Poster un message

En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonsoir, Céline.
La réponse à vos questions est à la fois simple, banale, rassurante, et peut-être à cause de cela… décevante. Je vais essayer de vous expliquer cela.

D’abord, sur le récit que vous faites, il est difficile de savoir ce qui s’est réellement passé. Il faudrait en savoir plus sur l’évolution de sa leucémie, il faudrait pouvoir dire si les troubles dont elle a été atteinte peuvent être considérés d’une manière ou d’une autre comme des complications de la maladie, bref il faudrait savoir si ce décès a été une surprise pour les médecins ou s’ils s’y attendaient plus ou moins. Mais peu importe, au fond, ce qu’il s’agit d’éclairer c’est l’épisode final.

Le diagnostic d’accident vasculaire cérébral est vraisemblable, mais pas certain : il n’y a pas eu d’imagerie (on a bien fait), il est bien difficile de faire un examen neurologique convaincant à un malade dans le coma, et il n’y a pas que les accidents vasculaires cérébraux qui donnent des hémiplégies, au moins épisodiques. Ce que vous dites par contre c’est que les symptômes neurologiques ont peut-être commencé avant, avec une difficulté à parler et à avaler. Si par ailleurs vous avez raison (car on peut s’y tromper) de penser qu’elle était consciente de votre présence dans la journée du 10, il faut en déduire que le coma n’était pas très profond ; c’est habituel dans ce type de pathologie : le coma peut être présent dans les premières heures, puis la conscience s’améliore, voire se normalise. Du coup il n’est pas facile de dire quand l’agonie a réellement débuté.

Ce qui par contre est certain, car tous les épileptiques nous le disent, c’est qu’une crise de convulsions ne s’accompagne d’aucune souffrance, tout simplement parce qu’il y a toujours, dès qu’il s’agit de crises généralisées, une perte de connaissance complète et profonde ; ce qui fait souffrir les épileptiques, c’est de se savoir malades, et surtout, précisément, de ne pas savoir ce qui se passe pendant les crises. C’est au point que je ne sais même pas si j’aurais essayé de lutter contre la crise en proposant du Rivotril ; du moins si j’étais arrivé à la conclusion que la fin était là.

Le fait que vous vous êtes absentée a-t-il joué un rôle ? Ce n’est pas impossible, car on sait que certains stress favorisent les crises chez certains épileptiques. Mais deux crises dans la même journée chez un malade qui vient de faire un accident vasculaire cérébral, voilà qui est d’une telle banalité qu’il n’est pas besoin de chercher une autre explication que le hasard.

Du coup, je me demande si vous n’êtes pas plutôt en proie à ces deux piliers du deuil qui sont la culpabilité et le besoin de maîtrise. J’en ai parlé à plusieurs reprises dans les forums du site : ce qui nous est le plus dur n’est pas d’admettre que l’autre est mort, mais d’admettre qu’il nous échappe sans que nous y puissions rien. D’où notre besoin de donner du sens à ce qui se passe, même au prix de la culpabilité : si j’avais été là, si je n’étais pas parti… Alors que si j’avais été là le plus probable est qu’il se serait passé exactement la même chose.

Il y a dans ces instants un mystère qu’il ne faut pas chercher à approfondir. Par exemple, vous lui avez dit qu’elle pouvait partir ; et beaucoup de proches d’un mourant le disent, beaucoup pensent (et bien des professionnels surenchérissent) qu’il y a des mourants qui ont besoin de cette permission pour mourir. Je suis un peu sceptique sur la réalité de ces choses ; mais ce dont je suis certain c’est que la mort n’est pas un événement qui ne concerne que le mourant ; c’est un phénomène social, qui implique, même si c’est à des degrés évidemment divers, tous les participants ; on doit donc tenir que si ce qui s’est passé a tel sens pour vous, alors cela a du sens ; il est tout à fait possible que votre grand-mère n’ait pas eu besoin de votre permission pour mourir, il est même possible qu’elle ne vous ait pas entendue ; mais il n’en reste pas moins que dans la relation qui était la vôtre il était bon que vous disiez ces paroles : ce n’était pas sa mort, c’était votre séparation.

La culpabilité est un sentiment normal du deuil ; c’est une aide qui permet de progresser sur le chemin de l’acceptation ; tout le problème est d’accueillir cette culpabilité sans en être dupe.

Votre grand-mère savait-elle qu’elle allait partir ? Je crois que ce pressentiment existe. Mais dans son cas particulier, se savoir atteinte d’une leucémie, même chronique et constater que les ennuis s’accumulent, il n’y avait pas besoin d’une grande perspicacité pour prévoir ce qui risquait de se passer à son âge. Du coup je ne crois pas qu’on puisse parler d’agonie psychique. On pourrait en parler pour décrire ces phénomènes psychologiques, parfois spectaculaires, qui précèdent de quelques jours un décès ; ce n’est probablement pas le cas ici.

Quant à votre dernière phrase : Croyez-vous que l’on vive toute une vie pour finir comme ça définitivement ? Bien sûr, je le crois. On finit toujours comme ça, et toujours définitivement ; ce que vous dites là c’est votre difficulté à vous rendre à l’évidence, difficulté qui est bien normale à cette étape du deuil. Je vais plus loin : ce que vous avez vécu aura été très pénible, et je ne crois pas que la mort puisse être un bon moment ; elle ne l’est jamais. Toutefois il me semble que votre grand-mère aura, dans cette dernière semaine de sa vie, évité une bonne part des souffrances qui pouvaient la menacer. Piètre réconfort, réconfort tout de même.

Vous avez bien fait de sonner. Certes, cela a entraîné l’arrivée rapide des soignants, vous privant ainsi d’un dernier moment de solitude près du corps. Mais cela traduit simplement l’ambivalence, toujours présente, toujours obligatoire, de vos sentiments : une partie de vous voulait ce moment, une autre ne le voulait pas. C’était la bonne décision.

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.