Poster un message

En réponse à :

Les soignants et la famille

, par Michel

Bonjour, Laurence.

Et… comment oserais-je avoir seulement une opinion ? Je ne sais rien de cette situation, et il faudrait pour pouvoir vous être utile avoir une connaissance précise de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas.

Ce que je peux faire en revanche c’est faire quelques hypothèses, explorer quelques pistes, poser quelques questions.

Nous avons donc une vieille personne qui présente une démence dont, rétrospectivement, on évalue les premières manifestations à cinq ans. Je ne suis guère intéressé par la question de savoir s’il s’agit d’une démence plutôt de type Alzheimer ou plutôt de type vasculaire : à 89 ans on a aussi le droit de s’arrêter de penser, tout simplement, et de toute manière cela ne nous donne aucun moyen d’agir.

Vous avez réagi immédiatement, en venant habiter près de chez elle. Cette mobilité me pose deux questions :
- Vous êtes mariée, et votre mari vous soutient ; mais ce soutien est-il pérenne ?
- Qu’en est-il de votre activité professionnelle ?
Je vous pose ces questions, non par indiscrétion (enfin, après tout on pourrait dire que mon rôle est de me mêler de ce qui ne me regarde pas), mais parce que votre décision de déménager est certes très belle, mais il ne faudrait pas qu’elle se soit prise au détriment d’autres choses importantes de votre vie. Je note une curiosité de langage : vous n’avez pas écrit : nous avons déménagé pour venir habiter près de ma mère, mais : j’ai déménagé pour venir habiter près de ma mère.

Accessoirement (?) je suis bien obligé de me demander ce qu’il en est de vos relations avec vos frères et sœur : vous avez pris les choses en main, soit. Comment réagissent-ils ?
- Ils continuent à tenir leur rôle d’enfants.
- Ils sont bien contents de vous laisser vous débrouiller seule.
- Sans oublier de vous critiquer par-dessus le marché.
- Rien de tout cela.
- etc.
Cette question m’intrigue d’autant plus que dans votre description c’est vous et vous seule qui assumez le quotidien. Or vous précisez qu’un de vos frères vit dans la même maison ; mais quel est son rôle ? Comment se fait-il que vous n’en disiez rien ?

Maintenant il y a une fracture du col du fémur.
- C’est une fracture complexe : en principe quand on opère un col du fémur la reprise de l’appui est immédiate. Le chirurgien n’a donc pas fait ce qu’il a voulu.
- Il y a des complications (notamment urinaires).
- Chez une dame qui déjà ne marchait presque plus.

Je ne serais donc pas très optimiste quant aux chances de la voir remarcher de manière significative. Mais nous n’en savons rien, et si le chirurgien avait la certitude qu’elle ne remarchera pas il ne l’aurait tout simplement pas opérée. De toute manière cela ne fait pas dix jours qu’elle est tombée, il est donc trop tôt pour dire quoi que ce soit.

Mais ce qui me semble certain c’est que le maintien à domicile atteint ses limites : car la situation était déjà très dégradée, avec une aide importante aux actes de la vie quotidienne, et une limitation majeure de son autonomie à la marche. Ajoutons qu’elle a fait une chute, ce qui implique la menace d’autres chutes.

Le problème est donc celui du maintien à domicile.

Il y a ce qui est souhaitable, et il y a ce qui est possible.

Ce maintien à domicile comporte des risques, mais les risques sont faits pour être assumés. D’ailleurs on ne voit pas pourquoi elle tomberait moins en EHPAD que chez elle.

Par contre le maintien à domicile ne sera possible qu’à condition d’alourdir la prise en charge, et cela va avoir un coût. On va répétant que le maintien à domicile ne coûte pas plus cher que l’institutionnalisation, on ne doit pas avoir la même calculette. Je vous dis cela parce que le retour à domicile suppose par conséquent un minimum de consensus dans la fratrie.

Le maintien à domicile va certainement vous imposer de vous investir davantage. En avez-vous les moyens ? J’entends par là les moyens physiques, car c’est épuisant, mais surtout les moyens psychologiques et sociaux. Car vous avez des devoirs envers votre mère, mais vous en avez aussi envers vous-même, et vous en touchez les limites ; or votre devoir n’est pas de vous occuper de votre mère mais de veiller à ce qu’elle dispose des aides nécessaires. Je comprends que disant cela je vous choque ; mais il n’est jamais permis de se sacrifier. Quant aux moyens sociaux, il vous faut tenir compte du fait que si vous investissez massivement dans cette prise en charge vous allez mettre en péril l’ensemble de vos relations, sans aucune certitude de pouvoir les renouer. Cela aussi représente un coût énorme.

Bref, vous êtes en grand danger de vous noyer. Et vous le sentez.

La question du maintien à domicile ne se pose pas de la même manière selon que la personne a encore un peu d’autonomie ou qu’elle n’en a plus. La vielle dame qui peut aller encore un peu dans son jardin, ou sur le pas de sa porte, profite de sa maison. Celle qui est certes chez elle mais dans un lit ne profite plus que du symbole de sa maison. Ce n’est pas rien, les symboles, mais il ne faut pas qu’ils soient hors de prix. Certes elle vous a dit, et j’ai remarqué comme vous que quand il s’agit des questions essentielles de la vie et de la mort les déments ne sont plus déments, qu’elle tenait à rentrer. C’est un bon projet, si cela ne vous tue pas, si cela ne vous ruine pas.

Votre frère et votre sœur plaident pour un EHPAD. Bien sûr : c’est sécurisant, mais surtout c’est très déculpabilisant ; car ils savent bien que vous assumez une charge dont ils sont dispensés, ils s’en veulent, et vous verrez qu’ils vous en veulent. L’institutionnalisation permet d’égaliser les positions. Ce n’est pas une raison pour le faire, mais ce sera une source de conflit, oscillant entre le : « puisque tu ne veux rien entendre, débrouille-toi » et le « on te l’avait bien dit ».

Alors, que vous conseiller ?

Je vous le redis : sur le papier le maintien chez elle est possible ; mais il faut un consensus familial, et surtout il faut l’accord explicite, et que vous devez travailler à fond, de votre mari : il ne me suffit pas qu’il soit d’accord pour vous faire plaisir.

La prendre chez vous serait possible, mais je le redouterais parce que vous êtes tellement épuisée que vous le dites spontanément. L’urgence est donc de mettre un peu de distance, pas de faire l’inverse.

L’institution est le plus raisonnable.

Quant au pronostic fonctionnel, je ne vais certainement pas prendre position sur ce point. Mais cette situation ne fait pas partie de celles pour lesquelles on est optimiste : quand une dame de 89 ans se couche plus de trois jours, on n’a jamais la garantie qu’on saura la remettre debout.

Je reste à votre disposition pour en discuter encore. Le plus urgent pour moi est de faire le point avec votre mari sur ce qu’il pense de la situation.

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.