La mort et la beauté II - commentaires La mort et la beauté II 2015-06-12T07:01:32Z http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article36#comment13217 2015-06-12T07:01:32Z <p>Bonsoir, Delphine, et merci de ce message bouleversant.</p> <p>Rien de tout cela n'est évident, vous avez raison. Et c'est bien pourquoi j'ai écrit ce texte.</p> <p>L'exemple que vous donnez est très éclairant. Quand je dis que vous êtes pour quelque chose dans le fait que le malade est toujours en vie, je tiens un propos radicalement ambigu, et sur lequel je ne sais rien. Et si je ne sais rien, ce n'est pas par défaut d'analyse, mais pour une raison bien plus profonde.</p> <p>Un philosophe vous dira ça mieux que moi. Mais enfin, la question qui se pose à l'homme est celle de la réalité : y a-t-il un réel qui me soit extérieur, ou bien n'y a-t-il que mes perceptions et ce que j'en fais ? C'est une des manières dont on entre dans la question du relativisme. Et c'est le problème que posait Socrate : face aux sophistes qui lui disaient en somme qu'il n'y a pas de réalité, et que l'homme est la mesure de toutes choses, il soutenait que si nous pouvons nous mettre d'accord sur le fait que nous voyons tous deux le soleil, c'est qu'il y a dans le soleil quelque chose qui nous est extérieur, et donc que le soleil existe indépendamment de nous qui l'observons.</p> <p>Ou encore, mais si on creusait on trouverait sans doute que les deux problèmes ont la même racine, je crois que l'un des rôles essentiels de l'homme est de trouver le sens des choses ; mais il ne faut pas oublier que la démarche scientifique naît quand on admet que le monde n'a pas de sens, et qu'il n'a que des mécanismes.</p> <p>Et le problème de la mort, c'est qu'elle échappe à cette distinction. Tout simplement parce que ce n'est pas un objet. On pourrait en dire ce que saint Augustin disait du temps : <i>Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne m'interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l'ignore</i>. Ainsi de la mort, et la maxime d'Épicure est toujours d'actualité : <i>Tant que nous sommes, la mort n'est pas là, et une fois que la mort est là, alors nous ne sommes plus</i>. La mort est donc à la fois le plus réel de tous les objets et un simple fantôme sans aucune consistance.</p> <p>C'est pourquoi il ne peut exister aucun savoir à son sujet. Et c'est pourquoi les outils habituels de la relation d'aide sont inutilisables ou, au minimum, insuffisants : on ne parle pas de la même chose.</p> <p>Les voies habituelles de l'information médicale ne sont pas adéquates. Enfin, il faudrait réfléchir sur ce point, car j'ai cru comprendre que les pays étrangers font moins de manières que nous quand il s'agit de dire les choses ; il y aurait lieu de réfléchir à cette exception culturelle.</p> <p>Mais les voies de la psychologie sont tout aussi inadéquates, car elles supposent une forme de normativité : il y a des résultats qui sont bons, d'autres mauvais. Reprenons notre exemple :</p> <p><i>vous êtes pour quelque chose dans le fait que le malade est toujours en vie</i> ; soit. Mais le <i>sens</i> de cette assertion dépend du <i>sens</i> que je donne à la situation, et ce sens c'est <i>moi</i> qui le donne. Si je considère que le but suprême est que le malade vive, alors je vous loue de l'avoir si bien soutenu qu'il consente à continuer le combat. Mais si je considère qu'il est temps que le malade meure, alors je vous reproche de ne pas lui permettre de mourir. On voit immédiatement que l'opinion que je me fais de votre comportement dépend uniquement de l'opinion que je me fais de la situation ; or cette dernière opinion est totalement subjective, et ne repose sur aucune donnée fiable ; non seulement, je le redis, parce que la mort est un phénomène très difficile à analyser ou prévoir, mais parce que rien ne peut être dit sur elle.</p> <p>Et vous commentez en incitant les professionnels à la prudence. Vous avez raison : cela découle du fait que le même propos peut revêtir des significations totalement opposées. Mais il n'est pas si simple de se repérer sur les réactions des proches. Si je vous dis : <i>vous êtes pour quelque chose dans le fait que le malade est toujours en vie</i>, et que cela vous met en colère parce que vous vous sentez accusée, c'est probablement que je n'ai pas su tenir compte de la disposition d'esprit dans laquelle vous étiez ; mais d'un autre côté il se peut aussi que vous réagissiez ainsi parce qu'il faut bien que vous fassiez quelque chose de la colère que vous éprouvez envers la mort qui vient (phénomène de la Pomponnette) ; dans ce cas votre colère pourrait bien être une bonne chose, et si on me juge (je me juge) maladroit, c'est parce que j'en suis la cible, et aussi parce que je tiens pour assuré (alors que ce serait un principe à vérifier) que la colère est un sentiment négatif. Et si au contraire ce que je vous dis vous rassure et vous console, c'est probablement une bonne chose ; à condition de partir du principe qu'il vaut mieux éviter que certains sentiments plus âpres ne vous viennent à la conscience.</p> <p>Un matin à la radio, j'entendais le mari d'une malade expliquer : « quand le médecin est venu me voir, il m'a expliqué que le cancer de ma femme était métastasé et qu'il n'y avait plus aucun espoir ; il a complètement manqué de psychologie ». Il se peut que le confrère ait été maladroit. Mais je me souviens de m'être dit que j'aurais pu être ce médecin, et que j'aurais probablement dit les mêmes choses. Et je demande encore quelle psychologie il faut déployer pour signifier à un mari que sa femme va mourir.</p> <p>Bref je crois que nous parlons là de zones dans lesquelles aucun outil n'est disponible, car le jugement que nous portons sur les résultats de nos actions dépend uniquement du regard que nous portons sur le but à atteindre : c'est nous qui fabriquons la réalité.</p> <p>C'est pourquoi je me demande ce qui se passerait si nous utilisions les voies, totalement inexplorées, de l'élaboration collective d'une lecture de la situation. Ce qui est, me semble-t-il, l'essence de la création artistique. A condition de prendre ce mot pour ce qu'il est : il ne s'agit pas de faire de l'esthétique, il ne s'agit pas de lénifier mais au contraire de retrouver ce que Nietzsche dit des tragiques grecs.</p> <p>J'ai bien compris que ce que je dis est totalement fou.</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> La mort et la beauté II 2015-06-10T21:22:58Z http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article36#comment13215 2015-06-10T21:22:58Z <p>Bonjour M. Cavey,</p> <p>Je souhaitais réagir à cette idée amenée dans le commentaire sur le fait que les patients en fin de vie avaient peut- être besoin que leurs proches les autorisent à partir... Cette idée est parfois émise par des soignants et je pense qu'il conviendrait que les soignants soient prudents dans leur parole... Même si eux aussi tentent sûrement de mettre du sens à l'inexplicable...<br class="autobr" /> Je me permets ce commentaire car j'ai accompagné mon père il y a un peu plus d'un an durant ses 4 derniers mois. Les médecins nous avaient annoncé sa mort probable dans les 15 jours suivants car ils craignaient une hémorragie cataclysmique (cancer ORL), et il a été orienté en soins palliatifs, il n'y eut pas d'hémorragie. Dans un moment de confusion il s'était arraché sa gastrostomie, une nouvelle pose n'étant pas possible et mon père ayant refusé une alimentation par le nez, l'alimentation a été totalement arrêtée... Il est mort deux mois et demi plus tard, alors qu'il était déjà très maigre.... Je ne sais pas où il a trouvé cette force de rester en vie, encore.... L'équipe médicale s'en étonnait et nous faisait parfois part de ses hypothèses, "c'est grâce à vous", "certains patients ont besoin d'entendre que vous (ma mère, mon frère et moi) êtes prêts à le voir partir", même si ça se veut soutenant ce type de propos peuvent être aussi culpabilisants en fait....<br class="autobr" /> Et puis un jour, mon père nous a dit qu'il sentait que ça allait être la fin, que la maladie avait gagné, il est parti 15 jours après. Les derniers jours ont consisté à se relayer à son chevet, lui tenir la main qu'il nous serrait, il y eut des moments extrêmement violents où il s'est réveillé en sursaut semblant paniqué, s'accrochant à nous et nous tentions de le rassurer, ça peut paraître un peu absurde mais je lui disais : ça va aller, on est là, on reste près de toi. Les médecins ont finalement augmenter morphine et hypnovel. Ses réveils ont été moins violents, mais il continuait de nous serrer la main, et je continuais de glisser la mienne dans la sienne, et profitais de ces moments de brèves consciences où il parvenait encore à me serrer la main... Comment a-t'il vécu ces moments ? Je n'en sais rien, cette question m'a beaucoup taraudée, et si il avait mieux valu que cela s'arrête plus tôt pour lui ? Tout ce que je sais c'est qu'ils me sont chers ces derniers moments : douloureux mais tellement précieux...<br class="autobr" /> Je ne sais pas trop pourquoi j'écris aujourd'hui, curieusement je continue de venir faire des visites sur ce site et curieusement j'écris à la suite d'un texte qui se nomme "la mort et la beauté"... Je souhaitais peut-être dire qu'il peut se passer des moments d'exception dans un service de soins palliatifs, que nous avons eu de la chance de rencontrer une équipe et une médecin particulièrement attentive, et bienveillante et d'une grande sérénité vis à vis de la mort ce qui fut extrêmement rassurant.</p> <p>Je souhaitais aussi vous remercier M. Cavey pour ce que vous écrivez, ça fait beaucoup de bien...</p> La mort et la beauté II 2015-06-09T19:05:18Z http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article36#comment13213 2015-06-09T19:05:18Z <p>Merci à vous de ce beau message. Vous n'imaginez pas combien il m'importe de lire que mes élucubrations parfois rencontrent l'expérience des autres...</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> La mort et la beauté II 2015-06-08T21:58:20Z http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article36#comment13210 2015-06-08T21:58:20Z <p>La mort et la beauté.<br class="autobr" /> Quel titre extraordinaire. <br class="autobr" /> Il me ramène 5 ans en arrière. La mort de ma mère. Au moins deux ans que je ne l'ai pas vue. M'attend-elle ? Trois jours après mon arrivée, après le dîner, nous sommes seules, soudain <strong>Elle</strong> me dit "J'ai peur, j'ai froid !"<br class="autobr" /> Lui ai-je dit "tu n'es pas seule, je suis là, tiens prends cette couverture ?" Lui ai-je dit "Je suis avec toi, mais pour moi il n'y aura personne !" ? Lui ai-je bien dit ça ? Je crois bien que oui.</p> <p><strong>Elle</strong>, elle me répond "Toi quand ça t'arrivera je serai près de toi !" Et elle éclate de rire. Gentiment. Et je fais de même.</p> <p>Je comprends que ma mère vient d'accepter. Je retiens mes larmes. <strong>Elle</strong> qui avait si peur de ce fait, que le seul mot "mort" l'effrayait au point de l'empêcher de le prononcer, au point de l'empêcher d'imaginer la sienne.</p> <p>Il n'y a pas eu d'eau de vie. Pourtant elle était Russe. Cela fait 5 ans que je vis avec cette nuit qui ne fut pas facile.</p> La mort et la beauté II 2009-11-22T10:07:41Z http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article36#comment1499 2009-11-22T10:07:41Z <p>Bonjour, Sophie.</p> <p>Je n'ai pas d'opinion particulière sur ce point.</p> <p>Ce à quoi je tiens, c'est à la dimension cérémonielle de la mort. La mort est un événement qui intéresse une communauté, et les paroles qui s'y disent ne sont pas des dialogues mais des incantations.</p> <p>Il y a certainement des situations où le malade (il l'a d'ailleurs parfois verbalisé clairement) a peur de laisser seul tel ou tel de ses proches. Dans ce cas il peut être opportun de lui dire que des solutions sont trouvées. Mais c'est exceptionnel, et il faut se souvenir que quand on dit au mourant qu'il peut mourir en paix parce que tous les soucis qu'il pourrait avoir sont pris en charge, on lui dit du même coup qu'il ne sert plus à rien et qu'il est prié de débarrasser le plancher. Cela dit, toute parole vraie est ambiguë.</p> <p>La plupart du temps la parole qu'on dit alors n'est pas adressée au mourant mais à celui qui la dit. C'est ainsi qu'il faut l'entendre, y compris dans sa dimension illusoire : car comme vous l'écrivez, il s'agit de l'"l'autoriser à partir" ; comme si ça dépendait de celui qui parle. Comme si c'était un cadeau qu'on faisait au mourant ; comme si j'avais pouvoir de commander à la mort, qui n'attendrait que mon feu vert.</p> <p>Mais ces sottises sont le fondement même de l'âme humaine, et c'est pourquoi il est capital de les respecter.</p> <p>Bien à vous,</p> <p>M.C.</p> La mort et la beauté II 2009-11-22T08:24:54Z http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article36#comment1497 2009-11-22T08:24:54Z <p>Bonjour,</p> <p>Je souhaiterais avoir votre avis sur le "courant de pensée" qui consiste à dire que fâce à une personne en fin de vie il est parfois souhaitable que les proches, la famille expriment au malade qu'ils "l'autorisent à partir"</p> <p>Sophie</p>