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En réponse à :

La communication avec le dément

, par Michel

Bonsoir, Isabelle.

Malheureusement il n’y a guère de solution.

Il y a deux grands mécanismes pour expliquer ce comportement. Le premier est le délire, c’est-à-dire une interprétation irréaliste des faits. Ces délires sont fréquents en cas de démence, car ils sont favorisés par la perte intellectuelle : si je n’ai plus les moyens d’analyser correctement le réel il va de soi que cela ouvre la porte à des analyses erronées. Le traitement serait neuroleptique, mais on sait que les neuroleptiques sont d’utilisation délicate chez le dément. Mais le deuxième mécanisme est encore plus fréquent chez le dément, et il est lié à la perte de mémoire et à la nécessité dans laquelle se trouve le malade de se rassurer sur son propre trouble.

Voici comment les choses se passent.

Je vois le portefeuille qui contient mes papiers. Je sais que c’est important, que je ne dois pas les perdre, et que je ne dois pas me les faire voler. Je vais donc les mettre dans un endroit où je suis sûr qu’on ne les trouvera pas. Par exemple je vais les cacher sous mon matelas.

Vient le jour où j’ai besoin de mes papiers. Bien entendu je ne me souviens plus où je les ai mis ; par contre je n’ai pas oublié que je risquais de me les faire voler. C’est bien la preuve que j’avais raison de me méfier, n’est-ce pas ? Et cela montre bien que je ne suis pas fou.

Donc on m’a volé mes papiers. Mais qui est le coupable ? Qui cela peut-il être, sinon ma fille qui est fourrée chez moi tous les jours, on ne sait pourquoi ?

Alors vous allez chercher ces papiers. Avec beaucoup de chance vous soulèverez le matelas. Tout est bien qui finit bien. Sauf que quand vous me racontez que vous les avez trouvés sous le matelas, vous apportez du même coup la preuve que c’est vous qui les avez volés : à qui voulez-vous faire croire que j’aurais eu l’idée saugrenue de les cacher sous mon matelas ?

Naturellement, si vous êtes la coupable de ce vol, c’est aussi parce que cela me permet de régler mes comptes : je ne supporte pas de vous voir en bonne santé alors que, je le sais bien, je perds un peu la tête ; je ne supporte pas de vous voir témoin de mon affaiblissement ; d’ailleurs je ne supporte pas d’avoir besoin de vous.

Autant dire que vous êtes sans défense. Mieux, si j’ose dire : ce conflit entre vous et moi est un écran protecteur, qui me permet de ne pas trop voir la réalité. Il y aurait danger à le supprimer.

La seule issue est donc de subir. Et il faut faire attention aux limites. Il y en a une que vous connaissez, c’est celle de votre résistance. Vous ne devez à aucun prix vous mettre en danger, et je n’ai pour vous secourir que cette piètre description des mécanismes en cause, juste pour vous montrer que l’amour que votre mère vous porte n’est absolument pas en question. Et pour vous mettre en garde : vous n’aurez pas de retour de ce que vous faites pour votre mère. Ou alors beaucoup plus tard. Par contre vous n’êtes nullement obligée de tout subir, et vous avez parfaitement le droit, même face à une démente, de rappeler que vous n’êtes pas venue pour vous faire insulter.

Mais il vous faut garder un œil sur votre frère et votre sœur. Ils sont loin, et les choses se passent comme d’habitude : ils sous-estiment la gravité de la situation. Mais en même temps ils souffrent, et notamment ils souffrent de leur incapacité à agir. Du coup la solution la plus déculpabilisante est de se dire que de toute manière ça ne va pas si mal que ça. Si donc il y a un moyen de penser que, peut-être, vous tapez effectivement dans la caisse, cela montre que votre mère garde encore un coup d’œil exercé, donc qu’elle n’est pas si démente que ça, donc qu’il n’est pas nécessaire qu’ils cherchent un moyen de s’impliquer dans la prise en charge. Pour peu qu’il y ait quelques vieux comptes à régler avec vous (il y en a toujours), l’affaire est dans le sac.

Ne culpabilisez pas sur votre accès de brutalité. Oui, c’est dommage ; oui, ce n’est pas bien. Mais cela vous montre que les discours péremptoires sur la maltraitance sont des dérisions : ceux qui les tiennent ne se sont jamais occupés d’un dément. Il vous faut seulement recevoir le message : vous touchez vos limites, et vous ne devez pas présumer de vos forces.

Un gériatre vous aiderait mieux qu’un neurologue.

Bien à vous,

M.C.

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