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En réponse à :

Les soignants et la famille

, par Dom

P.S. « cette dernière m’a conseillé de ne pas dire à ma mère que ce serait un séjour temporaire...sans quoi elle risque de me demander à chaque visite quand elle pourra rentrer... »

C’est un argument absurde : votre mère ne saura qu’une seule chose, c’est qu’elle veut rentrer chez elle. Et comme elle n’aura bientôt plus ni mémoire ni jugement, elle sera bien incapable de se souvenir que vous lui avez dit que son séjour sera définitif et non temporaire, et encore moins de concevoir qu’il ne lui est plus possible de rester chez elle. Bref, elle vous redemandera de toutes façons si vous êtes venue la chercher pour rentrer chez elle chaque fois qu’elle vous verra. Et si vous lui dites que non, que ce n’est pas temporaire, elle l’aura oublié dans la minute qui suit, mais au moment où vous lui répondrez, vous la démolirez, et vous pourrez recommencer à la démolir une minute plus tard quand elle voudra mettre son manteau pour repartir avec vous. Elle l’oubliera à nouveau, mais vous, vous vous souviendrez que vous l’avez démolie six fois ce jour-là, et que vous continuerez à la démolir les jours suivants, même en lui expliquant le plus gentiment possible qu’elle ne peut plus rentrer chez elle. Voilà pourquoi je me suis résolue à mentir - je n’arrivais juste plus à affronter son regard noir de reproche et son silence douloureux chaque fois que je lui disais la vérité.

A ce propos, encore un souvenir personnel, et après j’arrête - j’espère que vous me pardonnerez d’ouvrir d’aussi profonds et insoupçonnés cratères dans les abîmes de votre "extrême sensibilité" : un jour que je lui rendais visite, les aides-soignantes m’ont dit que ma mère pleurait beaucoup depuis quelques jours, parce qu’elle croyait que ses petits-enfants venaient de mourir dans un accident d’avion. De fait, c’est la première chose qu’elle m’a dit, en larmes, dès qu’elle m’a vue : "M... et L... [mes fils] sont morts dans un accident d’avion". J’ai essayé de la détromper, mais rien à faire. J’ai fini par appeler les deux au téléphone, pour qu’ils parlent à leur grand-mère, pour la détromper. Ils l’ont rassurée, puis 2 minutes après avoir raccroché, elle a fondu en larmes, parce que M... et L... étaient morts dans un accident d’avion. C’est là que j’ai mesuré l’atrocité de la chose : ses petits-enfants ne mouraient pas, dans sa tête, une seule fois, mais autant de fois qu’elle l’avait oublié et qu’elle l’apprenait pour la première fois.

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