L’ADMD et le ridicule

22 | (actualisé le ) par Michel

Le Président de l’ADMD, M. Jean-Luc Romero, vient de commenter, c’était vendredi 14 novembre sur France-Inter, deux faits d’actualité.

En Grande Bretagne, la jeune Hannah Jones refuse la greffe cardiaque qui lui est proposée (voir par exemple l’article du Figaro)

En Italie la justice vient de décider qu’Eluana Engaro, plongée dans un état végétatif chronique, ne recevra plus d’alimentation artificielle (je prends le risque de renvoyer à un article trouvé sur le site "liberté politique.com", dont je ne partage pourtant pas le contenu).

Et que dit M. Romero ?

Il admire ces deux pays qui progressent ainsi vers la reconnaissance de l’euthanasie. Et il se demande pourquoi la France "Le pays des droits de l’Homme", a un tel retard dans ce domaine.

Rien de moins.

Alors reprenons.

La petite Hannah Jones n’a pas demandé à être euthanasiée, et personne n’a songé à poser le problème ainsi. Il s’agit d’un refus de soins. Quelle est la situation en France ? Elle est que la question est tranchée depuis le 4 mars 2002 par la loi dite Kouchner qui dispose que le refus de soins d’un malade doit être respecté. Si un débat comme celui sur Hannah Jones n’a pas lieu en France ce n’est pas parce que notre législation est en retard, c’est parce qu’elle est en avance.

Pour Eluana Engaro, le problème se pose de la même manière : Il ne s’agit en rien d’une euthanasie, mais d’un arrêt de soins. En France on utiliserait pour trancher ce débat les dispositions de la loi du 22 avril 2005, dite Loi Léonetti, qui permet d’arrêter des soins devenus sans utilité [1]. Si un débat comme celui sur Eluana Engaro n’a pas lieu en France ce n’est pas parce que notre législation est en retard, c’est parce qu’elle est en avance.

On se demande pourquoi les tenants de l’ADMD s’acharnent dans une position aussi archaïque, et qui ne tient aucun compte de la réalité : les deux nouvelles affaires dont elle entend se servir comme d’un étendard ne sont pas des affaires d’euthanasie, et la loi française en donne la solution. Peut-être leur est-il difficile de renoncer à un combat qui est leur seule manière d’exister ; peut-être sont-ils encore trop submergés par leur peur panique de la mort. Mais au fond ce pourquoi ne regarde qu’eux ; ce qui nous regarde serait de savoir ce qu’un discours aussi manifestement faux doit à l’ignorance des réalités élémentaires et ce qu’il doit à la mauvaise foi.

Mais il y a bien pire.

Considérons le cas d’Hannah Jones. La position anglaise est strictement identique à celle de la France : un malade qui ne veut pas être soigné ne doit pas l’être. La question que médecins et juges anglais se sont posée, et que les français ne manqueraient pas de se poser de la même manière, est tout autre : elle est de savoir si un enfant de treize ans doit être considéré comme apte à prendre une décision de cette nature.

Car tout de même la situation d’Hannah Jones est tout à fait particulière. Elle n’est pas en fin de vie, elle peut être soignée, elle peut vivre, et vivre assez longtemps pour espérer un progrès médical décisif pour elle. Mais il y a un prix à payer, et elle ne veut pas le payer.

L’ADMD visiblement n’a cure de ces questions.
- Pas un mot sur la seule question qui fait débat : Hannah Jones doit-elle être autorisée à décider pour elle-même, surtout dans une situation où le rapport bénéfice/risque est loin d’être nul ?
- Rappelons que l’ADMD soutient qu’elle demande simplement le droit de mettre fin à une existence quand le malade se trouve à la toute fin, qu’il n’y a plus d’espoir et que les souffrances sont intenables. Hannah Jones n’est pas à la toute fin, il y a de l’espoir et ce ne sont pas des souffrances intenables qu’elle nous met en avant. Mais peu importe, sans doute, pour l’ADMD.

Considérons maintenant le cas d’Eluana Engaro : il s’agit donc de savoir si on peut cesser tout soin à un malade en état végétatif chronique.

J’ai dit que je prenais un risque en citant l’article de Liberté politique .com C’est peu de le dire, car la position qui s’y exprime n’est absolument pas la mienne. En particulier je ne crois pas à cette différence entre soin et traitement ; je ne vois pas pourquoi on serait moins libre des soins que des traitements ; et surtout si on doit choisir il ne fait pour moi aucun doute que l’alimentation par gastrostomie est un traitement. Bref, l’arrêt de l’alimentation artificielle dans une situation de cet ordre ne déclenche en moi aucun état d’âme.

Mais pour autant, et même si on perçoit sans peine tout ce que la position énoncée dans cet article doit à certains milieux qui, pour le coup, mériteraient presque les sarcasmes de l’ADMD, il demeure que le cas d’Eluana Engaro pose deux questions qu’on serait bien léger d’éluder :
- Comment juge-t-on du confort de vie d’un malade en état végétatif ? Quand il est dans le coma, on a des moyens assez fiables d’en juger la profondeur et les possibilités de perception qui demeurent [2] ; mais s’agissant des états végétatifs chroniques, c’est plus délicat, et si les religieuses qui, dans l’article de Liberté politique.com décrivent leur vie avec la malade, ont de fortes chances de s’illusionner, on serait bien téméraire de l’affirmer. A tout le moins personne ne devrait s’arroger le droit de parler d’Eluana Engaro sans l’avoir examinée à fond.
- Quelles sont les limites du prendre soin ? J’ai dit que pour ma part, chaque fois que j’ai eu à décider en conscience qu’une alimentation artificielle devait être arrêtée, je l’ai fait. Mais lorsque je dis qu’il n’y a pas de différence entre un soin et un traitement, je sais fort bien que je réduis le problème, et qu’en réalité il y en a une ; et qu’il y a une limite, même floue, au-delà de laquelle l’arrêt de soins est un abandon du malade, et constitue ce que le Code Pénal nomme un délaissement.

Bref, s’il y a lieu de prendre fermement position contre la thèse sous-tendue par l’article, il n’en faut pas moins garder à l’esprit que les questions qu’il pose sont de vraies questions. C’est pourquoi je l’ai choisi, c’est pourquoi il est utile de le lire.

Mais ces questions, l’ADMD ne se les pose visiblement pas. Pas plus qu’elle n’accorde la moindre importance à un détail, futile il est vrai. Quand elle plaide pour un droit à l’euthanasie elle ne manque pas de préciser qu’il s’agit de faire droit aux demandes lucides et réitérées de malades qui n’en peuvent plus, qui sont au bout de leur vie et qui sont dans des souffrances abominables. Elle ne s’avise pas que, précisément, Eluana Engaro n’est pas en fin de vie, qu’il n’y a pas de notion de souffrance abominable, et que surtout elle n’a rien demandé.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas la souffrance d’Eluana Engaro, c’est celle de son entourage, qui souffre comme je souffrirais moi-même en pareille circonstance, qui demande ce que je demanderais en pareille circonstance, demande que j’accepterais [3] si j’étais le médecin en charge de ce cas, comme la loi française m’y autorise.

C’est en 1920 que Karl Binding et Alfred Hoche ont voulu légitimer "la destruction d’une vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue". Binding et Hoche agissaient avec les meilleures intentions du monde ; on sait comment et par qui leurs théories ont connu le succès.

Voilà où en est l’ADMD. J’avais parlé dans le titre de cet article de ridicule, le mot semble bien faible : au vrai, on peut difficilement tomber plus bas.

P.-S.

Deux ans après, où en est cet article ?

Il suffit de lire les messages postés sur le forum. On y trouvera plusieurs interventions de correspondants qui sont soit des membres de l’ADMD soit des sympathisants de ces thèses.

Force est de constater qu’aucun ne se hasarde à répondre sur le fond : Comment apprécient-ils les propos de M. Romero ?

Je laisse le lecteur conclure.

Notes

[1Il est admis que pour la loi Léonetti l’alimentation artificielle est un traitement. J’ai écrit ailleurs qu’à mon sens la loi Léonetti n’est pas assez claire sur la question de l’alimentation artificielle, mais laissons cela.

[2Il est de bon ton de rétorquer qu’on n’en sait rien ; mais c’est faux : on le sait assez bien, car les situations et les techniques sont similaires à celles qu’on utilise en anesthésie, et on ne sache pas que ceux qui doutent ainsi doutent de ce qu’ils ont vécu eux-mêmes pendant leur propre anesthésie.

[3Rappelons-le : tout ceci à supposer que le cas soit conforme à ce qu’on nous annonce.