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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonsoir, Jessie.

Ce que vous êtes en train de vivre est effectivement très dur.

Dur dans l’absolu, parce qu’il n’est pas facile de perdre son père, et encore moins quand il est jeune.

Dur parce que les cancers de la gorge, s’ils ne sont pas forcément les plus pénibles pour le malade, ont fréquemment des manifestations spectaculaires, auxquelles il est souvent très déstabilisant d’assister.

Ici nous avons affaire, sur ce que vous dites, à un patient qui sait très bien où il en est, et qui a pris jusqu’au bout les décisions qui le concernent. Il s’est battu, il perd. Rien n’est juste, mais la mort n’a que faire de la justice. La nature ignore la justice, ce sont les humains qui en ont besoin.

Du fait qu’il est très conscient de ce qui lui arrive, il suit que, très probablement, les médecins n’ont rien caché à personne : que restait-il à à cacher ?

Il est normal qu’il ait des moments de panique. Même prêt, on ne meurt pas aisément. Cette panique que vous avez lue dans ses yeux (attention, toutefois : en fin de vie il existe de nombreux médicaments qui dilatent la pupille, ce qui fait que l’œil de ces malades leur donne toujours un air terrifié, alors qu’ils ne le sont pas) peut provenir du fait qu’il s’affronte à la mort qui vient ; elle peut aussi venir du fait qu’au contraire il se perçoit toujours vivant, alors qu’il venait de réussir à lâcher prise. Toujours est-il que, à tort ou à raison, c’est effectivement affreux pour vous, et c’est important, et il faut vous aider.

Il ne faut pas regretter le sondage : c’est un geste pénible, surtout chez l’homme, mais si votre père avait réellement un globe vésical, les douleurs qui en résultent sont insupportables.

Avez-vous rêvé cette phrase ? Peut-être. Et je dirais : peu importe : elle correspond tellement à la réalité que votre père l’a probablement au moins pensée à un moment ou à un autre, même si dans ces circonstances personne ne peut rester longtemps sur la même position de lucidité.

Que va-t-il se passer maintenant ? Personne ne le sait exactement. Ce qu’il faut comprendre, ce qu’il faut accepter, c’est que vous êtes entrés dans une zone où personne ne maîtrise rien. C’est difficile à admettre, car nous avons besoin au contraire de penser ou de croire qu’il y a encore quelqu’un, le médecin, ou le malade, qui sait où il va et qui peut encore décider quelque chose. Mais le premier pas de la séparation est sans doute d’accepter que ça nous échappe.

Alors on ne comprend pas. "Il résiste" ; ou tout simplement l’heure n’est pas venue. vous voudriez être là pour son départ. Mais les choses se passeront comme elles se passeront ; et si cela a un sens que vous y soyez, alors il vous faut admettre que la relation que vous avez à votre père a encore un sens ; et si vous admettez cela, alors vous devez admettre qu’il a sa marge de manœuvre, si petite soit-elle. S’il a les moyens de résister, alors il a ceux de décider de jeter l’éponge, et vous ne serez là que s’il y consent. C’est son mystère. De même, vous êtes contrainte de penser qu’il vous entend : s’il ne vous entend pas, alors vous perdez votre temps, et ça c’est inconcevable.

Quant à s’imaginer que vous l’empêchez de partir, je crois que c’est absurde. Absurde de le dire, car cela ne peut que vous culpabiliser, sans la moindre contrepartie. Absurde surtout car cela conduit à vider de toute signification ce que vous êtes en train de vivre. Absurde parce que si le malade a envie de partir ce n’est pas cela qui le retiendrait. Absurde enfin parce qu’on n’en sait absolument rien. La soignante qui parle ainsi ne fait qu’exprimer sa propre souffrance, sa propre incompréhension, sa propre révolte. Il ne faut certainement pas lui en vouloir, mais elle est à côté de la plaque.

Quant à l’ambivalence de votre désir, elle est totalement normale : vous ne pouvez manquer de désirer à la fois que les choses s’arrêtent et qu’elles continuent. Et vous ne pouvez manquer de vous en sentir coupable. La culpabilité est un élément du deuil normal, elle en est même un puissant moteur.

Je vous souhaite tout le courage dont vous allez encore avoir besoin.

Bien à vous,

M.C.

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