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En réponse à :

La méthode Gineste-Marescotti

, par Michel

Bonsoir, Franck.

J’ai enfin un peu de temps pour vous répondre. Je vais donc reprendre votre phrase.

Jusqu’à présent, je considérais moi aussi la question du "savoir-être" comme de la foutaise. Un réflexe critique primaire, j’imagine : qu’est-ce que c’est que cette volonté de dicter le comportement ? Qui peut, et au nom de quoi, obliger les hommes à être d’une certaine manière ?

Il faut reconnaître que vous avez été poussé dans cette voie par les innombrables errements auxquels cette notion a donné libre cours. Rappelons qu’au départ il s’agissait d’opérer une sorte de trisection dans la compétence des professionnels et de distinguer :
- Le savoir, corpus de connaissances théoriques.
- Le savoir-faire, qui correspond à la manière de mettre en œuvre ces connaissances théoriques.
- Le savoir-être, qui essaie d’introduire une dimension supplémentaire, celle qui fait somme toute qu’on a affaire à un humain qui soigne un autre humain. De sorte que si le savoir et le savoir-faire sont indispensables ils ne suffisent pas.

Il va de soi que si par savoir être on entendait savoir adopter une manière d’être, alors on parlerait d’un savoir-faire. Le projet du savoir-être est donc de savoir s’autoriser à être, ce qui n’a de sens que s’il s’agit de s’autoriser à être qui on est. Mais ceci pose de multiples questions. Retenons-en deux :
- La première est que dans un monde aussi normé que le monde du soin, une telle proposition ne peut que détonner ; et dans les enseignements on en vient bien vite à la perversion de vouloir enseigner la bonne façon d’être. C’est ce qui n’a pas manqué de se produire, et avec une telle régularité qu’on en vient à ne plus voir que cela.
- La seconde est que l’idée même de savoir-être implique de savoir recevoir ses propres émotions. Et nous savons qu’il y a là une limite, et que le soignant est trop souvent en danger de se laisser submerger par ses émotions, ce qui aboutit à des catastrophes récurrentes (l’histoire de Saint-Astier en est un exemple criant, mais il y en a une foule d’autres). La proposition d’Yves Gineste est de dire que les émotions peuvent être pour le soignant un outil de travail. Il a raison, à condition de ne pas oublier que si les émotions sont des outils elles sont aussi des pièges, et que c’est trop préjuger de l’équilibre psychologique des soignants que de se figurer que leur ressenti est toujours parfaitement adapté. Si le projet est d’abolir la distance thérapeutique, alors il s’agit d’un leurre. Là aussi le problème gît simplement dans la caricature : si la distance thérapeutique est ce par quoi je refuse de m’approcher du malade, alors c’est une calamité ; si c’est ce par quoi je conserve les moyens de toujours pouvoir rendre compte de ce que je fais, et de toujours pouvoir me rendre compte de ce que je ressens, tout comme le psychanalyste est tenu de toujours s’observer en train d’observer, alors c’est une nécessité ; allons plus loin : un devoir. Je ne compte plus les situations où s’est imposé à moi de prendre la vieille dame dans mes bras ; les problèmes commencent quand je ne sais pas dire pourquoi je l’ai fait.

Mais une fois qu’on a dit cela on n’est pas, peut-être, aussi avancé qu’on le pense.

Car si je reprends les propos de votre intervenante à domicile, je dirais que ce qu’elle manie à merveille relève essentiellement d’un savoir-faire : elle a appris (souvent à ses dépens) que dans telle situation il faut se comporter de telle manière. Le savoir-être, je le trouverais dans le fait qu’elle a parfaitement conscience de ce qu’elle fait, ce qui suppose :
- Qu’elle assume la suspicion d’hypocrisie.
- Qu’elle a gardé suffisamment de distance thérapeutique pour garder conscience de ses attitudes.
- Et peut-être (savoir-être) qu’elle se sent parfaitement elle-même en assumant ce rôle.

Dans la « philosophie de l’humanitude », il y a l’idée que l’homme est un animal qui, quand il a affaire à des humains, adopte précisément cette attitude. Ce n’est pas faux, mais c’est un peu vite dit, et cela demanderait d’entrer dans les détails. Ce que j’aurais aimé, mais je n’ai pas eu de réponse, c’était creuser ce point, notamment parce que les pré-dits de la « philosophie » me semblent manquer de solidité.

Tout comme j’aurais aimé creuser la question de l’enseignement. Car même sans refaire tout le débat sur la possibilité d’une science psychologique, le problème que je vous signalais plus haut n’a pas disparu. Yves le complique indûment en menant la guerre contre la notion de savoir-être alors que ce qu’il combat n’en est que la caricature, et qu’en réalité lui-même ne promeut rien d’autre qu’un savoir-être bien compris. Mais une fois ce point éliminé, on se trouve face à une difficulté : c’est que, du moins pour ce que j’en ai vu, Yves fournit là aussi des outils. Et s’il fournit des outils, alors on se trouve bien plus près qu’on ne pense d’un savoir-faire. Les questions théoriques sont donc :
- Si c’est réellement de l’ordre du savoir-faire, alors doit-on avancer l’hypothèse que les relations humaines sont toujours de l’ordre du savoir-faire, de la technique, du dressage d’animaux, ce qui mènerait vers Bartabbas ? C’est de la plus haute importance quand on voit tout ce que les techniques de la « métho » doivent à l’éthologie.
- Si ce n’est pas le cas, comment peut-on faire le départ entre les deux ?
- Et surtout, qu’est-ce qui fait l’objet de l’enseignement ? Car si finalement l’enseignement ne porte que sur un savoir-faire, alors je comprends. Mais s’il s’agit d’enseigner un savoir-être, alors on enseigne ce qui est réputé inenseignable, et il s’agit d’une révolution épistémologique majeure. C’est ce qui me fait dire qu’il y a réellement une « philosophie de l’humanitude », mais qu’elle n’est pas celle que croient ses auteurs.

Je vais sans doute un peu vite, mais c’est de cette manière que je lis votre phrase : Elle permet de faire advenir une humanité qui ne préexiste pas aux soins, car elle en est le résultat. Disant cela vous faites un pas important vers la « philosophie de l’humanitude » : en gros il n’y aurait pas d’humains, il n’y aurait que des humanisés, humanisés par la relation ; et l’enjeu de la prise en soins, spécialement chez le dément, c’est de le ramener, ou de le maintenir, en « humanitude ». Simplement je ne suis pas sûr d’avoir envie que mon humanité se réduise à ça, alors que votre phrase, elle, me semble ouvrir sur d’autres perspectives, car elle me laisse entrevoir que l’humanité ne serait pas une qualité qui telle une colombe planerait sur le malade mais quelque chose qui se passerait entre le soignant et lui ; cela me convient mieux.

Bien à vous,

M.C.

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