Bonjour, Eric, et merci de ce message.
Je le partage presque totalement. Je n’aurais que quelques réserves et remarques, mais elles me sont très personnelles : il s’agit de réticences, non de prises de position.
Vous soulignez d’entrée la chose la plus importante : il faut distinguer soigneusement l’aide au suicide et l’euthanasie.
Débarrassons-nous d’abord d’un point : le catholique pratiquant que je suis affirme que la religion n’a pas grand-chose à dire sur le sujet. Tout ce que je dirais c’est que la vie est pour moi chose sacrée au sens ethnologique du terme : le profane est ce dont je fais ce que je veux, le sacré est ce dont je ne peux pas faire n’importe quoi : à ce qui est sacré je peux toucher, mais j’en rendrai compte ; ce à quoi je ne peux toucher, c’est le saint. La vie est sacrée : quand j’y touche, je dois dire pourquoi.
Quand vous dites :
dans un cas c’est le patient lui-même qui s’enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l’autre c’est le médecin qui la retire.
il me semble que vous introduisez une ambiguïté : il y a le suicide assisté, dans lequel c’est autrui qui, sur la demande du malade, met en œuvre les moyens de la mort, et il y a l’aide au suicide, dans laquelle autrui se contente de fournir au malade les moyens de cette mort. Et le suicide assisté me semble poser des problèmes identiques à ceux de l’euthanasie.
Ce qui est remarquable, c’est que les gens de l’ADMD mélangent les deux sans la moindre vergogne, et feignent de croire qu’il s’agit d’un droit unique, celui de « mourir dans la dignité ». Ce qui est également remarquable c’est leur obsession de vouloir que la mort, considérée comme une suprême liberté, soit à tout prix procurée par un autre ; mais si c’est un autre qui doit intervenir, alors il ne faut pas s’étonner qu’il ait son mot à dire, et du coup tout s’écroule ; ils sont d’ailleurs bien obligés d’admettre qu’il faut un avis médical ; ils se gardent bien de dire ce qui se passe quand l’avis est négatif ; et comment le pourraient-ils, puisque la liberté du candidat à la mort est posée comme absolue ?
Je ne crois pas qu’il puisse exister un droit au suicide : le droit est ce qui permet aux humains de vivre ensemble, je doute qu’il puisse sans danger dire quoi que ce soit sur les humains qui, précisément, ne veulent plus vivre. Le droit n’a pas d’autre position que de se taire, ce qui n’est déjà pas si mal. Si le suicide a été décriminalisé, c’est largement parce qu’on se demande comment il pourrait bien faire respecter son interdiction : qui veut mourir n’a que faire des sanctions.
Vous écrivez :
Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972 (et en 1810 en France), cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu’une complicité que s’il existe une infraction principale.
Je n’en suis pas si sûr : c’est l’incitation au suicide qui est réprimée, et elle constitue un délit indépendant, tout comme l’est l’incitation à la haine raciale.
Et je crois qu’il est impossible à une société de rendre le suicide facile. Je crois que l’ordre public impose que le suicide soit un acte relativement complexe : nous savons tous que dans leur immense majorité les suicides sont des actes pathologiques, contre lesquels il faut lutter. J’ajoute pour ma part qu’on nous ment quand on nous raconte que les moyens d’un suicide confortable sont difficiles à trouver, il y faut simplement un peu de motivation. Il suffit de se promener dans un service d’urgences pour constater que la majorité des tentatives de suicide sont des appels à entendre, et que pour les autres les patients se manquent souvent de très peu : ils connaissent parfaitement les toxiques à utiliser, ils savent se les procurer, les doses sont souvent conséquentes, et l’échec résulte le plus souvent d’erreurs d’organisation. Ce qui est le plus surprenant, c’est que lorsqu’on demande aux militants du « doit de mourir dans la dignité » comment ils s’y prendraient pour eux-mêmes la réponse de loin la plus courante est qu’ils ne s’en sont pas préoccupés.
J’ajoute enfin qu’il ne me semble pas aller de soi qu’on puisse se dire maître de sa vie. L’homme est un animal social, je dois ma vie et ce qu’elle est à mon entourage, et il ne m’est pas évident que je n’aie aucun compte à lui rendre.
Alors, que faire ?
À mon avis, rien. On ne peut pas légiférer sur le suicide, car cela n’aurait aucun sens. On ne peut pas davantage l’organiser, car ce serait trop dangereux. Nous sommes dans une de ces situations pour lesquelles il ne peut exister aucune solution institutionnelle, et qui le cas échéant doivent être examinées au cas par cas. Cela ne me dérange pas. Par contre il me semble capital de ne pas y mêler les professionnels de santé : on n’a nul besoin d’eux.
Bien à vous,
M.C.