Cet article a été relu le 6 septembre 2012

La perfusion sous-cutanée

187 | (actualisé le ) par Michel

LA PERFUSION SOUS-CUTANÉE

La perfusion sous-cutanée est une technique déjà ancienne, dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Elle ne doit la désuétude dans laquelle elle est tombée qu’aux progrès technologiques relatifs aux matériels de ponction veineuse, qui ont pu faire croire que les possibilités de la voie intraveineuse étaient inépuisables.

Ce n’est plus le cas dans certaines circonstances, notamment en fin de vie où le capital veineux peut être devenu inutilisable. La voie sous-cutanée retrouve alors son intérêt, pour sa simplicité, son efficacité et son innocuité.

PRINCIPES D’UTILISATION :

La perfusion sous-cutanée est basée sur un constat clinique : la plupart des drogues et solutés injectés dans le tissu cellulaire sous-cutané semblent être résorbés à peu près comme s’ils avaient été injectés par voie intraveineuse ; toute la quantité injectée se retrouve dans le secteur vasculaire [1] . Cette constatation permet d’administrer ainsi un très grand nombre des médicaments, et notamment ceux qui sont couramment utilisés dans les derniers temps de la vie.

L’administration sous-cutanée d’une quantité notable de liquide provoque un œdème localisé au niveau de la jonction entre l’hypoderme et le tissu cellulaire sous-cutané, ce qui aboutit à l’équivalent d’une poche ; physiologiquement tout se passe alors comme si cette poche était presque directement raccordée au compartiment sanguin.

TECHNIQUE DE PERFUSION :

Il importe de choisir un site de ponction commode et indolore. Un site indolore est notamment une zone ou la peau a une épaisseur à peu près constante et est facilement décollable des plans profonds, et où il existe un espace de diffusion important. Un site commode est une zone facile d’accès, et qui évite d’entraver sa mobilité. Enfin on doit opter pour un site que ne gêne pas les examens cliniques.

Pour ces raisons on peut sélectionner, dans l’ordre :
- La zone sous-claviculaire droite.
- La zone sous-claviculaire gauche.
- La paroi abdominale antérieure.
- La face antérieure des cuisses.

On se méfiera cependant de la paroi abdominale, souvent très mince chez le sujet cachectique, et peu commode chez tout patient dans la mesure où le matériel peut gêner l’examen de l’abdomen. En fait la meilleure voie est la sous-claviculaire droite, dans laquelle on accède facilement au montage sans déranger le malade, et qui ne gêne pas l’auscultation cardiaque ; les seuls problèmes sont les suites d’irradiation (et les chambres implantables, mais on n’a pas tous les jours besoin de mettre une voie sous-cutanée quand on a un Port-A-Cath).

Le plus simple est d’utiliser une épicrânienne à ailettes de calibre 23 ou 25, montée sur une seringue remplie de soluté. Après désinfection avec un agent non colorant, on pince la peau assez largement afin de réaliser un gros pli cutané ; l’aiguille pénètre dans la peau sous un angle de 30°, biseau vers le haut, jusqu’à la garde. On vérifie que la peau a bien été traversée : l’extrémité de l’aiguille doit pouvoir bouger de droite à gauche et de la surface vers la profondeur. On place immédiatement un petit tampon de coton sous les ailettes pour maintenir l’angle de pénétration, et on fixe le toute, idéalement par une plaque adhésive transparente. La fixation doit en effet éviter la rotation de l’aiguille autour du point de ponction (risque de douleur, d’hématome), ainsi que le retrait spontané de l’aiguille ; cependant l’application d’adhésif ne doit pas gêner la surveillance du point de ponction. Il faut surtout veiller à ce que le pansement ne plaque pas l’aiguille contre la peau, ce qui ferait perdre l’angle de 30° : un bon pansement de sous-cutanée est laid.

Un nombre croissant d’équipes remplace l’épicrânienne par des cathéters courts. Il semble que cela allonge la durée de vie du point de ponction. C’est possible ; En théorie le défaut des épicrâniennes à ailettes est d’exposer au risque de piqûre accidentelle du soignant en cas de retrait accidentel ; par contre le défaut des cathéters est le risque de coudure, qui entrave bien entendu l’injection ; par ailleurs on ne voit pas comment un cathéter permettrait de maintenir l’angle de pénétration à 30°, mais il se peut que l’importance de cet angle soit surestimée. Bref le débat reste ouvert.

Très souvent les premiers instants d’utilisation de la sous-cutanée sont désagréables : c’est qu’il faut créer un début de clivage entre la peau et le tissu sous-jacent [2], sans lequel la première journée de perfusion serait marquée par une irritation locale avec prurit, voire douleurs. On peut :
- Se contenter de le savoir, et ne pas prendre cela pour une intolérance.
- Procéder au clivage avec du sérum salé.
- Procéder au clivage avec 2 ml de lidocaïne à 1% diluée dans 2 ml de sérum bicarbonaté à 1,4% (ceci afin de prévenir les irritations engendrées par l’acidité de la lidocaïne.
- Procéder au clivage avec de la hyaluronidase.

Ceci fait le système est en place.

SURVEILLANCE DU POINT DE PONCTION :

La surveillance du point de ponction est quotidienne. On vérifiera la position de l’aiguille et l’état de la peau autour d’elle. L’intolérance se manifeste par une rougeur au point de ponction, rarement accompagnée de douleurs ou de démangeaisons. La seule mesure à prendre est le changement de site d’injection. Cela dit il faut se méfier : la plupart du temps le prurit n’est lié ni aux drogues ni au sparadrap mais simplement au fait qu’on a omis de créer le clivage entre la peau et les tissus sous-jacents ; dans ce cas il disparaît en 24 heures. S’il n’y a pas d’anomalie il n’y a pas lieu de faire quoi que ce soit ; si on veut changer le pansement les soins se résument à un nettoyage à l’alcool suivi éventuellement d’une application d’éther. La seule difficulté est de ne pas déplacer l’aiguille.

En pratique on sera souvent surpris de constater qu’une aiguille correctement placée sans faute d’asepsie est parfaitement tolérée pendant une période pouvant aller jusqu’à deux ou trois semaines...

Quand on utilise la sous-cutanée de manière intermittente, il arrive que l’aiguille se bouche ; il est rare que ce ne soit pas réversible en injectant sous légère pression 0,5 ml de sérum salé ; il n’y a guère lieu de proposer l’héparine.

UTILISATION DE LA VOIE D’ABORD :

La voie d’abord ainsi créée peut être utilisée pour effectuer une réhydratation (perfusion sous-cutanée proprement dite), ou pour pratiquer des injections intermittentes sans avoir à ponctionner le malade à chaque fois.

On a du mal à se faire une idée précise de ce qui peut être administré par cette voie. La sous-cutanée a ses partisans aveugles et ses détracteurs farouches. Toutes les indications et contre-indications demandent à être vérifiées. Ce qui par contre n’est guère discuté c’est que la résorption des drogues administrées par cette voie est excellente, meilleure que par voie intramusculaire.

Les solutés :

Tout le monde s’accorde à dire que l’administration sous-cutanée de sérum salé ne pose aucun problème. On peut souvent ajouter sans inconvénient des électrolytes (et notamment des doses filées de KCl), à la seule condition de ne pas aboutir à une hypertonie excessive (source de douleurs).

Le sérum glucosé est plus controversé ; cela est dû en partie à la mauvaise réputation de la « perfusion qui passe à côté » ; mais il ne faut pas comparer ce qui se passe dans un bras et ce qui peut se passer dans un vaste espace extracellulaire. En pratique il semble que le glucosé à 5% pose peu de problèmes, mais son indication est restreinte, surtout en fin de vie. Il en va de même du sérum bicarbonaté, qui semble utilisable mais demande de la prudence ; d’ailleurs les solutés à pH trop acide ou trop alcalins vont être douloureux. Naturellement les macromolécules ne sont efficaces que dans la lumière vasculaire.

La question qui se pose est celle des quantités. Il est facile d’injecter 1 à 1,5 l d’eau par 24 heures ; on notera toutefois qu’en fin de vie 750 ml suffisent à assurer le confort d’un malade non fébrile, et qu’une légère déshydratation est souvent bienvenue. Mais il faut considérer que la perfusion sous-cutanée n’aboutit qu’à créer un œdème, et que cet œdème n’a d’intérêt thérapeutique que quand il est résorbé. Le facteur limitant de la perfusion sous-cutanée n’est pas le débit de perfusion mais la vitesse de résorption de l’œdème, et il ne sert à rien de perfuser sur un même site plus d’un litre par 24 h. Ajoutons qu’un malade qui aurait besoin de plus de deux litres aurait vraisemblablement besoin d’une prise en charge en milieu spécialisé. À ces posologies, l’immense intérêt de la perfusion sous-cutanée est de pouvoir être administrée la nuit, préservant au mieux l’autonomie du malade.

Les molécules :

Là aussi il est difficile de se faire une idée de ce qui pose problème. En pratique la règle est que dans la liste des produits utilisés en fin de vie il n’existe pas de drogue utilisable par voie intraveineuse qui ne puisse l’être par voie sous-cutanée. Les opinions défavorables qui courent çà et là doivent beaucoup au fait qu’on a omis de créer le clivage à la lidocaïne, et qu’on attribue à des réactions d’intolérance ce qui n’est que la douleur du clivage. Il faut rappeler que la pharmacocinétique de cette voie n’est pas très éloignée de la voie i.v., ce qui implique de la même prudence (morphine par exemple). De plus, si la résorption par voie s.c. n’est tout de même pas exactement aussi bonne que la voie i.v., elle n’est pas non plus aussi régulière, ce qui pourrait exposer à des surdosages.

On peut ainsi injecter :
- Des antalgiques : morphine, nalbuphine, buprénorphine, nefopam, péthidine, fentanyl, méthadone ; des antispasmodiques (Butylhyoscine, butylbromure de scopolamine) ; des salicylés. La question du paracétamol est encore en chantier : on lui a longtemps reproché d’occasionner des douleurs au point d’injection ; en fait il semble que ce ne soit pas le cas, si du moins on prend la précaution de perfuser lentement (1/2 heure) ; par contre l’efficacité est alors à vérifier.
- La kétamine.
- Des corticoïdes : on leur impute un risque de nécroses cutanées qui semble bien rare : des essais ont montré que des doses de 120 mg de méthylprednisolone sont sans danger. En cas de crainte, on pourra diluer dans 125 ml de sérum salé. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont douloureux, mais on peut passer le piroxicam, le kétoprofène.
- De l’atropine, de la scopolamine, de l’adrénaline, la naloxone, la flumazénil.
- Des sédatifs : clorazépate, diazepam, clonazepam (mais ces deux derniers sont souvent douloureux), midazolam, flunitrazépam ; halopéridol, chlorpromazine (mais cette notion est discutée), lévomépromazine, hydroxyzine, prométhazine, phénobarbital.
- Des antidépresseurs : la clomipramine est possible mais mal tolérée ; par contre l’amitriptyline semble bien tolérée, tout comme le citalopram.
- Le métoclopramide, l’ondansétron, la ranitidine, la cimétidine, l’oméprazole, l’alizapride.
- L’octréotide.
- Le furosémide, la mexilétine, la néostigmine.
- Le thiocolchicoside.
- Le valproate.
- Le clodronate.
- Des antibiotiques, notamment la benzylpénicilline, l’ampicilline, l’amoxicilline (avec la réserve mentionnée ci-dessus en ce qui concerne l’acide clavulanique), le céfotaxime, la teicoplanine, la péfloxacine, tous les aminosides, le thiamphénicol ; certains produits semblent douloureux, au moins chez certains patients [3] ; le métronidazole est possible mais mal toléré localement.
- Le 5-fluoro-uracile.
- Des essais ont même été faits avec des solutions d’acides aminés.

Le développement de la perfusion sous-cutanée sera le fait des praticiens : il n’existe guère de volonté de recherche approfondie sur le sujet. Mais développer la perfusion sous-cutanée suppose qu’on procède à ce qui s’apparente à des essais thérapeutiques, ce qui imposerait de procéder au recueil du consentement éclairé, etc. Il y a là une difficulté importante, que chacun devra considérer.

Cette remarque étant faite, il faut distinguer l’efficacité et la tolérance. D’une manière générale en ce qui concerne la tolérance tous les produits pour lesquels le Vidal ne mentionne pas "i.m. profonde", ou "i.v. stricte" peuvent être essayés sans danger ; au besoin on pourrait faire l’essai avec quelques gouttes. Il reste à prouver d’autre part que la tolérance locale est la même pour tous les patients.

Toujours s’agissant de la tolérance, il faut considérer deux autres points au moins :
- Il y a la question des solvants : l’eau expose au risque de soluté hypotonique, avec une tolérance diminuée ; peut-être faudrait-il privilégier le NaCl.
- Il y a surtout la question des mélanges : le risque d’intolérance croît avec le nombre de molécules injectées simultanément, ce qui fait que les mélanges complexes souvent utilisés en soins palliatifs posent des problèmes fréquents (mais on oublie trop également le risque d’interactions physico-chimiques dans la seringue).

La question de l’efficacité est plus délicate : elle suppose pour être tranchée une étude pharmacocinétique et des moyens relativement lourds, ce qui supposerait que de vastes études soient décidées. Pour le moment on est donc souvent réduit à des raisonnements simplistes et des supputations :
- Un produit qui ne serait pas résorbé devrait s’accumuler localement.
- L’efficacité peut s’apprécier grossièrement avec les seules armes de la clinique.

PRÉCAUTIONS ET LIMITES :

Il n’est pas nécessaire de rincer la tubulure après chaque injection. L’héparinisation serait intempestive. Par contre il convient de veiller à la propreté absolue de l’ensemble du système.

Il faut aussi informer l’entourage que la perfusion va engendrer un œdème : la voie sous-claviculaire notamment va créer un gonflement de la base du cou qui ne menace pas la fonction respiratoire... De la même manière il arrive chez un certain nombre de femmes qu’une perfusion sous-cutanée en vois sous-claviculaire passe dans le sein ; cet incident est sans danger, mais il est imprévisible.

La voie sous-cutanée ne permet pas d’utiliser tout, ni toutes les quantités. Cependant cette limite n’est pas perceptible dans les situations de fin de vie. Par contre le collapsus cardio-vasculaire est probablement une limite : l’effondrement de la perfusion tissulaire entrave la résorption des médicaments (la même observation vaut sana doute pour la voie sublinguale). Mais là encore cette limite ne pose guère de problème pratique.

Notes

[1Cette impression appelle trois remarques :
- La première concerne la pharmacocinétique, car il y a malheureusement assez peu d’études ; celles qui sont disponibles plaident en faveur d’une bonne résorption.
- La seconde concerne certaines molécules ; par exemple il existe un doute sur la résorption de l’acide clavulanique ; mais le clinicien ne comprend guère pourquoi, si l’acide clavulanique ne se résorbe pas, on ne le voit pas s’accumuler.
- La troisième est que, dans la pratique, l’efficacité clinique semble au rendez-vous ; sur ce point les études sont nettement plus nombreuses.

[2Remarquons que nous savons très peu de chose sur ce qui se passe réellement cette notion de clivage est importante du point de vue du bon sens ; il reste à prouver qu’elle correspond à une réalité

[3C’est notamment le cas du céfotaxime