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En réponse à :

La méthode Gineste-Marescotti

, par Michel

Bonsoir.

Votre question est lapidaire, la réponse ne le sera pas ; encore vais-je abréger, car je suis un peu pris par le temps. Mais il faudrait de très longs développements, pardonnez-moi de faire sommaire. Peut-être devrais-je me limiter à vous renvoyer à la formule de Camus : mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.

Que les mots se vengent, c’est une banalité.

Songez aux éléments de langage du monde politique. Prenez par exemple le mot de réforme. A tort ou à raison, c’est un mot qui a toujours été associé à la notion d’amélioration ; on réforme ce qui ne fonctionne pas, mais toujours pour le faire fonctionner mieux. Et voici que la droite (je suis sur mon site, j’ai bien le droit de dire ce que je veux...) s’est mise à utiliser ce mot pour qualifier une politique de régression sociale ; il m’importe peu ici de savoir si cette régression était ou non évitable, je crois que pour une part au moins elle ne l’était pas ; mais croyez-vous que si, au lieu de galvauder le mot de réformes, le pouvoir de l’époque avait osé parler de sacrifices, nous en serions là où nous en sommes ?

Le problème, c’est que quand on change un mot on s’imagine systématiquement qu’on a changé la chose qu’il désigne ; et c’est cela qui est faux, et c’est ainsi que les mots se vengent. Considérez le monde du handicap. En France on tient beaucoup à ce que les aveugles soient des non-voyants, et les handicapés des personnes à mobilité réduite. Pardon,mais ce n’est pas ça qui construit les rampes d’accès ou qui installe les signalétiques sonores, ce n’est pas ça qui sortira la France des mauvais élèves de l’Europe. Par contre en édulcorant le mot on a diminué la visibilité du drame que reste le handicap, et sans doute a-t-on contribué à rendre moins urgente sa solution.

La même chose arrive avec les concepts gériatriques.

Dans le monde de l’"humanitude" on ne parle pas de démence ; c’est mal vu. Il faut parler de syndromes cognitivo-mnésiques. Et moi je parle de démence. Mon combat c’est pour qu’on change, non le mot qui la désigne mais le regard qu’on porte sur elle ; et on ne changera le regard que si on sait qu’on la regarde, ce qui suppose qu’on la reconnaisse. Or je ne compte plus les exemples concrets de professionnels totalement incapables d’analyser ce devant quoi ils se trouvaient, simplement parce qu’ils n’avaient pas compris à quelle situation ils avaient affaire ; c’est que l’idée de syndrome cognitivo-mnésique entretient l’idée que ce n’est pas la démence, qu’il y a donc un pronostic moins sombre, alors que ce n’est pas le propos. Autant il faut tenir ferme qu’il n’y a pas rien à faire quand on rencontre un dément, que c’est une personne avec qui il y a une relation, qu’il y a des capacités à mobiliser, etc., autant le refus de la nommer pour ce qu’elle est aboutit à des désastres récurrents.

On commet un autre type d’erreur avec ce qu’on nomme les CAP. A l’origine l’acronyme désignait les "Comportements Agressifs Perturbateurs". Comme Yves Gineste trouvait (à juste titre d’ailleurs) que cette appellation avait un côté stigmatisant pour le malade, il a voulu trouver une formule qui explique mieux la réalité de ce qui se passe. Et comme ces malades ne sont agressifs que par réaction, comme ils ne sont perturbateurs que par nécessité, il a proposé de les appeler "Comportements d’Adaptation Psychologique". Ce qu’il n’a pas compris c’est à quoi sert de nommer. Et cela ne sert pas au malade, qui n’a que faire d’être nommé, mais au professionnel qui, lui, doit absolument savoir les repérer pour pouvoir adopter le bon comportement (et le bon comportement est celui qu’Yves préconise, il n’est pas le seul, d’ailleurs). Or ce qui permet le plus sûrement de repérer les CAP, c’est ce qu’ils suscitent en moi, et ce qu’ils suscitent en moi c’est le sentiment qu’ils m’agressent et qu’ils me perturbent. Faute d’une appellation adaptée, alors on perd, je le vois souvent, un part de son aptitude à reconnaître les CAP ; et c’est le malade qui en fait les frais.

J’ai eu le privilège d’assister à la naissance du concept d’"humanitude" ; les auteurs du livre m’ont fait l’honneur de me le faire lire avant sa publication. Je leur en ai fait une critique serrée, et je parlais notamment du terme d’humanitude, dont je ne voyais pas la nécessité, quand celui d’humanité allait si bien. Ils m’ont répondu :
- Qu’il fallait faire référence à la révolution intellectuelle qui a accompagné le mot de négritude, ce qui est une sottise quand on sait le sens que Césaire entendait donner à ce mot.
- Que l’emploi du mot humanité risquait d’avoir trop de connotations judéo-chrétiennes. On retrouve là un anticléricalisme totalement immaîtrisé (et qui méconnaît complètement que si les religieuses se comportaient comme elles se comportaient, si par exemple elles spiritualisaient la douleur, c’était d’abord parce qu’elles n’avaient pas de morphine, et que dès qu’elles en ont eu elles en ont donné).

Toujours est-il qu’on a fabriqué un mot, et que fabriquant un mot on s’est imaginé qu’on fabriquait une chose. Or, dans la "philosophie de l’humanitude", il n’y a rien. Ou plutôt non : il y a quelque chose, mais pas ce que ses promoteurs croient. Et c’est dommage parce que j’ai la conviction que si on s’en donnait la peine on y trouverait des idées particulièrement importantes pour notre civilisation.

Et la vengeance des mots se manifeste dans ce que je vois de plus en plus souvent, et qui réalise ce sur quoi j’avais alerté Yves voici dix ans cette année. Tant qu’il faisait les formations lui-même, tout allait bien. Puis il a formé des formateurs, et cela se passait plutôt bien. Mais depuis que les formateurs ont formé des formateurs, on voit bien que l’esprit de la "métho" tend à se diluer, et on se demande parfois si on n’entre pas dans des dérives bizarres. Ce qui fait le lit de ces dérives, c’est qu’on utilise à tort et à travers des mots qu’on ne sait pas définir.

Et cela me peine car cela risque à terme de compromettre l’avenir d’une méthode de prise en soins que je continue à considérer comme la meilleure que j’aie jamais connue.

Bien à vous,

M.C.

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