Qu’est-ce que vieillir ? Quelque éléments de réflexion pour le grand public sur ce que nous appelons le vieillissement

6 | (actualisé le ) par Michel

L’homme et la femme vieillissent-ils différemment ?

C’est généralement ce qu’on pense : l’image, plus ou moins implicite que l’on véhicule est que l’homme garde plus longtemps que la femme son dynamisme et son activité, mais qu’il vit moins vieux, de sorte que la femme est vieille plus tôt et plus longtemps.

Mais il n’est pas si simple de faire la part de ce qui revient au culturel (ou au légendaire, ce qui après tout n’est peut-être pas si différent) et au biologique. Et il n’est pas du tout certain que cette différence supposée ait le moindre fondement biologique.

Car biologiquement l’homme et la femme sont à la fois semblables et différents.

Il y a d’excellentes raisons de penser que la différence entre les deux sexes est liée à la présence ou non de certaines hormones. Mais pour la plupart de leurs organes l’homme et la femme se ressemblent. Et pour la plupart leur vieillissement est le même.

Le vieillissement de ma voiture est lié à trois paramètres :
- Quoi que je fasse le simple fait de l’utiliser est source d’érosion, de corrosion, de dégradation ; je peux lutter contre ce phénomène, je peux protéger ma voiture mais à plus ou moins long terme rien n’y fera.
- Mais naturellement elle vieillira plus vite si je roule 50 000 km par an que si j’en fais 10 000.
- Et si j’ai deux accidents tous les ans elle vieillira encore plus vite.

De la même manière le vieillissement d’un organe ou d’une fonction est lié à trois paramètres :
- Il y a ce qui résulte de l’action du temps sur l’organe : processus cellulaires [1], anomalies de la régénération [2], apoptose [3]. C’est ce qu’on appelle communément vieillir ; pourtant dans les faits c’est le phénomène le moins important : par eemple, laissé aux seules forces de ce vieillissement, un poumon humain n’a pas de raison de poser de problème avant 140 ans, celui d’un trompettiste comme celui d’un mime.
- Il y a ce qui résulte de l’utilisation de l’organe ; et les efforts respiratoires consentis par le trompettiste vont faire que le moindre point de fragilité va se transformer en lésion plus ou moins irréversible, ce qui accélère considérablement le vieillissement.
- Et si le trompettiste fume, ou s’il accumule les bronchites, les choses iront encore plus vite.

En pratique, cela signifie que le vieillissement biologique, celui qui est lié à la simple action du temps, est un processus marginal dans le vieillissement humain : aucun poumon humain n’a jamais atteint sa date limite d’utilisation. Les deux causes de vieillissement sont le mode de vie et les aléas de l’existence. Naturellement plus on avance en âge plus les conséquences des ces deux derniers facteurs se font sentir. Mais il reste que le vieillissement naturel va bien plus vite que le vieillissement biologique. On ne meurt pas de vieillesse, on meurt de ce qu’on a fait de sa vie.

On voit donc que pour la plupart des organes le vieillissement est d’abord une affaire non point biologique mais sociale et culturelle.

Mais il y a tout de même bien un certain nombre de fonctions et d’organes qui sont influencés par la présence ou non des hormones sexuelles. C’est en cela que l’homme et la femme, biologiquement, diffèrent [4].

Les choses sont d’ailleurs mêlées d’une manière très questionnante du point de vue symbolique :
- L’absence de testostérone conduit à un développement de type féminin : il y a des hommes qui ne savent pas fabriquer la testostérone, ou qui ne savent pas l’utiliser ; ils se développent comme des femmes. On peut donc dire que la femme est un homme à qui il manque quelque chose.
- Mais en réalité la femme fabrique de la testostérone ! Simplement chez elle le processus ne s’arrête pas là, et elle s’en sert sert pour fabriquer des estrogènes. Et de ce point de vue on peut tout aussi bien dire que la femme est un homme qui a appris à faire de sa testostérone autre chose que la consommer bêtement.

Biologiquement, les hormones sexuelles ont d’abord des effets sur la reproduction et les organes sexuels ; elles ont aussi des effets annexes. Mais il vaut le peine de regarder les choses d’un peu plus près.

La testostérone est indispensable à la fabrication des spermatozoïdes et au développement des organes génitaux, donc à la fertilité.

Mais la question se complique dès qu’on aborde les « caractères sexuels secondaires » : car tout de même la moustache joue un rôle relativement effacé dans la reproduction humaine. Les « caractères sexuels secondaires » ne sont sexuels que pour des raisons culturelles : ils servent à signaler la présence de testostérone chez le porteur de moustache (et c’est si relatif que, contrairement à ce qu’on croit, il n’y a aucun rapport entre l’abondance de la pilosité et le taux de testostérone).

Par ailleurs la testostérone favorise le développement des muscles et des os, et intervient également dans le métabolisme des lipides et des glucides.

De la même façon l’estradiol est indispensable à la fabrication des ovules et au développement des organes génitaux, donc à la fertilité.

Le problème des « caractères sexuels secondaires » est encore plus délicat ; il y a des « caractères sexuels secondaires » qui sont liés à la présence d’estradiol : c’est le cas du développement mammaire [5], mais aussi de la texture de la peau ; il y en a d’autres qui sont liés à l’absence de testostérone, et c’est le cas de la voix, ou de la pilosité.

Enfin l’estradiol a un effet sur le développement des os, et joue un rôle protecteur par rapport au métabolisme des lipides et des glucides, ainsi qu’à l’hypertension artérielle. La question de ses effets sur le cerveau reste floue.

Mais alors que se passe-t-il quand on vieillit ?

Il y a un vieillissement métabolique, mais il ne se voit pratiquement pas.

Il y a dans les deux sexes une diminution de la performance sexuelle ou reproductive, avec cette différence, capitale, induite par la ménopause, qui fait de l’entrée en vieillissement un processus datable chez la femme alors qu’il est considéré comme plus progressif chez l’homme : on parle périodiquement de l’andropause, mais la réalité est que la diminution des sécrétions hormonales ches le mâle est très progressive ; il n’y a pas l’équivalent de ce saut qualitatif qu’est l’arrêt des cycles menstruels ; l’idée d’andropause semble très culturelle, et pour tout dire très féministe.

Mais l’essentiel se passe tout de même bien au niveau des « caractères sexuels secondaires ». Les conséquences observables « à l’oeil nu » sont chez l’homme une diminution de la performance physique, chez la femme une altération des structures qui supportent son pouvoir de séduction [6].

Du moins est-ce ce qu’on dit habituellement. Car disant cela que dit-on ?

On laisse entendre que l’homme n’a pas de problème avec son pouvoir de séduction. Tout de même cela demanderait nuance, d’autant plus que dans notre civilisation occidentale la performance physique n’est plus une question de vie ou de mort, et qu’elle a de fortes chances de ne plus correspondre à rien d’autre qu’à une arme de séduction. En réalité la perte du pouvoir de séduction affecte aussi l’homme : la position de ce problème est purement culturelle, elle implique avant tout le regard que l’homme porte sur le regard que la femme porte sur l’homme.

La conclusion qui s’impose à ce stade est donc que dans notre civilisation le vieillissement n’est pas un processus biologique, mais un processus social et culturel. On vieillit à proportion de ce qu’on a fait de son corps, et les marques les plus visibles portent sur la manière dont l’homme et la femme pensent leurs relations.

L’histoire la plus édifiante de ce point de vue est sans conteste celle du traitement hormonal de la ménopause.

Pendant longtemps les estrogènes, on l’a vu, ont été réputés avoir un effet protecteur contre l’ostéoporose, mais aussi l’athérosclérose, l’hypertension artérielle, le diabète, l’obésité ; à ces effets bénéfiques s’en ajoutaient d’autres, non négligeables, sur la peau, les muqueuses, la dépression et la libido ; des études datant du milieu des années 90 leur attribuaient même un effet préventif spectaculaire sur la maladie d’Alzheimer.

Dans ces conditions il n’y avait aucun doute : ne pas donner de traitement hormonal à une femme ménopausée relevait autant dire de la faute professionnelle.

On sait que depuis la problématique s’est inversée : on a publié des études montrant que le traitement hormonal est responsable d’une augmentation significative du nombre de cancers du sein, et que les prétendus effets positifs n’existent pas. Il est donc déconseillé de traiter les femmes ménopausées.

Depuis quelque temps on revient à la première proposition : il paraît que les études américaines portaient sur des femmes et des produits qui n’ont pas de rapport avec la réalité française.

Il faudrait être épidémiologiste ou endocrinologue, et de préférence les deux à la fois, pour dire s’il faut ou non traiter les femmes ménopausées. Mais le logicien, lui, relève dans cette histoire d’étranges anomalies. Et la moindre de ces anomalies n’est pas le manque d’étonnement de la communauté scientifique. Car, tout de même, l’ardente obligation du traitement hormonal était ce qu’on enseignait encore aux étudiants en gériatrie pendant les années 1990-1995. Décider qu’il fallait inverser la problématique, c’était dire qu’on avait commis une monumentale erreur statistique, et il y avait lieu avant tout de s’interroger sur la manière dont on avait pu la commettre. Il y a toujours lieu d’être circonspect devant de tels retournements de situation ; pour ne citer qu’un exemple, une étude montrait que le traitement hormonal diminuait de 90% le risque de maladie d’Alzheimer. Si cette étude était fausse, il aurait été instructif de savoir comment une erreur aussi massive avait pu être commise. Or on ne nous a rien dit sur ce point, pas plus que sur les autres effets préventifs des estrogènes naturels. Il est étrange qu’à l’époque on n’ait pas relevé ce point.

Mais il y avait bien d’autrs anomalies.

- Les études dont on nous parlait ont toutes été menées avec des estrogènes de synthèse, qui sont utilisés dans les pays anglo-saxons, alors qu’en France nous utilisions des estrogènes naturels. Il a toujours été dit que les estrogènes de synthèse n’ont aucun des effets positifs des estrogènes naturels ; et les études qui ont été menées récemment en France avec les estrogènes naturels contredisent, comme on pouvait s’y attendre, les résultats anglo-saxons ; mais on n’en a guère parlé.
- Les estrogènes augmentent le risque de cancer du sein, mais personne n’a jamais proposé une castration à une femme ayant eu un cancer du sein (alors que cette castration est un préalable à certains traitements du cancer de la prostate).
- Le risque de cancer du sein augmente, mais dans de très faibles proportions, alors que le risque de cancer du côlon, lui, baisse fortement.
- Au fond le seul chiffre intéressant serait celui de la mortalité avec et sans traitement. Ce chiffre n’a jamais été fourni.

Alors pourquoi y a-t-il eu cette levée de boucliers ?

Débarrassons-nous des évidences : D’abord le sang contaminé est passé par là, et les hommes politiques n’ont pas voulu courir le risque d’une autre affaire de santé publique ; ensuite le marché des bisphosphonates, solution alternative aux estrogènes dans la lutte contre l’ostéoporose, est incomparablement plus lucratif que celui des hormones. Reste deux choses frappantes.

La première est que les femmes, dans cette affaire, ont été priées de se soumettre aux décisions de la science, même quand, comme on l’a vu, l’argumentation de cette dernière présentait quelques failles. Certes on a bien rectifié le tir en disant que la femme resterait libre de choisir son risque, mais on voit bien qu’il s’agit là de la liberté qu’on accorde aux fumeurs.

La seconde est que le traitement hormonal de la ménopause est très dérangeant. Car la ménopause était pour tout le monde le signe de l’entrée de la femme en vieillissement. À cause de la ménopause la femme vieillissait, du moins au début, plus vite que l’homme. Et voici que le traitement hormonal permettait à la femme de vieillir moins vite que l’homme. L’eau de jouvence existait, et les hommes en étaient exclus. Cela ne pouvait durer.

Décidément, le vieillissement n’est pas d’abord une question de biologie.

Notes

[1Avec le temps l’hydratation de ma peau se perturbe.

[2Avec le temps fleurissent sur ma peau des taches, des kystes, des lésions précancéreuses.

[3De toute manière les cellules de ma peau sont programmées pour mourir un jour sans pouvoir se diviser.

[4Allons plus loin : il serait totalement exact de dire que l’imprégnation hormonale affecte en réalité la quasi totalité des organes ; mais les conséquences de ce fait sont loin d’être aussi importantes qu’on le croit.

[5Mais est-ce vraiment un caractère « secondaire » ? Dans la nature la possibilité d’allaiter est un élément fondamental de la fécondité d’une femelle.

[6Essentiellement la peau et les seins.