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En réponse à :

La communication avec le dément

, par Michel

Bonsoir, Dalifa.

Ce que vous racontez là est particulièrement touchant et difficile. Et cela nous pose, à nous professionnels, une question assez douloureuse.

Ceci d’un point de vue très général : le positionnement qui est le nôtre (ce serait très long à détailler) fait que nous sommes exposés à déclencher des émotions, des sentiments que nous n’avons pas souhaités, et qui peuvent faire des dégâts. Je suppose qu’il y a une manière d’être qui fait que cela ne se produit jamais ; je ne l’ai pas trouvée, et il m’est ainsi arrivé de provoquer des élans, des désirs, dont bien souvent je ne m’apercevais même pas. C’est un parasite pour la relation thérapeutique, c’est tout simplement une source de souffrance pour l’autre. Et j’ai notamment le souvenir pénible de deux de ces amoureuses : l’une était une très vieille dame, l’autre une très petite fille. Je ne sais pas s’il y a pire chose que le chagrin d’amour d’une petite fille.

Bon ; cela dit, regardons votre problème. J’ai l’impression d’entendre que cet homme se trouve plutôt dans un désir.

Cela nous conduit à étudier la question de la sexualité des personnes âgées. Beau sujet d’article, tiens, si j’avais le temps...

Mais je ne l’ai pas ; alors je vais être épouvantablement rapide.

Cette sexualité du sujet âgé, on commence à découvrir qu’elle existe. Après tout on a mis du temps à découvrir la sexualité infantile ; mais pour le sujet âgé c’est pire, car nous n’avons jamais été vieux ; nous pouvons donc plus aisément scotomiser des choses ; alors que tout de même, l’enfant, nous avons quelques souvenirs.

La sexualité du sujet âgé en général. Elle est à reconnaître, à accepter, peut-être à favoriser (je dis "peut-être" parce qu’il ne faut certainement pas lui donner une importance qu’elle n’a pas : ce serait déjà bien si nous cessions d’y faire obstacle de multiples manières). Mais quel contenu ? Ce que dit votre malade, c’est qu’il souffre de solitude ; allez savoir s’il érotise ce manque, ou s’il est réellement en frustration sexuelle ; allez savoir s’il a besoin de compagnie, de tendresse ou d’orgasme.

L’une des choses les plus absurdes que j’observe souvent chez ceux qui, avec les meilleures intentions du monde, veulent prendre en compte la sexualité du sujet âgé, c’est qu’ils tendent à occulter la différence entre un jeune et un vieux ; j’ai lu récemment sur une liste un mail d’une correspondante qui se scandalisait parce qu’on n’arrivait pas à prendre la sexualité du vieux comme on prend celle du jeune. Mais ce ne sont tout simplement pas les mêmes. Je commence à arriver à un âge où les choses, lentement, changent, je veux dire que le désir, s’il ne cesse pas, se modifie de multiples manières.

Il y a des pays, notamment l’Australie, où on a institué l’intervention de prostituées dans les maisons de retraite.

Ce n’est pas une idée absurde a priori, et il y a certainement des circonstances où c’est même une bonne chose. Reste qu’il existe une inadéquation (mais peut-on la réduire ? Et n’est-ce pas mieux que rien ?), entre la demande et la réponse. Gare aux simplismes : cela resterait quelque part un mépris de la sexualité du sujet âgé que de croire l’accomplir en lui payant une pute.

Monsieur X avait besoin d’être aimé, un besoin d’affection et de tendresse, besoins tout à fait légitime !!!

Oui, c’est légitime. Et même ce peut être contagieux ; même peut nous traverser l’esprit des pensées comme : "Et après tout, si ça doit lui faire un tel bien, ça ne me coûterait pas si cher". Mais cette solitude est presque toujours irrémissible, et il n’y a rien d’autre à faire que la respecter en ne trichant pas avec.
Vous savez, il arrive que se forment des couples en maison de retraite. Je ne suis pas sûr que ce soit fréquent. Pourquoi ne l’est-ce pas davantage ? Pression de l’institution ? Soumission de la personne âgée à une image d’elle-même ? Ici également gare aux simplismes. sans doute faut-il adapter nos institutions ; sauf que la manière dont nous l’adaptons est probablement tout aussi normative que la structure sexuellement répressive de nos institutions actuelles. Quand un couple se forme, on voit les équipes tantôt se scandaliser tantôt mascottiser le couple. Dans l’un et l’autre cas cette interférence entrave le développement d’une relation normale. Mais comment vais-je faire pour proposer à ce couple un lit à deux places, alors que je ne sais rien de ce qu’il en est de leur désir ? Et si je ne leur propose pas, comment vont-ils faire pour arrive à l’idée que ce serait possible ?

L’autre problème, c’est celui du dément. Car il n’y a aucune raison pour que le dément n’ait pas des besoins sexuels. Mais à qui fera-t-on croire que le malade frontal qui présente une désinhibition avec, comme on dit, perte des convenances sociales, et qui course les résidentes dans les couloirs, à qui fera-t-on croire que ce malade exerce sa liberté ? Et si on ne le fait pas, comment peut-on penser les légitimes besoins sexuels d’un malade par ailleurs désinhibé ?

Vous voyez bien qu’il faudrait un article entier...

Bien à vous,

M.C.

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