Cet article a été relu le 6 avril 2013

L’escarre : une maladie générale Un petit texte pour la formation des aides-soignants.

115 | (actualisé le ) par Michel

L’ESCARRE : UNE MALADIE GÉNÉRALE

L’objet de cet exposé n’est pas de décrire le traitement local des escarres. Il s’agit de rappeler quelles sont les conditions pour que les escarres apparaissent, et donc ce qu’il faut faire pour espérer les guérir.

L’escarre est une plaie de pression. Elle se crée lorsque la peau d’une partie du corps ne reçoit pas assez d’oxygène et d’énergie. On ne peut donc pas espérer refermer une escarre si on n’a pas rétabli une oxygénation normale.

Et la peau est un organe difficile à oxygéner.

L’escarre est donc une maladie qui résulte toujours de l’addition de plusieurs facteurs. On ne peut prendre en charge une escarre si on n’a pas essayé d’agir sur tous les facteurs en cause.

LE PROBLÈME CIRCULATOIRE :

Dans les artères et les veines, le sang circule parce qu’il est sous pression. On sait que la pression dans les grosses artères est de l’ordre de 120 à 140 mm de mercure (c’est la "tension" artérielle). Mais dans les petites artères la pression est beaucoup plus basse : 32 mm de mercure ; dans les capillaires elle est de 20 mm de mercure. Cela signifie que si on comprime la peau avec une pression de 20 mm de mercure le sang va cesser de circuler, et la peau va se trouver en danger : la simple pression de mes doigts l’un sur l’autre fait blanchir la peau parce que le sang n’y circule plus.

Or la peau est en permanence soumise à des pressions dangereuses. Par exemple au lit les pressions habituelles sont :
- Au sacrum 60 mmHg
- Aux talons 45
- A l’occiput 40
- Au dos 30
- Aux coudes 20
- Aux omoplates 10

Au fauteuil, les pressions sur les os des fesses sont couramment de 60 mmHg, (du moins si les pieds du malade touchent le sol : sinon il faut doubler la pression). Cela veut dire que l’auditoire d’un enseignant soumet la peau de ses fesses à une pression dangereuse. Mais alors comment se fait-il que cet auditoire ne fasse pas d’escarres ? La raison est simplement que le sujet normal présente en permanence des micro-mouvements totalement inconscients qui soulagent la peau et évitent de la mettre en danger.

Le sujet normal évite les escarres par trois grands ordres de moyens :
- Le premier, on l’a vu, est qu’il bouge, et que les zones sensibles de sa peau sont périodiquement soulagées.
- Le second est que son système circulatoire est en bon état, et que les pressions dans ses vaisseaux sont normales.
- Le troisième est que son sang est suffisamment riche.

Ceci permet de comprendre pourquoi le malade fait des escarres : pour créer une escarre, il faut plusieurs éléments.

LA PRESSION EXCESSIVE ET LE TROUBLE CIRCULATOIRE :

La première chose qu’il faut, c’est une pression ; l’escarre est une lésion cutanée qui survient par compression du réseau artériel de la peau entre deux plans durs : l’os et la surface d’appui. On n’a pas le droit de parler d’escarre si on ne sait pas dire entre quels plans durs la peau s’est trouvée comprimée. Et il n’est pas question d’espérer fermer une escarre si la peau lésée reste soumise à la même pression.

Cette pression peut avoir lieu parce que la peau est appuyée sur un plan dur contre lequel il aurait fallu la protéger. Mais c’est là une situation assez rare ; dans la quasi-totalité des situations, la raison de cette pression anormale est d’abord la défaillance du système des micro-mouvements. Si donc on veut fermer une escarre il faut comprendre pourquoi les micro-mouvements ne se produisent plus.

Et il y a là plusieurs causes à envisager :
- 1. Il peut y avoir des troubles moteurs : une hémiplégie, un coma, une chirurgie osseuse, une douleur vont limiter les mouvements et favoriser les surpressions.
- 2. Il peut y avoir des troubles sensitifs : l’une des causes des micro-mouvements est la douleur, l’inconfort d’une position trop longtemps tenue.
- 3. Mais toutes les causes de fatigue, surtout chez le sujet âgé, vont causer une diminution de la mobilité ; c’est ainsi que la fièvre, les infections, sont des situations à risque.
- 4. C’est également le cas des sédatifs, et notamment des somnifères, surtout quand on utilise des produits inadaptés, à durée de vie trop longue, comme les neuroleptiques, mais aussi les tranquillisants qui on en outre le défaut de diminuer le tonus musculaire.

S’il n’y avait pas de troubles moteurs il va de soi que le système des micro-mouvements permettrait d’éviter la survenue des escarres. Mais c’est quand il tombe en panne qu’on voit devenir dangereuses des situations qui sinon ne le seraient pas.
- 1. Séjour trop prolongé dans la même position. Mais il faut savoir qu’une escarre peut se produire en trois heures : une stratégie de posturations ne peut donc être efficace que si on peut assurer beaucoup de posturations par jour, de l’ordre de 6 à 10. Et la question se pose de savoir ce qu’il est réaliste de chercher à faire : ce qui est très efficace en service de réanimation ne l’est pas en maison de retraite ; et les demi-mesures ne donnent même pas des demi-succès.
- 2. Pressions dangereuses par défaut de position : c’est le cas de la position assise au fauteuil lorsque les pieds ne sont pas au sol ou lorsque le dossier est incliné. C’est le cas des lésions provoquées par des draps froissés ou des corps étrangers dans le lit (tubulures à perfusion laissées dans le dos du malade, faux plis, miettes...)

Le fauteuil est aussi dangereux que le lit pour ce qui concerne le risque d’escarres. Qui plus est il n’y a guère de moyen de prévention : la pression critique à partir de laquelle les artérioles se ferment est, on l’a vu, de 32 mm de mercure. Au fauteuil les pressions atteignent couramment 300 mm de mercure ; un bon coussin anti-escarres parvient à ramener la pression à 120 mm de mercure. On est très loin de ce qui permettrait une véritable prévention.

Cette question des micro-mouvements est centrale. Mais il y a naturellement d’autres facteurs à prendre en compte, car ils vont augmenter le risque dans des proportions énormes.

Le risque d’escarre est augmenté si la pression dans les artérioles est diminuée. Cela se verra par exemple en cas de trouble circulatoire : l’insuffisance cardiaque, bien sûr, mais aussi la déshydratation, l’anémie, ou les troubles locaux : maladie veineuse, phlébite, artériopathie (mais rappelons qu’une plaie chez l’artéritique est d’abord une plaie artérielle et non une escarre), œdèmes, mais aussi hyperviscosité sanguine dans les cancers ou les hémopathies. Enfin il faut se souvenir que certaines maladies engendrent leurs propres troubles circulatoires, et c’est par exemple le cas du diabète.

Mais si le trouble de circulation est essentiel, il faut encore que le sang soit de bonne qualité.

LE DÉFICIT D’OXYGÉNATION :

Ce qui compte pour la survenue des escarres, c’est que la peau n’est pas assez bien nourrie. Elle ne l’est pas parce que le sang circule mal, mais le résultat serait le même si le sang était trop pauvre. Pour une pression donnée, les dégâts seront d’autant plus importants et précoces que le sang apportera moins de principes actifs. Et le principe essentiel est l’oxygène.

De ce point de vue les situations à risque d’escarre sont donc l’anémie (puisque le sang est moins apte à transporter l’oxygène) et tous les troubles respiratoires, infections, insuffisance cardiaque ou respiratoire, sédatifs...

LE DÉFICIT ÉNERGÉTIQUE :

L’oxygène ne sert qu’à utiliser les calories dont l’organisme a besoin pour fonctionner et pour se réparer. Toutes les situations de déficit calorique sont donc à risque d’escarres. Ce sont les carences d’apport (anorexie, troubles digestifs) et les excès de consommation : stress, état infectieux, cancers, états inflammatoires...

Il ne faut pas se méprendre : le texte est bref parce que les choses sont très vite dites. Mais la question nutritionnelle est la plus importante de toutes, et on peut dire sans exagération qu’il y a deux sortes d’escarres : celles des malades qui mangent, et qui se fermeront de toute manière ; et celles des malades qui ne mangent pas, et qui mourront de toute manière. Ajoutons sur ce point que le soignant doit ici perdre de mauvaises habitudes et s’imposer un regard de technicien : la question n’est pas de savoir si le malade mange "tout de même un peu", ou "mieux qu’hier", ou "pas si mal compte tenu de ce qu’il vient de subir" ; elle est de savoir s’il absorbe suffisamment de calories.

LES CAUSES LOCALES :

Il ne faut pas s’en exagérer l’importance : l’escarre est une maladie générale, et si le malade fait des escarres c’est parce qu’il est en mauvaise santé. Mais l’état général explique que le malade fait des escarres. La situation locale explique il les fait. Il faut donc dire un mot des causes locales.

L’escarre est un processus qui va de dedans en dehors : le tissu le plus fragile est le muscle, le plus solide est la peau. Quand la peau se nécrose les dégâts musculaires sont déjà beaucoup plus importants. Cependant la qualité de la peau reste un élément à considérer :
- L’épaisseur : la peau est plus vulnérable chez le sujet maigre.
- Le vieillissement, notamment à cause de la perte d’élasticité.
- Les traitements intempestifs, notamment les corticoïdes.
- La macération, qui peut entraîner des réactions vasculaires locales avec augmentation des besoins en oxygène.

LES QUESTIONS À SE POSER :

Dans ces conditions il faut retenir que l’escarre n’est que le signe cutané d’une maladie plus générale. Tout comme il ne viendrait à l’esprit de personne de traiter une crise d’urticaire avec des pommades, de même le traitement local des escarres n’est pas en mesure à lui seul de résoudre le problème posé. Il ne sert à rien de traiter une escarre si on ne traite pas l’ensemble des facteurs qui ont contribué à sa formation.

L’escarre est donc une maladie, et comme toute maladie elle demande une démarche diagnostique et thérapeutique.

S’agit-il d’une escarre ?

Pour parler d’escarre il faut deux conditions :
- Il faut que ce soit une plaie de pression. La peau malade a été comprimée entre un plan osseux et un plan dur il faut donc être capable de dire lesquels.
- Il faut que le mécanisme essentiel soit la pression, ce qui suppose qu’on ait éliminé d’autres diagnostics qui demanderaient une prise en charge spécifique : plaie artéritique, plaie diabétique, ulcère veineux, érosion cutanée staphylococcique, lésion liée à une maladie dermatologique...
Rappelons cependant que les données de la littérature sont contradictoires sur ce point : dans les pays anglo-saxons, on s’intéresse avant tout à l’existence d’une plaie et non à sa cause, et toutes les situations énumérées ci-dessus sont des escarres ; le problème est que leur traitement sera très différent.

Pourquoi y a-t-il eu une escarre ?

On ne peut répondre à cette question que moyennant une démarche rigoureuse :
- 1.Existence d’une cause locale : c’est la pression excessive (plan trop dur, position trop prolongée, défaut de posture).
- 2. Limitation de la motricité.
- 3. Troubles sensitifs.
- 4. Toutes les causes de fatigue.
- 5. Ordonnance suspecte : sédatifs, myorelaxants, corticoïdes, diurétiques...
- 6. Trouble circulatoire : insuffisance cardiaque, déshydratation, anémie, maladie veineuse, phlébite, artériopathie, oedèmes, diabète.
- 7. Troubles respiratoires.
- 8. Dénutrition par carence d’apport (anorexie, troubles digestifs) ou excès de consommation.

Si ces troubles ne sont pas corrigés, l’escarre ne se fermera pas. Elle le fera d’autant moins que le processus de cicatrisation de l’escarre est lui-même un gros consommateur d’énergie. Il faut un très bon équilibre calorique, il faut une très bonne oxygénation pour guérir une escarre. On pourrait presque dire que la condition pour fermer une escarre est de mettre le malade dans un état où il n’en aurait pas fait s’il y avait été.

L’escarre n’est pas une plaie, mais une maladie. La plaie n’est que l’expression d’un désordre général. Ce n’est pas la plaie qui va tuer le malade, c’est le désordre qui l’a fait apparaître. Traiter une escarre sans traiter sa cause n’a aucun sens.

LA PRÉVENTION DES ESCARRES :

Le problème de la prévention des escarres demande à être abordé avec réalisme.

Il faut d’abord dire que la survenue d’une escarre est imprévisible : on a vu plus haut qu’il suffit de deux heures d’une pression normale pour déclencher une escarre chez le sujet affaibli. Autant dire qu’on ne peut éviter les escarres qu’à condition de pouvoir faire une posturation toutes les deux heures, ce qui suppose des moyens en personnel dont on dispose rarement.

Il faut ensuite rappeler que la survenue d’une escarre n’indique pas une faute de soins. Par contre le nombre d’escarres est un indice du bon fonctionnement du service. Une escarre n’est pas une faute, beaucoup d’escarres témoignent d’un mauvais fonctionnement. De ce point de vue il faut rappeler les chiffres ; les escarres touchent :
- 3% des malades atteints d’une pathologie aiguë.
- 45% des malades chroniques.

60% des malades provenant d’un service de court séjour présentent des escarres.

La prévention des escarres par massage n’est plus considérée comme efficace :
- La prévention systématique n’évite pas les escarres.
- Le massage des rougeurs aggrave la situation locale.

Finalement il y a bien peu de choses validées, et les textes qui en parlent attribuent aux actes de prévention d’escarres des vertus relationnelles... les huiles et autres pommades n’ont pas d’effet suffisant pour justifier leur coût.

Les gestes de prévention se répartissent donc en trois groupes : ceux qui sont dangereux, ceux qui ne servent à rien et ceux que nous ne pouvons pas faire.

La détection des patients à risque :

Elle est très importante : c’est en agissant sur les facteurs généraux qu’on peut espérer éviter les es- carres.

Norton a établi une échelle de risque, comprenant 5 items cotés de 0 à 4 :

- 1 ÉTAT GÉNÉRAL : bon, moyen, mauvais, très mauvais (ces cotations sont effectuées en fonction du nombre de facteurs de risque : 0, 1, 2, plus de 2).
- 2 ÉTAT MENTAL : bon, apathique, confus, inconscient.
- 3 ACTIVITÉ : autonome sans aide, autonome avec aide, assis, alité.
- 4 MOBILITÉ AU LIT : totale, diminuée, très limitée, immobile.
- 5 INCONTINENCE : aucune, parfois, urinaire, totale.

Un score supérieur à 14 indique un risque important.

Cette échelle vaut ce que valent toutes les échelles : elle sert plus à faire penser qu’à mesurer réellement. L’application de l’échelle de Norton garantit qu’on s’est posé le problème, elle ne remplace pas une bonne observation.

D’autre part il faut la commenter.

L’item 1 permet de repérer les malades graves.

Les items 2,3,4, ne servent qu’à détecter les malades qui vont présenter un déficit de micro-mouvements ; rappelons que le terme « confus » est pris ici dans son sens anglais ; il faudrait le remplacer par « somnolent ».

L’item 5 pose le problème de la continence. Ce point doit être détaillé :
- 1. L’incontinence urinaire est un risque à elle seule à cause de la macération.
- 2. Mais si on sait lutter contre l’incontinence urinaire on ne sait pas lutter contre l’incontinence fécale.
- 3. Si on pose une sonde urinaire, on diminue le risque de macération mais on crée une infection chronique qui aggrave l’état général.
- 4. La bonne stratégie est donc de pratiquer des changes fréquents.
- 5. L’échelle de Norton vise à détecter les patients à risque. Certes l’incontinence est un risque mais il se trouve surtout que les patients à risque sont souvent incontinents.

Il existe d’autres échelles, notamment celle de Braden. Cette dernière a la réputation d’être mieux adaptée au problème de la personne âgée ; mais elle a l’inconvénient d’être un peu plus lourde à mettre en œuvre.

Les matériels de prévention :

Même si d’incontestables progrès ont été réalisés, il n’y a pas autant de choses qu’on le dit à attendre des matériels de prévention.
- D’abord parce que la qualité est coûteuse.
- Ensuite parce que les matériels de prévention ne doivent pas être utilisés pour économiser le personnel.
- Enfin parce qu’il y a quelque chose de tristement surréaliste à voir les sommes englouties dans les matelas anti-escarres alors que l’enjeu essentiel se situe à la cuisine.

Les matelas anti-escarres agissent en améliorant la répartition des pressions et en diminuant les surpressions dans les zones sensibles. Il faut cependant savoir :
- Qu’ils sont loin d’annuler le risque : ils ne font que le diminuer.
- Qu’ils n’ont pas une grande efficacité en traitement. Il faut donc décider de leur emploi avant l’apparition des lésions : cela se fait à l’entrée du malade, ou lors de son aggravation.

Les coussins anti-escarres n’ont pas suffisamment d’efficacité pour qu’on rêve dessus. Ils n’ont d’intérêt que pour corriger un siège trop dur, ce qui n’est pas le cas des fauteuils que nous utilisons.

Par contre il y a beaucoup à attendre de la bonne posturation au fauteuil : il faut absolument obtenir que le malade ait le buste vertical, les cuisses horizontales, les jambes verticales, les pieds au sol ; un dossier ne doit jamais être incliné [1].

Les décharges sont très importantes ; on peut en proposer surtout deux types :
- La décharge de talons au lit : elle est décidée dès que le risque d’escarres semble important. Elle se compose d’une plaque de mousse assez mince ( 8 cm suffisent, il n’est pas nécessaire de supprimer le contact mais simplement de le diminuer), et suffisamment large pour ne pas mettre les genoux en porte-à-faux. Elle est toujours bordée dans le lit (sinon le malade va la remonter) ; elle est toujours accompagnée d’un cerceau ; elle n’est pas utilisée si le malade ne la tolère pas : mal mise elle serait plus nuisible qu’utile.
- La décharge de sacrum : c’est la posturation en canoë, [2].

Mais il faut se souvenir que la mise en place d’une décharge suppose qu’on a diagnostiqué une situation à risque, ce qui signifie que toutes les autres mesures ont été prises.

A suivre : prise en charge de l’escarre en institution

Notes

[1On incline le dossiers des fauteuils parce qu’on espère, le faisant, améliorer le confort du résident. Mais on fait courir alors un double danger :
- Le premier est de compromettre le maintien du sens de la verticalité.
- Le second est de créer des zones de cisaillement de la peau, qui augmente le risque d’escarre.
Cela ne résout certes pas la question du confort. Mais celle-ci ne peut être résolue qu’en réfléchissant, et ce n’est pas simple, aux moyens de ne pas laisser trop longtemps les résidents assis dans leur fauteuil.

[2décrite notamment par Y. Gineste