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En réponse à :

La personne âgée opposante

, par Dom

Bonjour

Je me demande bien comment a pu naître cette idée qu’il serait possible de persuader des vieilles personnes démentes que l’EHPAD où ils vont terminer leurs jours est leur "chez eux". Mon expérience personnelle est récente (ma mère est en EHPAD depuis deux ans), mais je n’ai encore jamais rencontré un(e) seul(e) de ses colocs qui ne demande pas, inlassablement, à rentrer chez lui/elle, même si on lui a mis quelques meubles et quelques photos perso dans sa chambre. Ma mère, par exemple, alors que ses propos deviennent de plus en plus incohérents et qu’elle ne tient plus debout, continue de chercher ses chaussures et son manteau chaque fois qu’elle me voit, puisque je suis forcément venue pour "la ramener à la maison".

(A ce propos, l’une de vos remarques sur le fait que l’on n’a pas le droit de placer une vieille personne démente en EHPAD contre son gré m’a pas mal perturbée : c’est exactement ce que j’ai fait, après avoir épuisé toutes les possibilités d’un maintien à domicile. Les aides de ma mère m’appelaient en pleurs, de plus en plus souvent, chaque fois qu’elles la trouvaient nue par terre dans ses excréments ; les services du Conseil Général chargés de l’évaluation du GIR, contactés, avaient conclu à une situation d’urgence - de fait, pendant les derniers mois où j’ai essayé coûte que coûte de garder ma mère chez elle dans le secret espoir que la vie lui épargnerait de devoir mourir ailleurs, j’ai couru derrière l’évènement, la solution d’aide arrivant toujours après le problème. Cela s’est terminé aux urgences quand on l’a ramassée une énième fois chez elle avec une fracture du fémur. On a accepté de la garder quatre jours (quatre jours !) à l’hôpital, en gériatrie, "pour me dépanner" - comprendre trouver une solution pérenne - , et de fait, je ne lui ai pas demandé son avis. A ma décharge, je ne lui ai pas menti, et dans les premiers temps, chaque fois qu’elle me demandait "quand est-ce qu’on rentre", je lui répondais qu’elle ne rentrerait plus, parce que ce n’était plus possible. Je vous passe les détails de mes déchirements, quand elle "argumentait" qu’elle ne voyait pas pourquoi ce ne serait pas possible tant qu’on n’avait pas essayé... On n’avait pas essayé ! Et c’est à moi qu’elle disait ça ! A un certain point, j’ai acquis le sentiment qu’il y avait dans cette affaire une sorte de "conflit de souffrances". D’un côté la mienne, parce que je trouvais lâche et malhonnête de lui mentir, et de l’autre la sienne, parce qu’elle refusait désespérément une réalité insupportable. Et je suis arrivée à la conclusion que sa souffrance était plus grande que la mienne, parce qu’elle n’avait aucun pouvoir sur la sienne, tandis que la mienne relevait du luxe d’un choix éthique. C’est ainsi que j’ai cessé de la détromper quand elle s’apprête à retourner chez elle - j’atermoie, je suggère qu’elle dîne d’abord, ou qu’on remette au lendemain, ou au jour où elle ira mieux. Incontestablement, c’est beaucoup moins violent pour elle, mais je sais que je la trompe, et je crois qu’elle le sait aussi. Je précise que j’ai depuis demandé et obtenu sa tutelle, et que je trouve de la dernière hypocrisie que le Juge me demande de porter ses décisions "à la connaissance de l’intéressée", alors même que la motivation de la mesure de protection est que l’intéressée n’est plus en mesure de prendre connaissance de quoique ce soit...)
Mais je reviens à cette histoire de "se sentir chez soi" dans un EHPAD. Franchement, c’est une blague. D’un côté, il paraît ("pour la réminiscence") qu’il vaut mieux qu’on essuie les résidents avec les serviettes de bain imprimées qu’ils utilisaient chez eux, mais on fait l’impasse sur le fait que chez eux, personne ne leur lavait les fesses. Quant aux "animations"... Ma mère avait 20 ans au début des années 50, comme la plupart de ses colocs. A cette époque, ils dansaient le mambo, ils écoutaient du jazz. A 30 ans, ils ont aimé Brassens, Léo Ferré ou Bobby Lapointe. Ou Verdi. Ou le rock and roll. Ma mère aimait le cinéma d’art et d’essai. Alors je me demande : comment peut-on sérieusement croire que les résidents pourraient se sentir "chez soi", quand on les fait chanter en chœur, à trois heures de l’après-midi, "Ah le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles" ? Comment peut-on à ce point - avec toute la bonne volonté du monde - se tromper de génération ? Ou qu’on vous emmène dans la salle de projection de l’EHPAD voir "Le Corniaud" ? Comment peut-on à ce point - avec la meilleure volonté du monde - ignorer les différences socio-culturelles entre résidents ? Quand on fait semblant de jouer au petit bac ("pour la stimulation") et que l’animatrice écrit "canar" pour un animal commençant par C ? Bon, c’est pas important, les résidents ne savent de toutes façons plus écrire, et probablement qu’ils s’en fichent désormais éperdument. Mais ce végétarien convaincu, qui n’a plus touché de viande depuis trente ans et qu’on gave désormais midi et soir de moulinés indistincts à base de porc boeuf poulet et autres ? Est-ce qu’on ne s’abuse pas en croyant qu’il pourrait se sentir "chez lui" ? Pire : est-ce que ce n’est pas lui qu’on abuse ?

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