dit. Et c’est ce que le médecin vous a dit. Du coup je peux me risquer : j’aurais dit cela, mais j’aurais bien précisé que tout cela s’entend dans le contexte d’une agonie, c’est-à-dire de quelqu’un qui meurt, là, sous nos yeux. Je prends le pari que ce médecin consciencieux qui est venu ainsi vous parler dans ce contexte vous a dit cette même chose, mais que vous ne l’avez pas entendue, car votre souffrance vous en ôtait la possibilité. Phénomène classique dont j’ai des dizaines d’exemples, et dont la quasi-preuve se trouve dans le fait que vous ne rapportez de cette conversation que des choses somme toute positives et rassurantes, alors que la situation disait évidemment tout le contraire. Je crois que si (et je vous le recommande) vous retournez le voir, c’est ce qu’il vous dira.

Cette attitude dans laquelle tout ce que l’autre peut dire est filtré et considéré uniquement par son éventuel bon côté, alors même que cet autre s’ingénie à dire que la situation est grave, est un mécanisme classique du deuil.

je ne comprends donc pas ce qui s’est passé.

Autre mécanisme assez classique : ce qui s’est passé est très clair, très simple, et il n’y a rien à comprendre ; du moins rien de plus que ce que je vous ai expliqué. Mais l’idée qu’il y aurait quelque chose à comprendre permet de diluer un peu la souffrance : on ne peut pas à la fois souffrir et chercher à comprendre, et l’idée que si on comprenait on souffrirait moins est déjà un apaisement ; alors qu’elle est absurde, mais c’est une absurdité dont nous sommes familiers : chaque fois que le hasard nous frappe notre premier mouvement est de demander pourquoi.

Avant d’arriver en USP j’ai accompagné maman en HAD pendant 3 mois et demi. Je cherche des réponses.

Je vous souris : vous cherchez des réponses, soit. Vous perdez votre temps, mais je veux bien le perdre avec vous. Posez donc vos questions, vous verrez vite ce qu’il en est. Vous avez accompagné maman en HAD pendant 3 mois et demi ; et… vous pensiez que cela allait durer ? Si elle a été adressée en USP, c’est bien parce que ce n’était plus tenable à domicile, n’est-ce pas ?

En USP ma maman n’avait que 10 ml de morphine et du midazolam.

Mais… pourquoi y aurait-il une relation entre les doses de médicaments et la gravité de la situation ? Je vous dirai les choses autrement : de manière miraculeuse votre mère n’avait que peu de douleurs ; c’est rare dans ce type de cancers.

Il n’y a pas trop eu de transparence en USP sur les soins.

Je vous le redis : je n’y étais pas, et il y a des imbéciles partout. Mais la transparence est l’âme même des soins palliatifs, et dans votre récit on voit bien que le médecin a cherché la communication avec vous. Dans votre phrase je vois bien plutôt les effets de deux mécanismes classiques du deuil :
- Le déni, qui fait qu’on ne voit pas la situation comme elle est.
- La colère, qui fait qu’on a besoin de s’en prendre à quelqu’un.

Je cherche juste à comprendre, a comprendre quoi je ne sais pas trop.

Oui, Eli. C’est précisément ça, le deuil.

Cela fait 15 jours que ma maman est partie.

Rassurez-vous : ce deuil est tout récent, et dans ce que vous écrivez je ne vois que des émotions normales à ce stade. Nous pouvons continuer à en parler si vous le voulez.

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.