L’affaire de Bayonne Sur un autre fait d’actualité

10 | par Michel

Le 12 août dernier, un médecin de l’hôpital de Bayonne a été mis en examen dans le cadre d’une affaire d’euthanasie. Y a-t-il moyen d’en penser quelque chose ?

Les euthanasies ont été dénoncées par le personnel du service où ce médecin travaillait. Voilà qui devrait rappeler à la prudence les tenants du discours, si souvent colporté, selon lequel ce sont les médecins qui s’arc-bouteraient sur une attitude hostile à l’euthanasie, tandis que les infirmiers et aides soignants, plus proches du malade, y seraient favorables. D’un autre côté on est bien obligé de noter que le médecin impliqué avait perdu ses galons de chef de service : il y a à cela bien des explications possibles, mais on ne peut exclure un règlement de comptes (cependant le médecin semble avoir reconnu les faits).

On croit comprendre que les personnes sur lesquelles ces actes ont été commis étaient des personnes âgées en fin de vie et qui étaient en attente d’une place en soins palliatifs. Il s’agit donc, sauf erreur de pronostic toujours possible, de malades à l’extrême fin de leur évolution. Il faudrait cependant peser ce qu’on entend par en attente d’une place en soins palliatifs. En effet quand un malade relève de soins palliatifs et que la prise en charge a été correcte la fin de vie le plus souvent s’anticipe, au point que (et pourtant il faudrait débattre sur ce sentiment) la plupart des équipes tiennent pour un échec absolu le fait que le malade se retrouve aux Urgences ou, pire, y meure. Dans ces conditions il est statistiquement étrange que la même situation se reproduise plusieurs fois en peu de temps, et il faudrait préciser de quoi on parle. Ou se demander ce qui n’a pas été dans la prise en charge pour qu’on soit pris ainsi au dépourvu.

Nous n’avons donc pas beaucoup d’éléments, et encore moins de preuves de ce qui s’est passé. Mais cela importe-t-il tellement ? D’abord il convient de poser que, quels que soient les tenants et aboutissants d’une telle affaire, il ne saurait être question de porter quelque jugement que ce soit sur l’homme. Sauf révélation extraordinaire (et peu vraisemblable) il s’agit de quelqu’un qui a cru faire son devoir. Ensuite, nous pouvons toujours essayer de faire ce que tous les commentateurs ont fait : parler sans savoir, en considérant l’ensemble des données disponibles comme constituant un cas d’école sur lequel on peut réfléchir.

Or il y a quelques points au moins dont on n’a guère parlé. Et le simple fait qu’on ait réussi à n’en pas parler est à soi seul une anomalie sidérante.

Le premier de ces points concerne la souffrance des patients. De quoi étaient-ils atteints ? Qu’en était-il de leur douleur ? Comment l’avait-on évaluée ? Quels traitements avaient été appliqués ? Quels étaient les autres inconforts ? Avait-on fait venir l’équipe de soins palliatifs ? Ceci présente un certain intérêt si on veut bien se souvenir que les militants pro-euthanasie s’appuient sur la nécessité de mettre fin à des « souffrances insupportables ». On ne dit pas ici que ces malades n’étaient pas en souffrance, on s’étonne que l’avocat du médecin ne se soit pas empressé d’utiliser l’argument s’il pouvait le faire.

Le second est que le médecin semble avoir agi seul. C’est là une attitude totalement inadaptée, et pour tout dire assez choquante : s’il est une règle de base dans ce domaine, c’est que l’évaluation de la douleur, des inconforts, de la souffrance est un travail d’équipe, dès lors que la situation cesse d’être simple, et dès lors surtout que le malade n’est pas en état de s’exprimer (par exemple il existe des grilles d’évaluation de la douleur chez le malade qui ne communique pas ; la condition absolue pour pouvoir les utiliser est de le faire à plusieurs). Du coup on peut dire ceci :
- Que le médecin ait décidé de pratiquer des euthanasies l’expose à des sanctions pénales (très théoriques : rappelons que depuis bien longtemps on n’a pas vu en France un médecin condamné à une peine effective pour un tel motif). On peut tout à la fois combattre ce choix et respecter celui qui l’opère.
- Mais il n’a pas respecté la loi du 22 avril 2005, qui lui impose, avant de prendre une décision éthique dans une situation de fin de vie, de recueillir l’avis d’un confrère. Il ne s’agit donc nullement d’une situation où la « loi Léonetti » était prise en défaut, il s’agit d’une situation où elle n’a pas été appliquée.
- Et peut être plus encore, le fait d’avoir méconnu (si ce qu’on nous dit est vrai) les principes les plus élémentaires d’évaluation de la souffrance serait une faute professionnelle.

Le troisième point est que, toujours si les informations sont exactes, les malades avaient en commun d’avoir des troubles de la conscience ; en d’autres termes il s’agissait de malades dans un coma plus ou moins profond. C’est bien pour cela que se pose la question de l’évaluation précise de leur souffrance ; mais se pose plus encore la question de leur volonté.

Le résultat est que ces euthanasies ont été effectuées sur des malades qui n’avaient rien demandé. Or on ne voit guère que deux types de situations posant le problème de l’euthanasie :
- La situation du malade qui la demande.
- La situation du malade qui n’a certainement pas les moyens de la demander mais dont le niveau de souffrance est manifestement inacceptable.

On passe sous silence toutes ces situations indécidables où on ne sait très bien ni ce que le malade est en état de demander ni quel est son niveau de souffrance (mais que ferait-on si on disait que dans ces cas la prudence commande de mettre un terme à ces vies ?).

Redisons-le : il ne s’agit pas de faire le procès d’un homme, cela n’est d’ailleurs tout simplement pas notre affaire. Il s’agit de raisonner sur les faits qu’on nous présente. Et les faits qu’on nous présente décrivent une situation de dérapage total.

Il y a encore un quatrième point à examiner. C’est celui de la technique utilisée. Le médecin recourait en effet à l’association d’un hypnotique d’action rapide et d’un curarisant. Cela n’a rien de mystérieux : c’est une formule classique, notamment utilisée en Belgique pour les euthanasies légales. Sans vouloir entrer d’emblée dans la polémique, il faut observer que c’est aussi la formule utilisée pour les exécutions capitales aux États-Unis ; de quoi renvoyer plus d’un zélateur de l’euthanasie à ses incohérences.

Mais à quoi servent ces produits ?

L’hypnotique sert évidemment à faire perdre conscience au malade. Il faut cependant se demander pourquoi le médecin l’a utilisé : car de deux choses l’une : ou les malades étaient inconscients, et on n’avait nul besoin de leur faire perdre conscience, ou ils ne l’étaient pas et il devenait impératif de chercher à recueillir leur avis, et en toute hypothèse de nuancer le pronostic fatal à court terme qui semble avoir été posé. Et on ne peut nullement se tirer d’embarras en prétendant que l’hypnotique était administré à titre systématique pour assurer la perte de conscience, parce qu’une des difficultés de ces produits est précisément de mesurer leur efficacité dans un cas donné, ce qui renvoie encore à la question de l’évaluation. La conclusion est donc évidente : le médecin n’a pas évalué l’état de conscience initial des patients, et il n’a pas davantage évalué l’efficacité de son hypnotique, car s’il avait su faire l’un il aurait fait l’autre.

Quant au curare, il a pour effet de réaliser une paralysie de tous les muscles. Les bourreaux américains l’utilisent pour garantir que le supplicié ne bougera pas, assurant ainsi que le spectacle de l’exécution restera agréable à ceux qui le regardent. La technique de l’exécution capitale comporte trois étapes :
- L’hypnotique pour que le supplicié ne voie rien (et on sait que ce n’est pas si simple).
- Le curare pour que le public ne voie rien.
- Le chlorure de potassium pour déclencher un arrêt cardiaque.

Du point de vue médical, cet empilage de drogues n’a aucun sens : le chlorure de potassium est très efficace, mais il va de soi qu’il suffirait d’une dose massive de curare pour entraîner une paralysie durable des muscles respiratoires, et donc une asphyxie très rapidement mortelle. De même tous les hypnotiques sont dépresseurs respiratoires, de sorte que là aussi une dose massive provoque la mise en sommeil du centre respiratoire, par un mécanisme analogue à celui de l’overdose. La même observation s’applique naturellement aux euthanasies légales : pourquoi deux produits (on n’utilise pas de chlorure de potassium, justement parce que les deux premières drogues suffisent) quand un seul, donné à doses convenables, rendrait le même service ? Cela conduit bien vite à s’intéresser aux aspects symboliques de la procédure.

L’intérêt du curare est son action très rapide et progressive : la détente musculaire survient sans à-coups, le corps s’immobilise sans secousses, en somme le malade apparaît mort avant même de l’être. Ce ne serait pas le cas si on utilisait un hypnotique à très fortes doses : l’arrêt respiratoire survient, certes, mais après une phase plus ou moins longue de ralentissement et d’irrégularité. Cela n’a aucune importance pour le malade : la perte de conscience précède toujours le trouble respiratoire (et ce trouble provient non par impossibilité de respirer, comme dans le cas du curare, mais par perte du besoin de le faire) ; par contre cela présente un intérêt majeur pour les personnes qui assistent à la scène, et qui sont confrontées à un spectacle infiniment plus doux. La mort ni vu ni connu, en somme. Cette hypocrisie ne serait que méprisable si elle ne présentait un inconvénient majeur : ce qui donne la mort n’est pas ce qui endort le malade. Et tous les utilisateurs des hypnotiques injectables savent combien il est difficile, non seulement de prévoir la dose qui sera nécessaire, mais encore d’évaluer le niveau exact de la perte de conscience ; il suit de là que le fait d’utiliser le curare expose à l’utiliser sur un malade qui n’est pas suffisamment endormi, ce qui entraîne le risque de le faire assister à sa propre mort par asphyxie, étant entendu que la paralysie qu’on a induite l’empêcherait alors d’en rien manifester. Soyons honnêtes : de telles situations sont assurément rares, mais tout anesthésiste habitué à manier hypnotiques est curares peut témoigner qu’elles existent ; du coup, le seul fait qu’on prenne un risque aussi insensé alors même qu’il est évitable suffit à montrer que les praticiens de l’euthanasie n’ont que faire du confort du malade du moment que celui de l’entourage est assuré.

Et s’agissant de l’affaire de Bayonne, le risque y était encore plus grand, s’agissant de sujets âgés dont l’état de conscience initial pose question. Un médecin qui agirait selon cette méthode ne ferait rien d’autre que montrer son irresponsabilité absolue, pour ne pas parler de son incompétence, tout au moins dans ce domaine.

Dans ces conditions le communiqué publié le 18 août par l’ADMD a de quoi laisser stupéfait.

Communiqué du 18 août 2011 : Affaire de Bayonne ; L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité apporte son soutien au docteur Bonnemaison, en l’absence d’éléments – notamment de plaintes des familles – accréditant un acte commis sans concertation ; L’ADMD réaffirme la primauté de la volonté des patients sur toute autre considération ; Le ministre chargé des affaires européennes devrait profiter de son poste pour comprendre la situation qui prévaut chez nos voisins du Benelux
Communiqué du 18 août 2011

Après une semaine médiatique intense durant laquelle l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité a rappelé,

- D’une part que l’aide active à mourir ne se conçoit que comme l’expression de l’unique volonté de la personne en fin de vie,
- D’autre part que la législation française résultant de la loi « Leonetti » du 22 avril 2005 – que les pouvoirs publics nous décrivent comme la meilleure du monde ! – est génératrice des drames de la fin de vie auxquels sont confrontés, seuls, la famille et les médecins compatissants, le Bureau de l’ADMD, présidé par Jean-Luc Romero, a annoncé à l’issue d’une réunion extraordinaire le 18 août 2011 qu’elle apporte son soutien au docteur Bonnemaison.

En effet, aucune des familles des quatre patients n’a, à ce jour, porté plainte, ce qui accrédite la théorie d’un acte compatissant concerté de la part du médecin.

Pourquoi être stupéfait ?

On croit comprendre que, prise d’un reste de pudeur, l’ADMD manifeste une vague gêne devant le fait que les malades ont été mis à mort sans qu’ils aient demandé quoi que ce soit. C’est du moins ainsi qu’on peut lire le passage suivant, qui semble désapprouver l’action du médecin de Bayonne :

- D’une part que l’aide active à mourir ne se conçoit que comme l’expression de l’unique volonté de la personne en fin de vie,

Mais on serait moins gêné si l’ADMD n’avait pas jusqu’ici clamé sur tous les tons que, bien entendu, jamais elle n’accepterait que la mort soit donnée à qui ne l’a pas demandée. Or elle se garde bien de le rappeler ici, quand il était si simple de dire, comme je le fais moi-même, que si l’action du médecin semble (redisons qu’il faut être circonspect) condamnable l’homme mérite d’être respecté et soutenu.

Le début du communiqué est bien pire encore :

Communiqué du 18 août 2011 : Affaire de Bayonne ; L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité apporte son soutien au docteur Bonnemaison, en l’absence d’éléments – notamment de plaintes des familles – accréditant un acte commis sans concertation ;

Le masque tombe enfin : dès lors que le médecin aurait agi en concertation avec les familles, alors le soutien ne poserait plus problème. Comme si le principal problème posé au quotidien par l’euthanasie n’était pas précisément que les demandes des proches sont infiniment plus fréquentes que celles des malades (elles se manifestent même alors que ce dernier est encore parfaitement conscient et apte à décider pour lui-même). Comme si on pouvait admettre que la demande exprimée par l’entourage pourrait, sur un sujet aussi crucial, tenir lieu de demande du malade. On entend bien que la loi Léonetti donne judicieusement une voix consultative aux proches ; mais ce que nous lisons ici est totalement effarant, et montre que l’objectif de l’ADMD n’est pas le bien du malade mais celui de son entourage.

Après tout, ce n’est pas surprenant : il suffit de se reporter à la discussion sur la dignité : loin de considérer que la dignité est une qualité inaliénable de toute personne humaine, les théoriciens de l’ADMD mettent l’accent sur l’image que le malade donne, c’est-à-dire sur le vécu de ceux qui l’entourent ; la souffrance du malade se résume à celle qu’il éprouve à l’idée de la charge qu’il impose à ses proches. Comme si c’était la seule question qui vaille.

Et on ne nous fera même pas grâce de cette attaque en règle contre la loi Léonetti :

- D’autre part que la législation française résultant de la loi « Leonetti » du 22 avril 2005 – que les pouvoirs publics nous décrivent comme la meilleure du monde ! – est génératrice des drames de la fin de vie auxquels sont confrontés, seuls, la famille et les médecins compatissants,

On se demande en quoi la loi Léonetti, dont j’ai dit ailleurs quelles réserves elle m’inspire, pourrait être mise en cause par une affaire dans laquelle aucun des droits des malades n’aura été respecté, ni en quoi une autre loi aurait pu venir en aide à un médecin aussi déterminé à agir en dépit des règles élémentaires de la médecine et de l’éthique. Sauf bien sûr à édicter une loi qui permettrait tous les errements.

Il se pourrait que l’ADMD dans cette affaire se soit tiré une balle dans le pied ; elle l’avait déjà fait lors du drame de Michèle de Somer (sur lequel d’ailleurs, consciente peut-être de sa bévue, elle semble ne plus trop insister) ; ce suffira-t-il à dissuader nos politiques, soucieux de faire mode (surtout avec des mesures peu coûteuses), de lui emboîter le pas ? On n’ose guère le croire. Reste que l’ADMD montre une fois de plus qu’elle n’est jamais en retard d’une ânerie. Elle ferait mieux de regarder ce qui se passe chez elle, et par exemple de prendre position sur ce texte sidérant, glané sur http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/euthanasie-je-veux-pouvoir-decider-83914,

et dont on trouvera ici la dernière partie :

(…)

De nombreuses questions se posent, notamment :

- les possibles dérapages d’une telle loi ? Les lois de nos voisins Hollandais, Suisses et Belges ont montré leur sérieux. Aucun dérapage ! Il suffit juste, à nous Français, de s’inspirer de leur texte de loi. Nos voisins ne sont pas moins intelligents que nous.

- qui accomplirait le dernier geste ? Quiconque étant habilité par la loi : médecin, infirmier / ère, spécialiste diplômé de la fin vie, etc.

- quel coût pour la Sécurité Sociale ? Aucun ou plutôt une vraie économie ! En effet l’ensemble des experts montrent qu’aujourd’hui, notre dernière année de vie coûte le tiers de tout ce qu’ont coûté les soins durant toute notre vie. C’est-à-dire des milliers d’euros, voire souvent des dizaines de milliers d’euros !

Ce débat comptable, bien que difficile, ne peut pas être éludé.

Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, en 2060 il y aura 200 000 centenaires en France. Qui prendra en charge le coût de leur dernière année de vie ? Quid pour les centaines de milliers de personnes de plus de 90 ans ? Alors que dans le même temps, notre Sécurité Sociale demandera sûrement à nos enfants et petits-enfants de faire des économies, de bout de chandelles !

C’est aujourd’hui qu’il faut réfléchir. Pas dans 50 ans, au pied du mur !
Nous, adhérents et militants de l’ADMD ne demandons finalement pas grand-chose. Juste que notre pays engage une réflexion de fond sur ce sujet qui n’est plus aujourd’hui tabou, comme y consent l’immense majorité du pays.
De toute façon, c’est inéluctable. Prendre du retard ne sert à rien. Comme trop souvent, nous ferons la même chose que nos voisins, mais avec 10 ou 15 ans de retard. Dommage !

Alors, à tous ceux et celles qui adhérent en partie, ou plus, à une telle idée, rejoignez l’ADMD. Plus nous serons nombreux et plus vite la réflexion débutera.

Ce texte est courageusement anonyme, et rien n’indique qu’il représente la position officielle de l’ADMD. Elle ne ferait pas moins fort bien de s’en désolidariser.