Une loi Vincent Humbert ?

(actualisé le ) par Michel

Il existe un "mouvement pour une loi Vincent Humbert", qui milite pour une loi légalisant l’euthanasie. Ce mouvement a un site, qui propose le texte de cette loi. Voyons donc ce qu’il en est.

La proposition de loi est précédée d’un argumentaire, dont on a lieu de présumer qu’il vise à éclairer la proposition elle-même.

UN ARGUMENTAIRE

On lira donc en italique le texte exact figurant sur le site.

Vincent Humbert, ce jeune tétraplégique qui avait demandé au Président de la république le droit de mourir, a relancé le débat sur la fin de vie et l’euthanasie en France, l’un des derniers pays à ne pas avoir de cadre législatif.

Les faits sont en réalité les suivants [1] : quatre états au monde ont pris position vers l’euthanasie : les Pays-Bas, la Belgique, la Colombie et l’Espagne. Un territoire australien a dépénalisé le suicide assisté mais la loi fédérale est revenue sur cette dépénalisation. Un état américain (l’Oregon) a dépénalisé le suicide assité ; la jurisprudence suisse a toujours admis le suicide assisté.

Il est en effet urgent d’agir :
Marie Humbert, cette mère qui a accepté d’aider son fils à mourir, et le docteur Frédéric Chaussoy, qui a refusé de la laisser assumer ce geste,

Il serait trop long ici de rappeler les faits, d’ailleurs ils sont disponibles. La simple chronologie suffit à montrer qu’on ne peut les réduire à l’énoncé ci-dessus.

ont bénéficié d’un non-lieu sous la pression populaire,

Ceci n’est pas la pression populaire qui a abouti à ce non-lieu, mais une conception, que je comprends mais qui me semble avoir un coût important (voir la brève "Un non-lieu dnas l’affaire Vincent Humbert ?"), de l’ordre public. Au reste il y a une contradiction entre le fait de revendiquer ce non-lieu comme une victoire et le fait de soutenir Marie Humbert, qui a toujours dit combien elle tenait à être jugée.

mais la loi assimile l’euthanasie à une assassinat, même dans des cas extrêmes. Le cas récent du docteur Tramois et de l’infirmière Chanel, renvoyées en Cour d’assises pour des faits comparables, en témoigne.

Je ne suis nullement certain qu’il était bon de renvoyer ces deux professionnelles devant les Assises (Voir l’article "De Berck à Saint-Astier"). Ce qui en revanche est évident c’est que les faits pour lesquels elles doivent être jugées n’ont aucun rapport avec le cas de Vincent Humbert : la victime considérée était une patiente en phase terminale d’un cancer et pour qui les mesures nécessaires en termes de soins palliatifs n’avaient pas été mises en place.

Il faut donc changer la loi si elle peut conduire à l’injustice.

Sans dout faut-il reprendre à la base la notion même de loi. Car toute loi conduit toujours à l’injustice, et qui méconnaît cette évidence montre qu’il ne comprend pas ce qu’est une loi. La démonstration est simple :
- Une loi a un domaine de validité.
- Aux frontières de ce domaine elle ne s’applique plus.
- Donc la loi, qui crée son domaine de validité, crée ses injustices.

Il en résulte qu’on ne peut demander à une loi de régler des situations rares : car dans ce cas la loi crée des exceptions plus nombreuses que les situations qu’elle résout.

Chaque malade a le droit de voir ses souffrances atténuées et nous demandons une loi de programmation pour développer l’offre de soins palliatifs, scandaleusement faible en France.

On ne peut qu’approuver.

Ce n’est ni médecin ni au juge de décider à partir de quel moment la vie d’homme ne vaut plus d’être vécue. C’est une liberté fondamentale, un droit absolu, qui comme Vincent Humbert ne concerne pas que les malades en fin de vie.

Personne ne peut redire à cela, et la loi du 22 avril 2005 donne sur ce point, parfois imprudemment, tous les moyens nécessaires.

Seule la loi peut encadrer ce droit fondamental de pouvoir se retirer dans la dignité.

Comme je viens de le dire, la loi ne peut rien pour encadrer un tel droit, à supposer qu’il existe. Il est étrange de lire ici « droit de se retirer », là où il est question, je suppose, de droit de mourir. Que peut donc bien cacher cette afféterie ? Il est facile de démontrer que sous couvert de bon sens et de modernité se cache en réalité une peur panique de la mort [2].

Malgré une opinion massivement favorable,

Comment cela est-il mesuré ? Le vieux sondage effectué par l’ADMD ne démontre rien. La question posée était en effet : « En cas de maladie grave et incurable s’accompagnant d’une souffrance insurmontable, seriez-vous favorable ou opposé à ce que soit reconnu au malade le droit d’être aidé à mourir à sa demande ? ». Et on trouve 85 % de sondés pour être favorables... Mais moi aussi, j’y suis favorable ! L’anomalie est qu’on trouve encore 15% de gens qui dans de telles conditions voudraient continuer à vivre. Ce que le sondage ne dit pas, c’est que les techniques palliatives sont telles que la souffrance insurmontable ne se recontre plus, du moins quand elles sont appliquées.

malgré la pratique clandestine non contrôlée de l’euthanasie, le gouvernement et le Parlement se refusent à aborder ce sujet, acceptant juste de protéger les médecins arrêtant de soigner les malades incurables en fin de vie.

Cette phrase n’a pas de sens.

Il est facile de montrer que les médecins n’ont jamais couru le moindre danger dans ces conditions : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le Code Pénal, la loi du 4 mars 2002 y suffisaient amplement. Au reste on serait bien en peine de trouver un seul médecin effectivement condamné au pénal en France pour un acte d’euthanasie.

Créée récemment pour développer l’initiative citoyenne, l’association Faut qu’on s’active ! a entrepris de contribuer à l’émergence d’un vrai débat national sur cette question, à travers un « Tour de France » qui a conduit des dizaines de milliers de citoyens à s’exprimer sur le sujet. L’Assemblée nationale n’a pas souhaité entendre Marie Humbert, le docteur Chaussoy ou Faut qu’on s’active !, alors même que c’est à la suite de l’affaire Humbert qu’elle a voté le 22 avril 2005 un texte sur le « laisser mourir », qui ne répond pas à la question de la survie artificielle et de la souffrance en fin de vie.

Il serait intéressant que les auteurs de cet argumentaire disent en quoi la loi du 22 avril 2005 ne répond pas à la question de la survie artificielle et de la souffrance en fin de vie. Elle énonce en effet :

"Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10."

Il suffit donc de lire ce texte pour comprendre que la survie artificielle peut être refusée par le malade et que le médecin est tenu d’obtempérer à ce refus. Il en va de même de la souffrance en fin de vie. Alors pourquoi prétend-on que ce n’est pas le cas ? Parce qu’en réalité on nous parle d’autre chose [3].

Faute de réponse satisfaisante, l’association a donc décidé d’élaborer elle-même la « loi Vincent Humbert » que l’opinion attend.

La sémantique a ici son importance.

"Faute de réponse satisfaisante" : il s’agit là d’une généralisation. La réalité est qu’il y a des gens qui ne sont pas satisfaits par la loi du 22 avril 2005 ; mais nous ne savons toujours pas pourquoi. En particulier la question posée par Vincent Humbert pouvait être réglée très simplement :
- La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen lui reconnaissait le droit de refuser les soins.
- Aucun article du Code Pénal ne traite de l’arrêt de soins : il est abusif de vouloir traiter de cette question au moyen d’articles qui ne s’y rapportent pas ; au reste, comme je l’ai dit, on aura du mal à trouver un cas de médecin condamné par ce moyen, tout simplement parce que les juges font leur métier avec discernement.

Elle ne propose pas de légaliser l’euthanasie, mais d’introduire une « exception » dans le code pénal, lorsqu’une aide active à mourir a été apportée à une demande clairement exprimée, dans des conditions strictement définies.

J’ai eu l’occasion de prendre violemment position contre l’avis du CCNE (Voir mon article sur le site de B. Pradines). Il y avait à cela de multiples raisons, mais l’une des plus importantes est que toute dépénalisation équivaut à une légalisation ; d’ailleurs il me semble que les Pays-Bas n’ont pas légalisé l’euthanasie, mais l’ont simplement dépénalisée. Il n’est pas possible d’établir ainsi un distinguo entre exception d’euthanasie (rappelons que cette exception est un terme juridique qui signifie que le juge peut utiliser une procédure exceptionnelle) et légalisation pure et simple.

Cette proposition de loi d’initiative populaire

Rappelons que les lois d’initiative populaire n’existent pas en France.

a recueilli à ce jour plus de 200.000 signatures de citoyens, dont de nombreuses personnalités. L’association entend recueillir 300.000 signatures d’ici la fin de l’année pour placer ce débat interdit de l’élection présidentielle de 2007.

La syntaxe du dernier membre de phrase pose problème.

I. Un cadre législatif inadapté
1.Le cadre législatif ne permet pas de sécuriser les pratiques actuelles : [4]
Le mot euthanasie fait peur, et recouvre en réalité des pratiques différentes, qu’il est convenu de regrouper sous 4 formes principales :
- l’euthanasie indirecte, c’est-à-dire l’administration d’antalgiques dont la conséquence seconde et « non recherchée » est la mort.

Cette pratique, qui s’appuie sur la « règle du double effet », est sans rapport avec une euthanasie.

- l’euthanasie passive, c’est-à-dire le refus ou l’arrêt d’un traitement nécessaire au maintien de la vie.

Ici non plus il ne s’agit en rien d’euthanasie, mais simplement de refus de l’acharnement thérapeutique. Dans la quasi totalité des cas la fin de vie échappe à la fois à l’acharnement thérapeutique et à l’euthanasie.

- l’euthanasie active, c’est-à-dire l’administration délibérée de substances létales dans l’intention de provoquer la mort, à la demande du malade qui désire mourir,

Voici la seule définition acceptable de l’euthanasie.

ou sans son consentement, sur décision d’un proche et/ou du corps médical.

Ici par contre il ne s’agit pas d’euthanasie mais de meurtre. Les auteurs de l’argumentaire ne font pas la différence.

- L’aide au suicide, où le patient accomplit lui-même l’acte mortel, guidé par un tiers qui lui a auparavant fourni les renseignements et/ou les moyens nécessaires pour se donner la mort

L’aide au suicide n’est pas non plus l’euthanasie.

Ces distinctions ont au moins le mérite d’isoler le cas du suicide assisté, qui relève d’une autre logique et d’un autre débat.

Je ne comprends pas la différence entre aide au suicide et suicide assisté.

En revanche, en ce qui concerne l’euthanasie à proprement parler, les autres distinctions apparaissent en pratique parfois artificielles, la dose injectée ou le type de produit ne pouvant à eux seuls déterminer l’intention réelle de donner la mort.

Cette phrase pose un double problème.

Le premier est un problème de cohérence avec ce qui précède : car si on tient à la précision du langage au point de distinguer entre aide au suicide et suicide assisté, alors on ne peut se permettre de négliger les énormes différences entre l’arrêt de soins curatifs, l’utilisation de la règle du double effet et l’euthanasie.

Le second est que la phrase n’a pas de sens : effectivement, ce n’est pas la dose ni le type de produit qui déterminent une intentionnalité, et personne ne l’a jamais dit, du moins j’espère. Cependant il y a quelques indices : les professionnels savent fort bien que telle molécule n’a aucune utilité en fin de vie, et que son emploi a toute chance de répondre à un désir de tuer le patient. Quant à la dose injectée, tout professionnel est parfaitement capable d’évaluer un rapport bénéfice/risque. Il y a évidemment une zone d’incertitude, mais on voit mal comment elle pourrait être éliminée, et si la question de l’intention, en pratique, est parfois difficile à résoudre, ce n’est nullement pour ces raisons-là.

Le code pénal ne prévoit aucune incrimination spécifique concernant le fait de donner la mort à quelqu’un qui le demande. L’euthanasie rentre dans le champ des articles réprimant le meurtre, l’assassinat ou la non assistance à personne en danger (dans le cas de l’euthanasie passive) (articles 221-1 et 221-3 du nouveau code pénal), les peines maximales pouvant être encourues étant respectivement de 30 ans de réclusion, la réclusion à perpétuité et 5 ans d’emprisonnement.

J’ai dit plus haut que cette affirmation est inexacte, et que je n’ai trouvé aucun exemple de médecin condamné en France sur ces seules bases.

L’accompagnement de la fin de vie correspond en France aux seuls soins palliatifs, dont le droit a été ouvert par une loi du 9 juin 1999. Les soins palliatifs se présentent comme des « soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave évolutive et terminale ». Les belges préfèrent parler de « soins supportifs »,

Cette notion de « soins de support » est bien connue en France également.

pour aider le malade à supporter la douleur, sans pour autant que l’issue soit nécessairement désespérée. Leur objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance physique et psychologique. La loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades (dite loi Kouchner) a permis des avancées importantes en plaçant le patient au centre du système, sans toutefois poursuivre la logique jusqu’au bout.

Les auteurs de l’argumentaire n’expliquent pas en quoi la logique de la loi du 4 mars 2002 porte en elle la légalisation de l’euthanasie ; il est assez simple de démontrer au contraire qu’elle s’y oppose.

Elle dispose que les professionnels de santé doivent tout mettre en œuvre pour assurer une vie digne jusqu’à la mort et que le médecin doit respecter la volonté de la personne. Aucun acte médical ni traitement ne peut être pratiqué sans le consentement de la personne et lors de toute hospitalisation il doit être proposé au patient de désigner une personne de confiance.

C’est pourquoi cette loi permet de résoudre sans difficulté le cas de Vincent Humbert.

Les nombreux témoignages que nous avons recueillis, ou les affaires qui sont révélées régulièrement, comme dernièrement au CHU de Besançon, attestent que le code pénal n’empêche pas la pratique de l’euthanasie en France,

Ceci est un argument supplémentaire en faveur de ce que j’ai indiqué plus haut : le Code Pénal ne parle pas de l’euthanasie, et les juges ne l’utilisent pas dans cet esprit.

même s’il la condamne à la clandestinité et que ses auteurs risquent de lourdes peines, comme c’est le cas pour le docteur Laurence Tramois en Dordogne.

Il conviendrait de mieux connaître les tenants et aboutissants de l’affaire de Saint-Astier. Pour ma part j’ai déjà dit :
- Que je souhaite que ces deux professionnelles ne purgent aucune peine.
- Que je souhaite également qu’elles soient assurées de l’estime de tous.
- Mais que je ne comprends pas pourquoi une patiente en proie à des souffrances qui dépassaient les moyens techniques de l’hôpital local n’a pas été transférée (peut-être y avait-il une raison).

Dans les services de réanimation, un patient sur deux meurt après décision de limitation ou d’arrêt de soins actifs,

C’est en effet le chiffre habituellement retenu.

et l’on peut estimer qu’une proportion de 10 à 20% de ces décisions médicales sont des injections avec intentionnalité de décès.

Je ne saisis pas comment on estime cette proportion après avoir écrit : "les autres distinctions apparaissent en pratique parfois artificielles, la dose injectée ou le type de produit ne pouvant à eux seuls déterminer l’intention réelle de donner la mort"...

Quant on sait par ailleurs que le tiers des décès, dans notre pays, soit environ 180.000 sur les 530.000 constatés en moyenne par an,

Je n’ai pas trouvé l’origine de ce chiffre. L’étude LATAREA [5] trouvait une mortalité en réanimation inférieure à 10%. L’estimation des auteurs conduit donc à dire qu’environ deux millions de français passent en réanimation chaque année, ce qui semble beaucoup.

survient dans les services de réanimation, on mesure la place qu’a prise la pratique clandestine et sans contrôle de l’euthanasie dans notre pays.

Rappelons que les limitations de traitement n’ont pas de rapport avec l’euthanasie.

Ailleurs, d’autres malades auxquels il n’est pas permis d’accéder à leur demande de mort répétée et consciente doivent subir de véritables tortures, parfois pendant de longues années, qu’une société aussi élaborée que la nôtre devrait mettre un point d’honneur à éviter.

Il faudrait rappeler ici que la la loi du 22 avril 2005 donne tous les moyens nécessaires pour que ces souffrances disparaissent.

La situation des patients au regard de l’euthanasie n’est pas sans faire penser à celle des femmes voulant se faire avorter avant la loi Veil sur l’IVG de 1975, condamnées pour les moins riches ou les moins informées à des pratiques clandestines et dangereuses.

Cet argument vaut pour toute pratique illégale. Il vaudrait mieux fonder la revendication sur quelque chose de plus solide.

2.Une opinion en avance sur le législateur :
Comme nous avons pu le constater dans nos débats ou à travers les dizaines de milliers de pétitions ou de témoignages recueillis, l’affaire Humbert a certainement contribué à une évolution des esprits, pourtant déjà largement favorables à un encadrement législatif de l’euthanasie.

A ce point de l’argumentaire, il serait utile de présenter des chiffres, et de dire comment ils ont été obtenus. Pour n’en citer qu’un seul, 200000 signataires d’une pétition ne font pas une majorité.

Ainsi, un sondage commandé par l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) en 2006 montre que 90% des français étaient favorables au droit de choisir sa mort.

Je n’ai pas vu ce sondage. Celui que j’ai vu sur le site de l’ADMD pose les questions suivantes :

"Dites-moi si vous seriez très favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou très défavorable à ce que la loi soit modifiée, afin de permettre à un malade d’obtenir, à sa demande, une assistance médicalisée pour mourir, dans le cas où cette personne est en phase avancée ou terminale d’une maladie reconnue incurable."

On ne sait pas quelles informations ont été données aux sondés sur les possiblités alternatives.

Et :

"Dites-moi si vous seriez très favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou très défavorable à ce que la loi soit modifiée, afin de permettre à un malade d’obtenir, à sa demande, une assistance médicalisée pour mourir, dans le cas où cette personne est placée dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité."

On retrouve ici la même problématique : on devrait s’attendre que 100% des sondés répondent oui...

Les enquêtes d’opinion font également apparaître qu’une majorité de médecins généralistes sont favorables à la légalisation de l’euthanasie en France. Ce serait le cas pour 78% d’entre eux selon un sondage publié dans « Impact Médecin Hebdo » en octobre 2003. Le soutien apporté par le conseil national de l’ordre des médecins au docteur Chaussoy, ou encore la prise de position publique en faveur d’une loi par François Lemaire, professeur de réanimation médicale à l’hôpital Henri Mondor à Créteil, constituent autant d’indices que les médecins, notamment ceux qui sont confrontés le plus souvent à ce type de choix, vivent mal l’insécurité juridique dans laquelle ils sont obligés de travailler.

Il est normal que les gens vivent mal le fait de ne pas se sentir en sécurité. Il est moins normal qu’ils éprouvent un sentiment qui n’a pas lieu d’être.

Les réticences dans l’opinion semblent aujourd’hui davantage le fait des milieux religieux les plus pratiquants, même si là aussi nos débats ont montré que des membres du clergé ou de nombreux laïcs engagés refusent de juger les cas individuels. Le refus d’une loi tient à une conception stricte du respect de la vie humaine. La vie est une réalité transcendante et ne peut être laissée à la libre disposition de l’homme.

Il y a effectivement des gens pour qui c’est le cas. Mais il existe d’autres positions. Par exemple la prudence à laquelle on est conduit en constatant l’évolution de la situation aux Pays-Bas.

La prise de position de Jean-Pierre Raffarin estimant que « la vie n’appartient pas aux politiques » pourrait relever de cet esprit.

A titre personnel je préfère en effet que la vie n’appartienne pas aux politiques.

Beaucoup de croyants pratiquant considèrent pourtant avec les autres que si la vie de chacun n’appartient évidemment pas aux politiques, c’est à eux et à eux seuls que revient la décision de décider de ce qui est légal ou non, particulièrement dans une République laïque.

La syntaxe de la phrase serait probablement à revoir. Mais il y a plus important : que signifie l’idée que dans une République c’est à des individus ou des groupes de pression de décider ce qui est légal ?

3.La France lanterne rouge des démocraties européennes :
La plupart des pays européens ont apporté des réponses, au moins en partie, à cette aspiration de la population à choisir les conditions de la fin de vie.

Redisons-le : il n’existe que quatre pays au monde ayant pris des mesures allant vers l’euthanasie.

La Suisse comme la Suède interdisent l’euthanasie active, mais autorisent l’aide au suicide accompagnée par un médecin.

Ces deux pays interdisent donc l’euthanasie. Il convient de ne pas mélanger euthanasie et suicide.

Au Danemark, la loi du 14 mai 1992 oblige les médecins à se conformer aux dispositions contenues dans les déclarations de volonté et encourent des sanctions s’ils y contreviennent.

Il est question ici de directives anticipées. Le Danemark interdit l’euthanasie.

En Allemagne, l’euthanasie active est assimilée dans la loi à un homicide, mais un jugement de 1998 l’a autorisé pour les patients dans un coma irréversible, procédure encadrée par le tribunal des tutelles et la jurisprudence reconnaît l’obligation de se conformer au testament de vie, comme en Grande-Bretagne, en Autriche, en Espagne (Catalogne), en Suisse et dans d’autres pays, en Europe et ailleurs (Canada, Australie, Etats-Unis).

Il s’ensuit que dans tous ces pays l’euthanasie est interdite.

En Belgique depuis mai 2002, après les Pays-Bas depuis mars 2001, la pratique de l’euthanasie a été dépénalisée sous conditions. La demande doit être « volontaire, réfléchie et répétée ». Il faut aussi que les souffrances du patient soient constantes, insupportables et que celui-ci « se trouve dans une situation médicale sans issue ». 259 cas ont été observés en quinze mois par la commission d’évaluation chargée d’examiner les rapports des médecins proposant l’euthanasie. D’autres législations le prévoient de manière plus restrictive (Espagne, Colombie).

La question serait donc de savoir pourquoi les auteurs écrivent que la France est un cas isolé, alors qu’elle est sur la position de la quasi totalité des pays démocratiques.

II. Pour que demain il y ait une loi « Vincent Humbert »
L’affaire Vincent Humbert a achevé de convaincre de l’inadaptation du cadre législatif actuel. Pour autant, et malgré les avancées de la mission parlementaire d’information sur l’accompagnement de la fin de vie, relayées par le ministre de la Santé, qui ont ouvert un premier débat et ancré l’idée d’une intervention de la loi, il n’y a pas de consensus sur la manière de traiter le problème posé.

Rappelons ici que les travaux de la Commission Léonetti ont fait l’objet au contraire d’un extraordinaire consensus ; il suffit pour s’en convaincre de lire le rapport, qui est public.

1.La responsabilité du juge ? le comité consultatif national d’éthique (CCNE)
Le CCNE a pris une position intéressante dans son avis n°63 du 27 janvier 2000 intitulé « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie ». Il propose en effet une « exception d’euthanasie » qui laisse à l’euthanasie son caractère pénal mais autorise le médecin à plaider devant la justice qu’il ne s’agit pas de violence mais de mettre un terme à la vie de quelqu’un le demandant, compte tenu d’un certain nombre de circonstances graves et précises. Ce serait donc à la juridiction saisie de cette « exception d’euthanasie » de se prononcer sur le caractère criminel ou non du geste commis.
Cette position, pour intéressante qu’elle soit par la notion d’exception d’euthanasie, confie au juge une responsabilité que l’on peut trouver exagérée, dans un pays où l’on préfère l’égalité devant la loi à des jurisprudences aléatoires.

Je crois que la position du CCNE est intenable.

2.L’unique recours aux soins palliatifs ? le rapport de Marie de Hennezel
Le rapport « Fin de vie et accompagnement » remis au ministre de la santé en octobre 2003 par Marie de Hennezel, spécialiste des soins palliatifs, proscrit logiquement toute forme de dépénalisation de l’euthanasie, en mettant l’accent sur l’accompagnement et le non-abandon. Plutôt que de légiférer, elle considère qu’il faut avant tout « aider les soignants à changer leurs pratiques » en les formant à la « démarche palliative ».
Cette position n’est pas sans ambiguïté : elle ne tient pas compte du grave sous-développement des unités de soins palliatifs en France (700 lits contre 7000 en Belgique), qui prive d’effets pratiques cette pétition de principe. D’autre part, même si l’on observe une baisse des demandes d’euthanasie quand des soins palliatifs peuvent être mis en place, ils ne constituent pas une réponse à certains cas, comme celui de Vincent Humbert. Enfin, l’opposition entre soins palliatifs et euthanasie semble relever dans ce cas davantage d’une préoccupation d’ordre moral, les deux logiques s’avérant en pratique parfaitement complémentaires.

Je n’ai pas pu vérifier le chiffre annoncé pour les lits de soins palliatifs en Belgique. Le parc hospitalier belge était de 70 000 lits en 2003, ce qui ferait 10% de lits de soins palliatifs. Mais laissons cela ; la question posée ici est de savoir si les insuffisances d’une politique doivent conduire à lutter contre elles ou si on peut se contenter d’arrangements.

3.La seule affaire des médecins ? Bernard Kouchner, le conseil national de l’ordre des médecins, Dominique Perben et Philippe Douste-Blazy.
En avril 2002, Bernard Kouchner proposait non pas la modification de la loi mais la définition d’un cadre, une sorte de charte de déontologie qui serait validée par l’ordre des médecins et comprendrait des engagements de respect de la volonté des malades, de caractère collectif de la décision d’interrompre la vie d’autrui, même si c’est au médecin de l’assumer, etc.
De manière encore plus restrictive, Dominique Perben, Garde des Sceaux, a proposé en mai 2004 devant la mission parlementaire d’information de modifier par décret le code de déontologie médicale pour protéger les médecins limitant ou arrêtant les thérapies tout en soulageant la douleur sans intention de donner la mort (euthanasie indirecte). Cette position semble avoir eu l’aval du conseil national de l’ordre des médecins.
Les réanimateurs, qui voient dans leur service 180.000 décès par an, souhaiteraient une protection juridique accrue, ce qui incite la Société de réanimation de langue française (SRLF) à souhaiter désormais une loi précisant désormais que la non-mise en œuvre ou l’arrêt des techniques de réanimation, sous certaines conditions, ne devrait pas exposer les médecins au risque de mise en cause judiciaire.

Je ne saisis pas le sens de ce passage. En toute hypothèse ces propositions vont toutes dans le sens du respect de la volonté du malade.

C’est le sens du vote à l’Assemblée nationale le 30 novembre 2004 (à l’unanimité) puis au Sénat le 22 avril 2005 (sans les voix de gauche) de la loi dite Leonetti, qui prévoit le droit au « laisser mourir », destinée principalement à protéger les médecins « débranchant » leurs patients en fin de vie. Présentée comme une avancée pour les médecins, cette loi a eu l’effet paradoxal de rendre explicite l’interdit de toute forme d’euthanasie active, même pour abréger certaines souffrances imprescriptibles, sauvegarder la dignité du malade et sa volonté.

Cet effet n’est pas paradoxal : il suffit de lire le rapport de la commission Léonetti pour comprendre que c’était le but recherché. Je ne sais pas ce que signifie l’expression « souffrances imprescriptibles » ; je sais en revanche que dans ma pratique des soins palliatifs je ne rencontre pas de souffrances impossibles à soulager : quand le malade l’accepte il est toujours possible de lui proposer un sommeil induit.

Certains, opposants ou partisans de l’euthanasie, ont dénoncé l’hypocrisie qui conduisait la société à laisser ses patients en fin de vie mourir de faim, de soif ou d’asphyxie.

Il convient ici de s’arrêter.
- Les malades en fin de vie qu’on cesse de nourrir ne meurent pas de faim, tout simplement parce qu’ils n’ont pas faim : l’anorexie est quasi constante dans les cancers avancés.
- Les malades en fin de vie qu’on cesse d’hydrater ne meurent pas de soif, tout simplement parce qu’ils n’ont pas soif ; on sait d’ailleurs parfaitement qu’une légère déshydratation est un élément de confort dans les derniers jours.
- La prise en charge de l’inconfort respiratoire en fin de vie est parfaitement codifiée et efficace.

Bien qu’absolument légitime et nécessaire, l’enjeu d’une meilleure protection des médecins ne saurait être le seul, de même que les modalités d’accompagnement de la fin de vie doivent pas relever de leur seul pouvoir, encore parfois empreint d’un certain paternalisme.

Je ne saisis pas en quoi l’exposé précédent aboutit à cette conclusion.

4.Une prise en charge collective de l’accompagnement de la fin de vie : les propositions de l’association Faut qu’on s’active !
Venue sans a priori sur le sujet, l’association Faut qu’on s’active !

Ce qui est écrit ici, c’est que l’association Faut qu’on s’active ne tire pas son origine de la lutte pour la légalisation de l’euthanasie. Effectivement, si on se rend sur le site de l’association, on voit qu’elle s’est donné un vaste champ d’activité, qui dépasse largement le cadre d’une loi sur l’euthanasie. L’approfondissement est difficile, car on ne trouve sur le site ni les statuts ni la composition des instances dirigeantes. Par contre il suffit de visiter les liens relatifs aux actions des groupes locaux pour constater qu’à deux exceptions près ils n’ont pas d’autre projet que de militer pour cette loi.

s’est forgé progressivement quelques certitudes, au fil des débats qu’elle a organisés.
Ses propositions reposent sur 5 principes, qui sont autant de justifications à une intervention du législateur :
Les progrès de la médecine (survie artificielle) et la prise de conscience des droits des malades débouchent à législation inchangée sur une impasse juridique, que l’affaire Vincent Humbert a eu le mérite de révéler.

A supposer qu’il y ait jamais eu une impasse juridique, ce qui, on l’a vu, est tout sauf évident, la loi du 22 avril 2005 y aura mis fin.

il nous faut sortir de cette impasse au terme d’un grand débat public, dans l’opinion et au Parlement, qu’il n’y a aucune raison d’escamoter.

Il n’est pas sûr qu’un débat public soit réellement le meilleur endroit pour traiter de questions si complexes et de situations si singulières.

le suicide assisté relève d’une logique à part, qui mérite un débat spécifique.

Le suicide pose en effet des problèmes particuliers.

la problématique des soins palliatifs, dont la programmation de moyens nouveaux est absolument nécessaire, n’épuise pas le sujet de l’accompagnement de la fin de vie.

Je n’ai toujours pas d’élements pour dire que le sujet n’est pas épuisé.

la pratique de l’euthanasie (sous toutes ses formes, beaucoup plus imbriquées qu’il n’y paraît en pratique)

Je crois comprendre que pour les auteurs la pratique est plus simple que la théorie. J’avais plus haut cru comprendre le contraire.

doit pouvoir être encadrée par le législateur, donc par les représentants du peuple, le droit de se retirer dans la dignité n’étant ni l’affaire du seul médecin, ni du seul juge.

Sans doute le législateur a-t-il son mot à dire ; mais, précisément, il l’a dit.

A partir de ces grands principes,

Je n’ai pas vu ici de principes particuliers. Quels sont-ils ?

qui nous paraissent susceptibles de faire l’objet d’un large accord, nous pensons nécessaire de modifier la loi. Nous pensons également qu’il faut avoir le courage de toucher au code pénal, non pas pour légaliser l’euthanasie, mais pour y introduire une « exception d’euthanasie », en reprenant la proposition du conseil consultatif national d’éthique. La proposition de « loi Vincent Humbert » nous paraît une position équilibrée, un juste compromis entre le droit imprescriptible de l’homme à choisir les conditions de sa fin, la vocation de la médecine à sauver la vie, et la responsabilité du juge de réprimer les atteintes à la vie humaine.

Voici les conditions dans lesquelles nous proposons d’encadrer ce nouveau droit à se retirer dans la dignité :
en s’assurant de la volonté du patient, seul juge de la qualité et de la dignité de sa vie et de l’opportunité du médecin, quand la personne fait état d’une souffrance ou d’une détresse constante insupportable, non maîtrisable, consécutive à un accident ou à une affection pathologique, ou lorsque la personne est atteinte d’une maladie dégénérative incurable (articles 1 à 3).
en procédant à toutes les consultations et informations nécessaires (psychologue, équipe pluridisciplinaire) pour éclairer la décision du patient de demander une aide active à mourir, chaque médecin pouvant faire jouer la clause de conscience (articles 4 à 9).
en rendant compte à la Nation de la pratique de ce nouveau droit, à travers la création d’une commission nationale de contrôle et d’évaluation, avec le pouvoir de dénoncer au Procureur de la République un cas lui paraissant ne pas remplir les conditions et suivre les procédures prévues (article 10).

J’analyserai ces points en étudiant le texte de la proposition.

Nous versons au débat public cette proposition, qui a déjà recueilli plus de 200.000 signatures depuis le 24 septembre 2004, date anniversaire du départ de Vincent Humbert, sous la forme inédite en France d’une « proposition de loi d’initiative populaire ». Quand nous aurons recueilli 300.000 signatures de citoyens, selon une procédure qui existe dans d’autres pays, nous demanderons à des parlementaires de la déposer pour que la représentation nationale en débatte.

Cette action s’inscrit donc explicitement dans une procédure qui n’existe pas en France, ce qui pose la question de la manière dont les auteurs de l’argumentaire entendent respecter règles de la démocratie.

Mais voyons cette proposition de loi.

LA PROPOSITION DE LOI

Proposition de loi relative au droit de se retirer dans la dignité
Dite « Loi Vincent Humbert ».

TITRE Ier
DU DROIT DE TOUT ETRE HUMAIN D’EXPRIMER SA VOLONTE DE FIN DE VIE

Ce titre est parfaitement compatible avec les dispositions de la loi Léonetti.

Article 1er
Toute personne majeure en mesure d’apprécier les conséquences de ses choix et de ses actes

Quiconque s’est déjà trouvé devant des situations concrètes sait que sous l’aspect anodin de cette assertion se cache en réalité une difficulté redoutable, que rien ne peut résoudre. La loi Léonetti n’y arrive pas davantage, et pour cause : cela ne peut faire l’objet d’une loi.

Que nous est-il annoncé en effet ? Ceci : qu’on va restreindre le champ de l’euthanasie aux « personnes majeures en mesure d’apprécier les conséquences de leurs choix ». Et certes on n’envisage pas de laisser une telle liberté à ceux qui sont hors d’état d’en user. Le problème est que lorsqu’on dit cela on dit du même coup qu’il y a quelqu’un qui décide si la personne est en mesure d’apprécier les conséquences de ses actes.

Et comment cette personne peut-elle faire pour prendre cette décision ? Certes il y a des cas où la réponse est évidente. Mais dans un très grand nombre de cas (au vrai tous ceux où on aurait besoin, justement, d’une loi...) c’est infiniment plus difficile. Le cas le plus simple est celui de la dépression : le déprimé est un malade qui très souvent refuse qu’on le soigne, voire qui demande à mourir. Que faire ? Qui répondra que si tel est son désir il faut le laisser mourir ? Mais qui répondra que la dépression n’est pas une souffrance majeure ? Et qu’en est-il, cas extrêmement fréquent, du malade en fin de vie qui déprime ?

Toutes ces situations sont le pain quotidien de quiconque s’occupe réellement de malades en fin de vie.

est seule juge de la qualité et de la dignité de sa vie

Que chacun soit seul juge de la qualité de sa vie, voici qui est évident. Quant à dire par contre que chacun est juge de sa propre dignité, il est facile de démontrer que c’est un contresens : la dignité est une notion tout entière prise dans le champ de la relation à l’autre [6].

ainsi que de l’opportunité d’y mettre fin lorsqu’elle fait état d’une souffrance ou d’une détresse constante insupportable, non maîtrisable, consécutive à un accident ou à une affection pathologique, ou lorsqu’elle est atteinte d’une maladie dégénérative incurable.

Reste que dans son architecture cet article pose le principe du droit du malade à décider de ce qu’il veut vivre. La loi Léonetti ne dit pas autre chose, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de le répéter ici.

Article 2
Cette volonté peut s’exprimer soit dans une déclaration de volontés anticipées (DVA) renouvelable tous les cinq ans, soit par écrit, ou soit oralement à deux reprises, espacées d’au moins trois jours, devant deux témoins, dont l’un au moins n’a pas d’intérêt matériel à sa disparition. Cette volonté exprimée est révocable à tout moment.

On reconnaît là une disposition, à peine modifiée, pour des raisons qu’on peine à comprendre, de la loi Léonetti.

Article 3
Dans le cas d’incapacité physique permanente, médicalement constatée, de nature à l’empêcher de rédiger et de signer une déclaration écrite, la personne peut désigner pour ce faire une personne majeure de son choix, en présence de deux témoins majeurs, dont l’un au moins n’aura pas d’intérêt matériel à son décès.

Ceci reprend à très peu près la procédure de désignation d’une personne de confiance, telle que prévue par la loi du 4 mars 2002.

TITRE II
DU DROIT DE SE RETIRER DANS LA DIGNITE

On retrouve là deux anomalies dont nous avons déjà parlé.
La première est l’appellation « se retirer » ; la mort ferait-elle donc si peur ? Ou éprouverait-on le besoin de faire perdre de vue ce dont on entend parler ?

Article 4
Toute personne majeure faisant état d’une souffrance ou d’une détresse constante insupportable,

On retrouve ici, et pour cause, la même difficulté que pour l’article 1 : comment s’imagine-t-on pouvoir établir le caractère insupportable d’une souffrance ? Recourra-t-on à un tiers ? Mais si on le fait on se retrouve dans la situation de la loi Léonetti. Et si on n’y recourt pas, comment résoudra-t-on le problème, entre autres, de la dépression ?

non maîtrisable,

Sans doute convient-il de préciser que, par définition, les techniques de sommeil induit permettent de maîtriser toutes les situations de souffrance.

consécutive à un accident ou à une affection pathologique,

Il y a là une anomalie.

Puisque la personne est réputée seule juge de la qualité de sa vie, pourquoi veut-on restreindre aux seuls malades le champ de l’euthanasie ? Le bon sens commande que ce droit ne comporte aucune restriction.

ou lorsqu’elle est atteinte d’une maladie dégénérative incurable, dispose du droit de recevoir une aide pour se retirer dans la dignité.

S’il ne s’agit que de mourir dans la dignité, alors on peut prendre cet article comme un vibrant plaidoyer pour le développement des soins palliatifs.

Cette aide active à mourir ne peut être prodiguée que par un médecin

Pourtant il est si simple de mourir qu’on voit mal en quoi la présence d’un médecin est nécessaire.

et uniquement si la personne a pu en exprimer la volonté claire, dans les conditions fixées par les articles 2 et 3.

Cette restriction n’est pas toujours évidente dans les propos des partisans de l’euthanasie, et il est heureux qu’on la lise ici. Mais il faut immédiatement observer que là comme ailleurs cette disposition implique qu’il y a quelqu’un pour dire si la volonté est clairement exprimée. Quand on sait combien l’ambivalence est omniprésente en fin de vie, on risque d’aller au-devant de quelques difficultés.

Article 5
Pour faire droit à une demande d’aide active à mourir, le médecin a l’obligation de donner à son patient une information claire et complète sur son état de santé, dans l’état des connaissances scientifiques du moment, ainsi que sur les possibilités de recours à des soins palliatifs. Si son état le permet, le patient devra consulter un psychologue.

Il s’agit d’une redite de la loi du 4 mars 2002.

Article 6
Le médecin devra également prendre l’avis d’une équipe pluridisciplinaire composée d’au moins quatre personnes dont deux médecins exerçant dans un établissement de santé, dont un spécialiste de l’affection concernée et d’un expert près les tribunaux judiciaires, et de deux personnes qualifiées tenues au secret et choisies, notamment, parmi les personnels médicaux, les assistants sociaux ou les psychologues.
Cette équipe est tenue de s’entretenir avec les proches, avec l’équipe soignante, avec la personne de confiance au sens de l’article L.1111-6 du code de Santé Publique si elle a été désignée, et enfin avec un médecin désigné par cette personne de confiance.
Elle rend dans les quinze jours de sa saisine son avis sur les conditions mentionnées à l’article 4 pour faire droit à la demande d’aide active à mourir et le transmet à la commission de contrôle et d’évaluation instituée à l’article 10 de la présente loi.

Voici qui laisse pantois.

Ce qu’on envisage, c’est donc de recevoir la demande d’un malade ; ensuite on attend trois jours ; ensuite on réunit une équipe de quatre personnes dont un spécialiste de l’affection et un expert près les tribunaux ; on y ajoutera le médecin désigné par la personne de confiance ; on imagine sans peine que tout cela demandera quelque délai : les quinze jours proposés ne seront pas de trop. En d’autres termes les promoteurs du projet envisagent sans rire de laisser attendre deux semaines un malade en proie à des souffrances insupportables.

Article 7
Le médecin peut opposer la clause de conscience à une demande d’aide active à mourir.

Le terme d’ « aide active à mourir » remplace donc désormais le mot d’euthanasie. Ici encore on n’en comprend pas bien la raison.

Il en informe alors la personne concernée ou, à défaut, à la personne de confiance,

Est-ce à dire que la personne de confiance pourrait stipuler pour le malade ? On avait cru comprendre que seuls pourraient être tués les malades qui en avaient exprimé clairement la volonté.

et indique le nom de praticiens susceptibles de la pratiquer dans l’établissement qui l’héberge ou ailleurs. Aucun membre de l’équipe soignante n’est tenu de concourir à une aide active à mourir.

Article 8
La personne décédée à la suite d’une aide active à mourir dans les conditions imposées par la présente loi est réputée décédée de mort naturelle pour ce qui concerne l’exécution des contrats auxquels elle était partie, en particulier les contrats d’assurance. Les dispositions de l’article 909 du Code civil sont applicables aux médecins et membres de l’équipe soignante
Article 9
L’article L.221-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, par exception et sous le contrôle du juge, il n’y a ni crime ni délit lorsque les faits visés aux articles 221-1 et 221-3 ont été commis par un médecin suite à une demande d’aide active à mourir, dans les conditions et selon les procédures prévues par la loi du ... relative au droit de se retirer dans la dignité dite « loi Vincent Humbert ».

Ces propositions sont dans la logique de ce qui précède et n’ont pas lieu d’être commentées.

TITRE III
DE LA COMMISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D’EVALUATION

Article 10
Il est institué, auprès du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre chargé de la santé, une commission nationale de contrôle et d’évaluation chargée d’examiner si les conditions et procédures fixées par la présente loi en matière d’aide active à mourir ont été respectées. Il établit chaque année un rapport d’évaluation qu’il remet au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre chargé de la santé, ainsi qu’aux présidents des assemblées parlementaires et au conseil national de l’ordre des médecins.
Elle est composée de 21 membres, dont 1/3 de médecins, 1/3 de magistrats judiciaires et 1/3 de personnalités qualifiées, selon des modalités déterminées par un décret en Conseil d’Etat.
Elle reçoit les avis établis par l’équipe pluridisciplinaire mentionnée à l’article 6 de la présente loi et a toute autorité pour entendre les personnes concernées. Si elle estime à la majorité que les procédures ou les conditions définies par la présente loi n’ont pas été respectées, elle transmet dans les deux mois au Procureur de la république territorialement concerné un rapport, accompagné du procès-verbal d’audition du médecin concerné.

Ici également, une fois qu’on a discuté du reste, peu importe.

Mais le lecteur aura vu comme moi que tout cela n’a aucun sens.

P.-S.

Depuis la rédaction de ce texte, nous avons vu les choses évoluer ; notamment les langues ont commencé à se délier, comme en témoignent notamment deux articles parus dans le "Parisien Aujourd’hui en France" du 6 mars 2007 ; on trouvera ces articles en pièce jointe.

Notes

[1Ces données figurent d’ailleurs sur le site de l’ADMD

[2Je suis au regret de devoir renvoyer sur ce point à mon livre « L’euthanasie » paru chez l’Harmattan.

[3Ici encore je renvoie à mon livre.

[4Pour tout cela je renvoie encore à mon livre.

[5Lancet N° 200 16/357

[6Voir encore mon livre.