Poster un message

En réponse à :

Le tutoiement

, par Michel

Bonsoir, et merci de votre message.

Vous avez tout à fait raison d’être prudent, tant en ce qui concerne le principe que les exceptions qu’on peut envisager. Je persiste même à dire que, même s’il me semble exister des indications au tutoiement, il est obligatoire que l’équipe soignante passe par l’étape "zéro tutoiement" avant, éventuellement d’en introduire à nouveau.

Il faut d’autre part garder à l’esprit que nous projetons énormément de choses sur la personne prise en charge, ce qui ne simplifie pas l’analyse ; dans le meilleur des cas nous agissons en fonction de ce que nous croyons que nous voudrions si nous étions à sa place ; dans le pire des cas nous ne faisons que nous protéger de ce qui nous fait peur.

J’en veux pour exemple l’obsession des chambres particulières en maison de retraite. Oui, sans doute, c’est une nécessité. Mais ceux que nous avons interrogés pour en arriver à cette certitude, ce sont les résidents, ou c’est leur famille ? Et même quand c’est le résident, il est souvent dans un tel état de vulnérabilité que, nous le savons bien, il juge souvent prudent de dire ce qu’il croit qu’on attend de lui. A part quoi je n’ai pas d’opinion arrêtée sur les chambres particulières.

Nous ne devons jamais oublier, il me semble, que le projet des lieux de vie a une limite étroite : nous voulons tout faire pour que le résident se sente comme chez lui ; sans doute. Mais précisément, il n’est pas chez lui. J’entends bien que la chambre de maison de retraite est un domicile (enfin, en USLD, c’est plus compliqué). Mais de là à dire que c’est son chez lui, alors que, stricto sensu, la première vertu d’un domicile est que je l’ai choisi librement, il y a une marge. Et je me demande, quand nous voulons que le dément se sente chez lui, si nous faisons autre chose qu’ajouter à l’étrangeté, à l’incompréhensibilité de la situation, puisque s’il est une chose qu’il sait, c’est qu’il n’est pas chez lui. Et que le soignant, lui, est là parce qu’il touche un chèque et que le soir il rentre chez lui. On ne peut pas gommer cette dissymétrie fondamentale ; et pourquoi le ferait-on ? Je connais un directeur de maison de retraite qui a obtenu que ses professionnels travaillent en vêtements de ville ; je vois bien l’idée, et je l’aime beaucoup ; mais l’habit fait-il à ce point le moine ? Depuis quelques mois il est allé plus loin, et ses équipes de nuit travaillent en pyjama ; là j’ai un peu plus de mal : qu’est-on en train de fantasmer ?

Cela dit il y a des questions.

Par exemple, il est notoire que le tutoiement est souvent une norme sociale dans certains milieux, auxquels appartiennent volontiers nos agents ; ou que chez les antillais le vouvoiement est autant dire une marque d’hostilité.

Un jour nous avons eu à prendre en charge une jeune démente qui, peu d’années auparavant, avait été aide-soignante dans l’établissement. Je ne voulais pas qu’elle vienne, c’est l’équipe qui m’a forcé la main. Mais que fait-on ? Comment établit-on la distance ?

Et vous avez raison d’être prudent en ce qui concerne cette interprétation du ressenti du "dément" en relation avec une régression infantile. Bien sûr, je n’en sais rien. Je sais que cette idée a été soutenue par Reisberg, par Erikson (pour lesquels je n’ai pas une passion), et plus solidement peut-être par Geneau et Taillefer (voir par exemple http://www.sepec.ca/). Dans ma pratique j’ai eu souvent le sentiment d’assister à quelque chose comme cela ; et j’ai observé (mais ai-je vu autre chose que ce que je comptais voir ?) que lorsque je vouvoyais un patient qui me semblait dans un stade de régression extrêmement avancé, sa mimique était celle d’un étonnement, d’une incompréhension, qui cédait quand je le tutoyais en l’appelant par son prénom.

Mais je vous accorde volontiers qu’il faudrait bien d’autres recherches.

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.