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L’escarre : le soin

, par Michel

Bonsoir, Yasmine.

La situation que vous décrivez est bien délicate ; et je n’ai guère besoin de vous dire que je la trouve assez grave.

Comme d’habitude quand on parle d’escarre, il faut considérer la situation générale et la situation locale.

La situation générale est ce qui va guider la possibilité de guérir l’escarre. Il faut que la malade ne soit pas dénutrie, il faut qu’elle bouge, il faut que son état cardio-circulatoire soit correct. Sur ces trois points je ne sais pas ce qu’il en est, mais vous me laissez entrevoir que votre tante a une mobilité réduite, notamment à cause d’une sédation liée au traitement neuroleptique. Reste à savoir si on peut se passer de ce dernier ; personnellement j’ai toujours détesté en donner aux malades déments, mais avec le recul je ne suis pas sûr de ne pas avoir été un peu dogmatique, et je crois qu’il y a eu des situations où j’aurais mieux fait d’en prescrire. Mais le plus important n’est pas là, hélas : il est que l’escarre est apparue, et que si elle l’a fait c’est précisément parce que les conditions (notamment de mobilité et de dénutrition) étaient réunies. Il faut donc savoir si la situation de fond s’est améliorée ; et je le redis : il est illusoire d’espérer une amélioration si la malade ne mange pas normalement (j’ai bien dit : normalement) et si elle n’a pas récupéré une mobilité satisfaisante.

Je serais prudent avant de soupçonner les soignants de négligence : les escarres apparaissent très vite, et c’est à peu près imparable, sauf à disposer de moyens techniques et humains qu’on ne rencontre guère qu’en réanimation, ou dans les centres pour handicapés. Les services qui se vantent de ne pas avoir d’escarres sont soit des services très bien dotés soit, plus souvent, des services qui oublient de regarder la peau de leurs malades. Je le redis : avoir des malades qui font des escarres n’est pas une faute ; la faute c’est d’en avoir beaucoup.

Maintenant, voyons la situation locale. Je crois que c’est la pire qu’on puisse imaginer, car il s’agit d’une escarre sacrée, qui est la plus difficile à prendre en charge, non seulement parce que cette localisation rend bien difficile de posturer le malade de manière efficace, mais parce qu’on ne peu guère espérer laisser cette escarre à l’abri de l’urine (la sonde urinaire a autant d’inconvénients que d’avantages) et surtout des selles. Qui plus est vous annoncez une escarre profonde, qu’on peut sans hésitation coter stade IV.

Elle a été nettoyée chirurgicalement ; je ne peux rien vous en dire, car il faut voir la situation. Ce qui me semble certain c’est que ce nettoyage n’a de sens que si on espère fermer l’escarre, ce qui suppose qu’on ait de solides raisons de penser que l’état général de la malade autorise cet espoir. Il en va de même de la proposition de greffe cutanée : si elle est possible c’est la meilleure solution, encore faut-il être réaliste sur l’évaluation de la situation générale.

Elle semble infectée. Je dis : elle semble, parce que je suis contre l’utilisation d’antibiotiques quand cette infection n’est pas prouvée. Toute escarre est toujours colonisée par des microbes, et c’est une bonne chose car ce sont ces microbes qui vont assurer le nettoyage et la cicatrisation. Il ne faut donc pas s’en mêler, on n’intervient que si les prélèvements montrent que, parmi les germes qui ont colonisé l’escarre, il y en a qui sont notoirement pathogènes. Malheureusement c’est souvent le cas des escarres stade IV, dans lesquelles ces germes pathogènes sont susceptibles de passer dans la circulation sanguine, avec un risque d’infection générale grave (c’est la raison pour laquelle il est presque toujours inadéquat de faire un traitement antibiotique local : si on traite, c’est comme on le fait pour votre tante, par injections, plus rarement par voie orale. Le traitement me semble donc judicieux, même si je proposerais bien (mais là aussi il faut voir la plaie) de ne pas utiliser la Bétadine, qui risquerait de perturber la flore microbienne locale, alors que le Céfacidal constitue un verrou largement suffisant.

Il existe des pansements spécialement adaptés aux escarres sacrées. Il faut bien reconnaître que souvent ils ne tiennent pas très bien, et que dans un bon nombre de cas on en est réduit à la débrouille, avec des résultats qui sont ce qu’ils sont. Mais là encore plus que dans les autres situations d’escarre, ce n’est pas le pansement qui va faire le pronostic, c’est l’état général. Si je voulais provoquer je dirais qu’on peut mettre ce qu’on veut sur une escarre : ou le malade est en bon état et elle se fermera quoi qu’on fasse, ou il ne l’est pas et quoi qu’on fasse elle ne se fermera pas ; dans une escarre, le problème ce n’est pas l’escarre. Autant dire que le miel n’a pas d’intérêt. Quant à la durée de cicatrisation, c’est malheureusement très simple : ce sera interminablement long, sauf si on peut greffer.

Je n’ai pas de photos de la posturation en canoë. Qui plus est c’est une technique brevetée par l’Institut Gineste-Marescotti, et si j’en avais je ne serais pas autorisé à vous les transmettre. Tout ce que je peux faire c’est vous recopier la description que j’en faisais dans un message publié le 13 juillet 2013 sur le forum de cet article :
La position canoë suppose que le patient ne soit pas trop recroquevillé.
Prenez :
Deux traversins.
Un drap plié ou une grande alèse.
Plusieurs oreillers.
Une collègue.
L’objectif est de faire que le malade repose sur les deux traversins posés longitudinalement.
Votre collègue se place à la gauche de la malade ; elle met un genou sur le lit (pour éviter de se faire mal) ; elle saisit le malade par l’épaule et la hanche droites et l’attire à elle, jusqu’à ce que le patient soit strictement de profil ; il se trouve sur son flanc gauche. Évidemment, pas question de faire ça chez un malade non opéré, ou alors avec pas mal de morphine.
Vous placez alors le drap : le milieu du drap est à la hauteur de l’épine dorsale ; une moitié du drap est en accordéon dans l’angle entre le lit et le corps du patient, l’autre moitié est sur son flanc droit ; puis vous calez le traversin en long : il part de l’épaule gauche du malade de descend le plus bas possible.
Vous installez ensuite le second traversin sur le lit, de façon que quand le malade reviendra sur le dos il ait un traversin de chaque côté de son épine dorsale. Vous allez alors ramener le malade sur le dos.
Si vous réussissez l’ensemble de cette manœuvre, vous voyez que le malade repose sur le drap, puis sur les traversins, qui dessinent une sorte de canoë. Il ne vous reste plus alors qu’à prendre les bords libres du drap et les enfoncer profondément sous les traversins : si vous ne le faisiez pas, ils auraient tôt fait de s’écarter. Mais de cette manière vous avez un dispositif autobloquant.
Et avec les oreillers vous allez finir de caler votre malade : sous la nuque, car elle est dans le vide ; sous les mollets, car les traversins ne sont pas assez longs, etc.
Voilà ; c’est simple, et c’est une des multiples trouvailles d’Yves Gineste.
Essayez d’abord en prenant une troisième collègue comme cobaye. Vous constaterez que c’est une position très confortable, qui est la seule susceptible de mettre le sacrum en apesanteur, ce qui est la condition essentielle pour espérer guérir l’escarre.

Bien à vous,

M.C.

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