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En réponse à :

La déshydratation en gériatrie

, par Michel

Bonjour, Bénédicte.

Une chose doit être tenue sans cesse à l’esprit : le plus sûr moyen de se ridiculiser est de faire un pronostic en termes de délais. Nous sommes devant une situation que nous ne maîtrisons plus, tout peut se passer comme ne pas se passer. Je ne m’y risquerais donc certainement pas, sinon en proposant des fourchettes, et encore. Bien entendu il serait encore plus absurde que je songe à fixer un délai pour une patiente que je n’ai pas vue.

Cela dit, comment puis-je vous aider ?

Ce que vous me dites, c’est qu’il s’agit d’une très vieille personne, qui présente une démence ancienne, profonde ; elle est pratiquement mutique, et surtout grabataire. On sait que ces patients sont dans une extrême précarité, ce qui permet de présumer que la situation est grave. Elle ne mange plus que de quantités négligeables, qui n’ont plus d’utilité (sauf de lui signifier qu’on ne l’abandonne pas, ce qui est très important) ; elle est perfusée, pour une raison peu claire, mais c’est là une pratique courante.

Dans ces conditions…

Vous me demandez si « cela se compte en mois ou en années ». J’hésite à vous répondre, mais je crois qu’il vaut mieux, et vous le comprendrez dans un instant, être direct : ce propos n’est absolument pas réaliste. Vous me parlez de mois ou d’années, je parlerais plus raisonnablement de semaines, voire moins, tant ces situations peuvent se décompenser à tout moment. Il n’y a pas une chance sur mille pour que ce que vous observez soit en réalité le résultat d’une pathologie passagère, qui guérirait spontanément, et qui permettrait un retour à une vie plus active.

Mais, justement, ce manque de réalisme me fait penser qu’au fond je ne vous apprends rien. Vous le saviez ; d’où la brutalité de mon propos. La formulation que vous avez choisie est un moyen détourné, timide, de mettre sur le tapis un sujet qui vous effraie, qui vous fait souffrir. Et si vous trouvez le courage, même de biais, d’aborder la question c’est parce qu’en fait vous connaissez la réponse.

Allons plus loin Bénédicte : vous en êtes à une phase où vous avez du mal à supporter cette situation. Cette phase, tout le monde la traverse. Elle est particulièrement crucifiante parce qu’on se trouve écartelé entre le chagrin de voir partir l’être qu’on aime et l’intolérable souffrance de le voir dans cet état. Souffrance pour lui, souffrance pour soi. Du coup on en vient à souhaiter que ça se termine, et bien sûr on se maudit de vouloir ainsi que l’autre, cet autre qu’on aime tant, disparaisse une bonne fois ; et on se juge comme un monstre d’avoir de telles pensées. Mais… tout le monde en passe par là ; tout le monde en vient à s’impatienter. Cette réaction est normale, elle est présente dans toutes les fins de vie. C’est cela qu’il vous faut entendre.

Encore un point.

Le mourir est un temps étrange, qui n’est pas l’affaire de celui qui meurt mais celle de la communauté qui le vit, et donc avec ses proches il fait partie. Dans ce temps hors du temps de curieuses choses se passent. Non, je ne fais pas dans le spiritisme, mais tout de même certaines frontières deviennent poreuses, et des communications bizarres semblent se produire, à moins bien sûr que je ne les rêve. Toujours est-il que je sais une chose : dans ma pratique, quand la famille du malade en fin de vie en vient à se poser, sous une forme ou sous une autre, la question de savoir « si ça va durer encore longtemps », ou quand elle trouve le courage de demander, comme vous le faites, de fixer un ordre de grandeur « juste pour savoir à quoi s’attendre », c’est qu’elle a compris, mystérieusement, quelque chose, et c’est le signe le plus fiable que, précisément, cela ne va plus durer très longtemps.

Mais je n’ai pas vu votre mère.

Bien à vous,

M.C.

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