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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonsoir, Sandrine.

Votre réponse est si riche qu’elle aurait besoin d’être méditée ; sans doute suis-je en train de vous répondre trop vite. Mais je crains toujours de laisser passer trop de temps ; et puis je me dis que s’il faut approfondir certains points il vaudra mieux que vous le fassiez avec un psychothérapeute de chair et d’os, et non avec un avatar comme moi.

Votre problème de communication ne peut plus être analysé maintenant : il aurait fallu le faire sur le coup, et d’ailleurs cela n’a plus une grosse importance. Nous restons donc avec nos questions :
- Il y a des équipes qui ne savent pas communiquer.
- Il se peut qu’ils vous aient protégée.
- Il se peut que vous n’ayez pas été en mesure d’entendre ce qu’ils vous ont dit.
- Il se peut encore d’autres choses. Notamment il faut tenir compte du fait que les soignants sont des humains, et qu’ils peuvent se trouver eux-mêmes en détresse dans certaines situations. Ce n’est pas une bonne chose, car on n’est pas là pour soigner les soignants, mais cela existe.

Mais il vous faut tenir compte aussi du fait que certaines questions n’ont pas de réponse. C’est rude à dire, mais on est parfois amené à ramener les proches à la réalité, ou, pour le dire brutalement :
- Ce n’est pas parce que vous avez une question que j’ai une réponse.
- Ce n’est pas parce que ma réponse ne vous convient pas que j’en ai une autre.

Ainsi quand vous demandez comment son cancer s’est développé et comment il a avancé, je crois que la seule réponse qu’on puisse vous donner est évasive. Il est capital pour vous d’avoir une réponse, mais… il n’y en a pas. Et je crains que les questions que vous vous posez n’aient en commun de ne pas avoir, précisément, de réponse.

Caractéristique sur ce point est ce bref échange :
- Moi : il vous faut garder en tête que cancer ou non, ces malades sont très précaires, et qu’on ne saurait s’étonner de voir l’un d’eux s’effondrer en quelques heures.
- Vous : C’est-à-dire ? Sa situation d’insuffisance cardio-respiratoire grave ?
C’est exactement ce que je vous ai dit, en effet. L’information que je vous ai donnée est complète, et pourtant elle ne fait pas immédiatement sens pour vous. C’est normal, surtout dans l’étape du deuil que vous traversez actuellement. Mais cela vous permet d’entrevoir que, si cela se trouve, les médecins vous ont réellement donné une information loyale et que nous n’avez pas été en mesure de l’entendre. Si peut-être nous y échappons dans ce dialogue, c’est seulement parce qu’il est écrit, ce qui nous permet d’y travailler autrement.

Caractéristique aussi est ce que vous dites un peu plus loin : Je ne sais pas vraiment interpréter les symptômes de ses derniers mois de vie. Mais… pourquoi le sauriez-vous ? C’est là une question très technique, si technique que bien des médecins chevronnés s’y trompent. Ce qui est à l’œuvre ici c’est un double mécanisme lié au deuil :
- Si vous aviez pu prévoir, vous auriez eu le sentiment d’avoir un peu prise sur les événements ; parmi les choses les plus dures à supporter dans un deuil il y a le fait qu’on doit renoncer à toute maîtrise sur ce qui arrive, au point de ne même pas pouvoir l’anticiper. Mais, précisément, le but du deuil est d’arriver à accepter que l’autre m’échappe totalement.
- Et votre impuissance à prévoir es e qui vous permet de vous le reprocher. Le sentiment de culpabilité est un élément essentiel du deuil normal.

La suite de votre message est à la fois plus dense et plus simple à traiter, parce qu’elle montre que vous parcourez les étapes du deuil normal, avec ses excès et ses erreurs, mais on voit bien que vous avez tout ce qu’il faut pour arriver sans encombre au terme de la route.

Mais la dernière fois que j’ai été auprès d’elle, elle avait terriblement peur, et était angoissée : cela a été terrible de lui redonner courage, alors que j’étais en larmes la minute d’avant. Je l’ai dit à son médecin : il était hors de question qu’elle me voit en larmes, alors qu’elle était terrifiée. Je ne sais pas si cela a servi à quelque chose : mais je voulais qu’elle puisse avoir quelqu’un qui puisse la rassurer.

Je ne connais pas la réponse à cette question. Beaucoup pensent comme vous ; pour ma part je doute. Car la terreur qui a saisi votre mère (dont vous venez d’indiquer qu’elle était parfaitement au clair sur les questions de fin de vie) pouvait correspondre à une terreur devant la mort, terreur sur laquelle il était vain de chercher à sauver les apparences. Sans doute n’a-t-elle pas été dupe de votre tentative de la rassurer ; et je me dis que si vous aviez choisi de pleurer ensemble le mal peut-être n’aurait pas été si grand que vous le pensez. D’un autre côté il faut penser aux westerns. Dans les westerns, quand Johnny est touché par une flèche, ses copains font cercle autour de lui et lui disent : « T’en fais pas, Johnny, tu vas t’en tirer ». Et Johnny sait très bien qu’il ne va pas s’en tirer ; et les copains savent très bien que Johnny sait très bien qu’il ne va pas s’en tirer. Mais ça marche. Au moins dans les westerns. Tout ça pour vous dire que je ne sais pas ce qui est bon. Je crois qu’il s’agit de deux chemins, qui sont différents, avec des résultats différents, mais qu’il faut être prudent avant d’affirmer que l’un est supérieur à l’autre.

Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir failli : durant ces 2 dernières années, je me suis occupée d’elle comme si elle était mon enfant. Et je n’ai pas su la protéger, ou du moins la soulager : j’ai conscience à quel point ce sentiment est terrible, mais il ne me quitte pas.

Comme on dit à la télévision : si les symptômes persistent, consultez votre médecin. Je me moque de vous, Sandrine, parce que vous êtes émouvante. Vous vivez ce sentiment de culpabilité dont je vous parlais plus haut ; il vous faut considérer ce sentiment comme un ami, car c’est un élément essentiel du deuil et c’est lui qui va vous y faire progresser. Mais il vous faudra apprendre à ne pas en être dupe, et à faire la paix avec lui ; ce n’est que si vous y restiez engluée qu’il faudrait demander une aide psychologique. Mais j’ai très confiance en vous.

Il vous restera ensuite à vous souvenir que, justement, votre mère n’était pas votre enfant. Mais c’est une autre question, et c’est là peut-être qu’une aide psychologique vous sera précieuse, car comme vous dites :

mon frère, avec lequel je vis, est handicapé : bien qu’il soit à peu près autonome, il n’a jamais vraiment eu à s’occuper de la vie quotidienne, ou administrative. Ma mère l’a toujours ménagé et tout fait à sa place.

Je suis la cadette : mais je me sens comme la mère de famille, et à 27 ans cela est assez peu évident.

Précisément : vous n’êtes pas sa mère, et vous risquez de ne pas être totalement efficace si vous méconnaissez ce point ; et il y a peut-être pire encore : c’est qu’à vingt-sept ans vous avez autre chose à faire de votre vie, et qu’il faudrait ne pas le perdre de vue. Mais tout cela vous le savez, la fin de votre message en témoigne.

Gardez confiance en vous, Sandrine. Ce que vous faites est bien, vous êtes sur la bonne voie ; il y a seulement quelques pièges à éviter.

Bien à vous,

M.C.

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